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L’art de la réussite

Publié le , par Anne Doridou-Heim

Fort de treize heureuses éditions, le salon du livre rare et de l’objet d’art s’agrandit au Grand Palais, plus riche encore en découvertes et s’offrant le luxe d’une invitée de marque, la bibliothèque Forney.

Boris Vian (1920-1959), Les Hommes de fer, 1946, huile sur toile réalisée pour l’exposition... L’art de la réussite
Boris Vian (1920-1959), Les Hommes de fer, 1946, huile sur toile réalisée pour l’exposition à la galerie de la Pléiade. Christelle Gonzalo & François Roulmann.


Petit Poucet parmi les grands salons internationaux avançant à coups de millions, de galeries internationales, de colloques sur les enjeux du marché de l’art, d’invités appartenant au gotha…, celui du livre rare et de l’objet d’art a su tracer sa route en semant de jolis cailloux dans le domaine du patrimoine écrit, et pas que. Plus discret que d’autres, il n’en affiche pas moins une éclatante santé et un esprit soigneusement cultivé, qui plaît aux visiteurs, collectionneurs ou simples curieux. Ainsi étaient-ils 20 200 en 2018 à déambuler dans ses allées  soit une augmentation conséquente de près de 20 % par rapport à l’année précédente. Vingt-sept nouveaux exposants sont ici annoncés, ce qui porte leur nombre à cent soixante. Tout est donc réuni pour croire dans le succès de cette nouvelle édition.
 

C.J. Temminck et G. Meiffren Laugier de Chartrouse, Nouveau recueil de planches coloriées d’oiseaux, pour servir de suite et de complément aux planche
C.J. Temminck et G. Meiffren Laugier de Chartrouse, Nouveau recueil de planches coloriées d’oiseaux, pour servir de suite et de complément aux planches enluminées de Buffon. Antiquariaat Schierenberg, Pays-Bas.



La fine fleur des arts du livre
Le patrimoine écrit demeure bien le cœur du salon. Les morceaux choisis l’expriment sans détour, et tout particulièrement la collection d’Alain Draeger, racontant cent années de l’édition française de luxe. C’est dans ce secteur que se concentrent les marchands étrangers, de nouveaux venus venant étoffer un corpus déjà respectable d’une manifestation qui a su s’imposer comme la première du genre au monde. Les Américains Ben Kinmont, Peter Kraus, Thomas A. Goldwasser et Bruce McKittrick ont choisi de traverser l’Atlantique pour rejoindre ce vaisseau amiral, le Géorgien Pavel Chepyzhov, l’Allemande Daniela Kromp et le Japonais Sato Ryu également. Car, partant des ouvrages enluminés, c’est bien un voyage dans le vaste monde du livre qui est entrepris, avec des escales attendues du côté de l’histoire naturelle et de ses représentants à plume, à poil, à carapace ou couverts d’écailles, des récits d’explorateurs  dont un ensemble inédit de documents manuscrits et d’œuvres sur papier relatifs au voyage à Téhéran du baron Edgar Lejeune en 1855-1856, chez Laurent Coulet , ou encore des éditions originales, graal de tout bibliophile. Dans ce domaine, les manuscrits et autographes parlent à l’intime, en donnant un petit aperçu du quotidien de grands noms, et permettent d’en apprendre plus et différemment sur leurs œuvres. Le 12 mars 1624, Rubens signe un billet de cinq lignes reconnaissant le paiement de 1 800 florins d’or par le prêtre de l’église St Pieters. Il pourrait s’agir du reçu qui accompagnait la facture d’acquittement de l’Adoration des mages de l’église Saint-Jean à Malines (librairie Traces écrites). Les reliures, l’habit haute couture du texte, exprimeront toute leur beauté. Celle de Jean-Luc Hoenegger pour Roses pour Rose, un minuscule édité par Pierre-André Benoit en 1951 en hommage à son amie la relieuse Rose Adler, aux textes de peintres ayant collaboré avec le livre dans la première moitié du XXe siècle, est particulièrement touchante (librairie l’Exemplaire, Suisse). Elle mène à la riche section des illustrés modernes et à l’exposition consacrée à Boris Vian sur le stand de Christelle Gonzalo, collectionneuse depuis trente ans, avec François Roulmann, de documents autour de l’écrivain. Leur travail a abouti à la publication d’un ouvrage, titré Autonomie du bison, et à l’organisation de cette présentation pour les 60 ans de la disparition de l’auteur de L’Écume des jours. Point fort de l’accrochage : une toile de 1946, Les Hommes de fer, une rareté, Vian ayant réalisé moins de dix tableaux dans toute sa vie. Pour conclure sur le support principal  le papier , il faut insister sur le retour en force des galeries d’estampes et de dessins. Installées dans un espace dédié, elles seront vingt et une, contre treize seulement en 2018. Depuis Dürer, la gravure n’a cessé d’inspirer les plus grands noms de l’art, Rembrandt et Picasso en tête. Et alors que l’exposition Ferdinand Khnopff vient tout juste de fermer ses portes au Petit Palais voisin, la galerie belge Le Tout-Venant invite à découvrir une estampe de cet artiste à la pointe du symbolisme, Les Grelots.

