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Le camp de concentration d’Auschwitz figurant sur une carte de «l’héritage du Bauhaus» au musée des Arts décoratifs, au même titre que le centre de Chicago ou la station de ski d’Alpen ; la tentation de l’allégeance au nazisme chez Oskar Schlemmer, qui aurait été escamotée au Centre Pompidou-Metz ; le lourd passé d’Hergé expurgé au Grand-Palais. La coïncidence a fait fleurir la polémique. Elle n’est pas nouvelle. À tort ou à raison, des critiques du même ordre ont été émises envers plusieurs expositions du Grand-Palais ou du Centre Pompidou, sur Le Corbusier (2015), l’art italien de la première moitié du XXe siècle (2006) et même Cocteau (2003). L’omission du contexte politique, il est vrai, est encore cultivée par des conservateurs qui n’apprécient guère de laisser la délectation esthétique perturbée par le fracas des évènements historiques et de les expliquer à un public de plus en plus large. Plus profondément, les faiblesses de certains artistes et intellectuels envers le militarisme et le totalitarisme ont longtemps laissé historiens et critiques mal à l’aise, dans un pays qui a toujours du mal à scruter les ombres de son propre passé. Naturellement, la réalité est plus singulière et complexe que les médias ne peuvent la retranscrire. Le musée des Arts décoratifs est attaqué non parce qu’il aurait caché ce fait historique un des architectes passé par le Bauhaus a participé à la construction du camp de la mort mais pour l’avoir banalisé en une mention bien sommaire. En fin d’une exposition particulièrement profuse, elle paraissait choquante sans explication, et le musée a bien voulu reconnaître ce défaut, en élaborant à la hâte un cartel. Le Centre Pompidou-Metz ne mérite pas le reproche : son exposition porte sur la création du ballet triadique par Schlemmer, en 1922, et les fêtes qu’il organisait au Bauhaus. S’il a continué à peindre par intermittence, son intérêt pour la chorégraphie s’est interrompu brutalement à l’arrivée au pouvoir d’Hitler.
Sa carrière brisée, le Bauhaus réprimé, Schlemmer crut encore pouvoir trouver l’oreille de Goering, signant un courrier au «très cher ministre» de la culture et de la propagande, «en tant que citoyen et artiste allemand», pour «démentir catégoriquement la rumeur selon laquelle il serait juif» et affirmer ses lointaines origines chrétiennes «irréprochables». Il ne cherchait pas seulement une issue désespérée pour lui et les siens ; il aurait bien esquissé un rapprochement avec un régime qui n’avait pas encore choisi d’écraser le modernisme. Il fut de ceux qui ont nourri le bref «espoir que l’art et les artistes pourraient devenir le pivot d’un État idéal, dans l’esprit du nazisme», comme le reconnaît la spécialiste Ina Conzen. En Italie, le fascisme sut ainsi enrôler une partie de l’avant-garde en lui laissant une certaine latitude de création. La critique adressée au Grand-Palais, qui cumule décidément les déboires, est beaucoup plus sérieuse. L’antisémitisme d’Hergé, l’ascendant du père Wallez, admirateur de Mussolini et d’Hitler, son amitié pour Léon Degrelle, pantin grotesque et sanguinaire de la Waffen SS belge, ou la popularité que le dessinateur a donnée au journal immonde de la collaboration Le Soir sont absents de l’exposition, pour la bonne raison que l’institution publique, qui a bien besoin de remonter sa fréquentation et ses recettes, s’est pliée
à la volonté des ayants droit. Ce genre de compromission, la France en a la spécialité.