Fort de treize heureuses éditions, le salon du livre rare et de l’objet d’art s’agrandit au Grand Palais, plus riche encore en découvertes et s’offrant le luxe d’une invitée de marque, la bibliothèque Forney.
Petit Poucet parmi les grands salons internationaux avançant à coups de millions, de galeries internationales, de colloques sur les enjeux du marché de l’art, d’invités appartenant au gotha…, celui du livre rare et de l’objet d’art a su tracer sa route en semant de jolis cailloux dans le domaine du patrimoine écrit, et pas que. Plus discret que d’autres, il n’en affiche pas moins une éclatante santé et un esprit soigneusement cultivé, qui plaît aux visiteurs, collectionneurs ou simples curieux. Ainsi étaient-ils 20 200 en 2018 à déambuler dans ses allées soit une augmentation conséquente de près de 20 % par rapport à l’année précédente. Vingt-sept nouveaux exposants sont ici annoncés, ce qui porte leur nombre à cent soixante. Tout est donc réuni pour croire dans le succès de cette nouvelle édition.
La fine fleur des arts du livre
Le patrimoine écrit demeure bien le cœur du salon. Les morceaux choisis l’expriment sans détour, et tout particulièrement la collection d’Alain Draeger, racontant cent années de l’édition française de luxe. C’est dans ce secteur que se concentrent les marchands étrangers, de nouveaux venus venant étoffer un corpus déjà respectable d’une manifestation qui a su s’imposer comme la première du genre au monde. Les Américains Ben Kinmont, Peter Kraus, Thomas A. Goldwasser et Bruce McKittrick ont choisi de traverser l’Atlantique pour rejoindre ce vaisseau amiral, le Géorgien Pavel Chepyzhov, l’Allemande Daniela Kromp et le Japonais Sato Ryu également. Car, partant des ouvrages enluminés, c’est bien un voyage dans le vaste monde du livre qui est entrepris, avec des escales attendues du côté de l’histoire naturelle et de ses représentants à plume, à poil, à carapace ou couverts d’écailles, des récits d’explorateurs dont un ensemble inédit de documents manuscrits et d’œuvres sur papier relatifs au voyage à Téhéran du baron Edgar Lejeune en 1855-1856, chez Laurent Coulet , ou encore des éditions originales, graal de tout bibliophile. Dans ce domaine, les manuscrits et autographes parlent à l’intime, en donnant un petit aperçu du quotidien de grands noms, et permettent d’en apprendre plus et différemment sur leurs œuvres. Le 12 mars 1624, Rubens signe un billet de cinq lignes reconnaissant le paiement de 1 800 florins d’or par le prêtre de l’église St Pieters. Il pourrait s’agir du reçu qui accompagnait la facture d’acquittement de l’Adoration des mages de l’église Saint-Jean à Malines (librairie Traces écrites). Les reliures, l’habit haute couture du texte, exprimeront toute leur beauté. Celle de Jean-Luc Hoenegger pour Roses pour Rose, un minuscule édité par Pierre-André Benoit en 1951 en hommage à son amie la relieuse Rose Adler, aux textes de peintres ayant collaboré avec le livre dans la première moitié du XXe siècle, est particulièrement touchante (librairie l’Exemplaire, Suisse). Elle mène à la riche section des illustrés modernes et à l’exposition consacrée à Boris Vian sur le stand de Christelle Gonzalo, collectionneuse depuis trente ans, avec François Roulmann, de documents autour de l’écrivain. Leur travail a abouti à la publication d’un ouvrage, titré Autonomie du bison, et à l’organisation de cette présentation pour les 60 ans de la disparition de l’auteur de L’Écume des jours. Point fort de l’accrochage : une toile de 1946, Les Hommes de fer, une rareté, Vian ayant réalisé moins de dix tableaux dans toute sa vie. Pour conclure sur le support principal le papier , il faut insister sur le retour en force des galeries d’estampes et de dessins. Installées dans un espace dédié, elles seront vingt et une, contre treize seulement en 2018. Depuis Dürer, la gravure n’a cessé d’inspirer les plus grands noms de l’art, Rembrandt et Picasso en tête. Et alors que l’exposition Ferdinand Khnopff vient tout juste de fermer ses portes au Petit Palais voisin, la galerie belge Le Tout-Venant invite à découvrir une estampe de cet artiste à la pointe du symbolisme, Les Grelots.
Place aux experts
Seul à réunir marchands et experts, tous spécialistes en leur domaine, le salon cherche tout particulièrement à mettre en avant le rôle de l’expertise. C’est en 2017 que la Chambre nationale des experts spécialisés en objets d’art et de collection (CNES) a rejoint le projet, établi depuis douze années déjà, en créant la section dédiée à l’objet d’art. Geneviève Baume, sa présidente, en a ressenti l’urgente nécessité, afin de «sortir de l’ombre une profession mal connue du public et pourtant essentielle au marché de l’art», marchands, mais aussi experts qui ne font pas de commerce. Ce salon est le leur : «il n’est absolument pas question de marcher sur les pas de la Biennale Paris. L’esprit ici est tout autre, nous ne sommes pas un salon d’antiquaires mais un salon d’experts», tient à préciser la présidente. Ils seront cinquante à y participer cette année, représentant quarante spécialités allant de l’archéologie à l’art contemporain, en passant par l’horlogerie, les armes anciennes, les bijoux et la Haute Époque. Ces spécialistes assureront des expertises tout au long de la foire. Nouveauté 2019, participants et élèves-experts animeront une galerie «Vrai ou faux, les secrets de l’expertise». Il sera question de montrer au public comment les identifier, mais au-delà de cette première mission et dans une période d’incertitude alimentée par des faux très médiatisés, comment l’expert peut être un garant d’authenticité. Les objets sélectionnés nous promènent dans la vaste histoire de la créativité spatio-temporelle, des madones primitives de Giovanni Sarti, tout nouveau participant, aux artistes contemporains, quelques mètres plus loin chez Robert Vallois. Grand écart encore entre une pendule mystérieuse en régule signée J. Pratt, chez Jacques Nève, et une photographie au réalisme saisissant d’une gueule cassée de la Grande Guerre, présentée par Elodie Sanson, qui s’associe à Virginie Lasala rare femme dans le milieu des armes anciennes pour organiser une exposition intitulée «Guerres et guerriers». Ou entre une magnétique représentation en marbre blanc de Jules César, véritable manifeste du baroque génois chez Alexandre Piatti, et, à la galerie Tiago, un coffre namban de la période Momoyama (1573-1603). L’exercice est parfaitement réussi, qui exprime la vitalité du monde de l’expertise.