 

Empire Ottoman, XVIIIe siècle. Poire à poudre dite «amorçoir», corps en ivoire à cerclage en argent niellé, plaque en argent, plaque en laiton doré or
Empire Ottoman, XVIIIe siècle. Poire à poudre dite «amorçoir», corps en ivoire à cerclage en argent niellé, plaque en argent, plaque en laiton doré ornée de cabochons ; au centre une cornaline et sur le pourtour six grenats, pampilles en fer et fer doré, niellées argent, bec verseur en fer doré, h. 14 cm. Virginie Lasala.Photo Frédéric Coune



Place aux experts
Seul à réunir marchands et experts, tous spécialistes en leur domaine, le salon cherche tout particulièrement à mettre en avant le rôle de l’expertise. C’est en 2017 que la Chambre nationale des experts spécialisés en objets d’art et de collection (CNES) a rejoint le projet, établi depuis douze années déjà, en créant la section dédiée à l’objet d’art. Geneviève Baume, sa présidente, en a ressenti l’urgente nécessité, afin de «sortir de l’ombre une profession mal connue du public et pourtant essentielle au marché de l’art», marchands, mais aussi experts qui ne font pas de commerce. Ce salon est le leur : «il n’est absolument pas question de marcher sur les pas de la Biennale Paris. L’esprit ici est tout autre, nous ne sommes pas un salon d’antiquaires mais un salon d’experts», tient à préciser la présidente. Ils seront cinquante à y participer cette année, représentant quarante spécialités allant de l’archéologie à l’art contemporain, en passant par l’horlogerie, les armes anciennes, les bijoux et la Haute Époque. Ces spécialistes assureront des expertises tout au long de la foire. Nouveauté 2019, participants et élèves-experts animeront une galerie «Vrai ou faux, les secrets de l’expertise». Il sera question de montrer au public comment les identifier, mais au-delà de cette première mission et dans une période d’incertitude alimentée par des faux très médiatisés, comment l’expert peut être un garant d’authenticité. Les objets sélectionnés nous promènent dans la vaste histoire de la créativité spatio-temporelle, des madones primitives de Giovanni Sarti, tout nouveau participant, aux artistes contemporains, quelques mètres plus loin chez Robert Vallois. Grand écart encore entre une pendule mystérieuse en régule signée J. Pratt, chez Jacques Nève, et une photographie au réalisme saisissant d’une gueule cassée de la Grande Guerre, présentée par Elodie Sanson, qui s’associe à Virginie Lasala rare femme dans le milieu des armes anciennes  pour organiser une exposition intitulée «Guerres et guerriers». Ou entre une magnétique représentation en marbre blanc de Jules César, véritable manifeste du baroque génois chez Alexandre Piatti, et, à la galerie Tiago, un coffre namban de la période Momoyama (1573-1603). L’exercice est parfaitement réussi, qui exprime la vitalité du monde de l’expertise. 

 

3 questions à
Alain Draeger
Représentant la cinquième génération de la dynastie d’imprimeurs Draeger, il vient de publier Draeger, Les Pages d’or de l’édition (éd. Draeger la Carterie) et a confié une partie de la collection à Jean Izarn, de la librairie Chrétien à Paris.

