Dans quelques jours, les coups de marteau récompenseront un ensemble de gardes de sabre des XVIIIe et XIXe siècles. D’une grande valeur esthétique, ces objets percés en leur milieu étaient destinés au passage de la lame. Focus sur un aspect de l’art japonais.
Le mois de février se déroulera-t-il sous le signe du Japon ? Peut-être bien… Une vente aux enchères et deux expositions, l’une au musée Guimet, l’autre au Palais de Tokyo, mettent en lumière un aspect particulier de l’art et de l’histoire du pays du Soleil-Levant : celui des armes et des armures. Sous le marteau, il s’agira d’une collection privée parisienne, constituée durant une quarantaine d’années en ventes publiques. Elle est consacrée aux tsuba, ces gardes de sabre de quelques centimètres de diamètre conçues pour protéger la main tenant le sabre et, en même temps, équilibrer la lame. Utilitaires, ces disques miniatures sont devenus au fil des siècles de véritables œuvres d’art. À la veille de fêter ses 80 printemps, notre collectionneur «Monsieur J.P.B.» a pris la décision de se séparer de ses objets, tous choisis pour le raffinement et l’originalité de leur décor.
Légendes et figures
Cet ensemble de cent vingt pièces en bon état de conservation auxquelles s’ajoutent quelques menuki (petits ornements situés sous la tresse de poignée du sabre) et des kozuka (manches des petits couteaux disponibles à gauche sur le fourreau du sabre) nous mène de l’époque Momoyama (1573-1603), pour les plus anciennes, aux périodes Edo (1603-1868) et Meiji (1868-1912), offrant un vaste panorama des techniques, des écoles et des décors utilisés. Ainsi, certains tsuba en fer sont travaillés en ajours, d’autres étant incrustés de métaux plus précieux, tels l’or, l’argent ou le cuivre. Les motifs végétaux fleurs de cerisier, branches de bambou, feuilles de ginko, champignons, silhouettes de pins, pivoines, chrysanthèmes cohabitent avec les animaux, du buffle au héron, en passant bien sûr par le dragon pourchassant la perle sacrée parmi les nuages ou les vagues écumantes… Enfin, si le mont Fuji, plus haut sommet du Japon avec ses 3 776 mètres, prête son cône parfait à ces tableaux miniatures, nombreuses sont les légendes et autres figures nippones à avoir été représentées par les artistes. C’est d’ailleurs parmi ce type de décors que sont attendus les meilleurs résultats, autour de 3 000 €. L’un met en scène un empereur regardant quatre personnages laissant leurs empreintes sur un rouleau, tandis que sur un autre le militaire Rochishin joue à kubi-hiki avec deux oni, démons populaires aux yeux globuleux : les adversaires, assis, doivent se faire tomber en tirant simultanément sur la corde passée autour de leur cou… Quant à Wasobyoye, sorte de Gulliver japonais, on peut le voir sur le pouce d’un géant plus grand que le mont Fuji.
L’âme du guerrier
Le décor des gardes correspondait souvent à la personnalité du samouraï qui les commandait à l’orfèvre. Plus le guerrier était d’un rang élevé, plus les tsuba étaient luxueux dans leur ornementation et la technique utilisée. Les plus anciens remontent à la période Nara (710 à 784). Mais c’est surtout au XVIIe siècle qu’ils deviennent des objets d’art à part entière, symbolisant le statut de leur possesseur. S’il existe encore aujourd’hui des facteurs de tsuba, les principales écoles, très spécialisées, se sont multipliées dès le XVIe siècle, la plus célèbre étant celle fondée par Goto Yujo (1453-1512), dont les œuvres destinées aux sabres de cérémonie étaient ornées de points en relief. C’est dire l’importance que revêtaient ces objets… Dans le bushido «la voie du guerrier», code destiné à régler selon l’honneur les comportements du samouraï lors des batailles de manière à garder une maîtrise intérieure , le sabre est considéré non seulement comme une arme de combat, mais aussi comme l’élément de transmission de l’esprit du guerrier sur ses actes. Il était donc normal qu’il soit forgé et décoré jusqu’à la perfection, sa beauté extérieure témoignant de la noblesse de son utilisateur. Objet sacré pour le samouraï, le sabre a pour pièce principale la lame, dont la pureté symbolise l’âme du guerrier. Aujourd’hui, le touriste occidental peut être surpris d’en voir autant d’exemplaires dans les musées japonais, alors que pour le public local, sauf celui des plus jeunes générations, de tels objets méritent d’y figurer.
Une multitude de collections possibles
Facile à collectionner, tant en raison de son prix 300/400 € pour les premiers modèles que de ses dimensions, le tsuba séduit bien au-delà de l’amateur d’armes. À l’image de ce graphiste parisien, initié à l’art japonais par son arrière-grand-père, qui a commencé à réunir des pièces en fer, sans incrustations, à décor de fleurs de cerisier et de branches de bambou il y a vingt ans. «J’apprécie une esthétique sobre, ponctuée d’ajours, et je n’achète qu’en vente aux enchères», nous précise-t-il. Trouvera-t-il dans cette dispersion de quoi satisfaire sa curiosité ? Il y a fort à parier, tant le domaine est vaste. «Le tsuba, c’est presque comme une collection de timbres. Il y a eu une multitude d’écoles, de forgerons, d’incrustateurs, et donc autant de collections possibles», souligne le galeriste Jean-Christophe Charbonnier, spécialiste des armures japonaises. Aujourd’hui, les ciseleurs se comptent sur les doigts d’une main…