Pouvez-vous nous résumer l’aventure de la maison Draeger dans les mondes de l’imprimerie et de l’édition de luxe ?
Charles Draeger, apprenti, ouvrier, prote (contremaître), puis maître imprimeur, fonde en 1886 la maison «Draeger & Lesieur, imprimerie typographique, lithographique et taille douce». Secondé par Amélie, épouse courageuse et déterminée, puis par ses trois fils, il va développer une entreprise, devenue en 1899 «Draeger frères», que les revues graphiques américaines, dès 1914, désignent comme la meilleure d’Europe. Dans l’entre-deux-guerres, elle participe au développement de la qualité et du luxe et à la construction de la publicité. La création graphique touche à la perfection, avant de céder progressivement la place à la photographie publicitaire. Avec le procédé 301 (technique spécifique à la reproduction des œuvres d’art, ndlr), Draeger atteint un réalisme qui aujourd’hui encore force l’admiration.

Pourquoi avoir décidé de vous séparer de ces œuvres originales, et avoir choisi de les présenter sur le stand de la librairie Chrétien du Salon du livre rare et de l’objet d’art ?
La famille a eu envie de faire connaître les belles réalisations de cette époque en les présentant à la vente. Jean Izarn, de la librairie Chrétien, connaît formidablement bien les illustrateurs renommés ayant contribué au monde de l’édition, ainsi que les chefs-d’œuvre publiés par Draeger. On ne pouvait trouver meilleur connaisseur, et c’est lui qui nous a proposé de leur réserver un espace sur son stand du salon pour une belle visibilité.

Vous accompagnez cette vente par l’édition d’un ouvrage de référence. Une ultime trace écrite ?
L’idée a été de donner à tous les descendants une image des merveilleuses réalisations de nos parents. Cet ouvrage, qui paraît pour l’occasion, est illustré de 530 documents, pour certains inédits. J’ai voulu qu’il soit réalisé dans l’esprit de la «qualité Draeger» et montrer ainsi un métier ayant peu évolué depuis Gutenberg et qui sera emporté par la révolution numérique…


 

Page de modèles d’éventails détachée du registre d’un fabricant non identifié, vers 1860, sept estampes sur une feuille, impression à la planche, 76 x
Page de modèles d’éventails détachée du registre d’un fabricant non identifié, vers 1860, sept estampes sur une feuille, impression à la planche, 76 59 cm.© Ville de Paris/bibliothèque Forney

Le sens du motif à Forney
C’est à la bibliothèque Forney que le salon a choisi d’ouvrir ses vitrines cette année. Tout comme les bouquinistes – présents sur un stand auréolés de leur récente inscription au patrimoine français (voir Gazette n° 8, page 174 Les bouquinistes en route pour l'Unesco) –, cet endroit parle au cœur des Parisiens. Fondée grâce à un legs effectué par l’industriel Aimé-Samuel Forney à la Ville de Paris, elle est inaugurée en 1886, avant de déménager en 1961 pour le cadre gothique de l’hôtel de Sens, en plein cœur du Marais. Elle prend alors toute son ampleur. D’abord consacrée aux métiers d’art et aux arts décoratifs, elle s’ouvre à l’art en général et se signale par la grande diversité des documents conservés. Forney rassemble ainsi une collection patrimoniale iconographique parmi les plus riches de France. Il n’a pas été difficile de puiser dans cet immense corpus pour en extraire quelques pépites à exposer sous les voûtes du Grand Palais. Le thème retenu est celui du «Sens du motif», source d’inspiration essentielle à l’art et à ses métiers. Maquettes iconographiques, dessins originaux ayant servi de modèle, catalogues commerciaux – le fonds en est riche de plus de 50 000 références –, papiers peints, toiles imprimées et affiches seront présents pour faire vivre cet élément dans toute sa variété et, surtout, pour montrer son apport essentiel.

À savoir
Salon international du livre rare et de l’objet d’art Grand Palais, Paris VIIIe.
Du vendredi 12 au dimanche 14 avril 2019
www.salondulivrerare.paris
www.salonobjetdart.expert
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