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L'architecture aux enchères

Publié le , par Dimitri Joannides

Des dessins d’architecte aux enchères ou des maquettes, ça n’est pas nouveau. Mais des façades entières de bâtiment, c’est déjà plus étonnant !

Johanna Grawunder (née en 1961), édition limitée d’une maquette d’interprétation... L'architecture aux enchères
Johanna Grawunder (née en 1961), édition limitée d’une maquette d’interprétation d’architecture d’Ettore Sottsass et Johanna Grawunder (Sotsass associati) en marbre et Plexiglas réalisée entre 1988 et 2003, maison Bischofberger, Zurich, Suisse, construite entre 1991 et 1996, 17 x 22 x 15,5 cm.
Bruxelles, Salle des beaux-arts, 18 juin 2008. Pierre Bergé & Associés. MM Legrand, Dewindt & Meylaerts
6 055 € frais compris

Les premières esquisses de l’architecte reflètent le premier jet d’inspiration qui servira souvent de base à une œuvre bien plus grande : une maison, un quartier, une ville. Les croquis du Corbusier pour la ville d’Alger (finalement non réalisée) ou pour celle de Chandigarh en Inde (réalisée) sont connus et, en général, les amateurs ne s’y trompent pas. L’architecture est bel et bien un art, nul ne le conteste. Mais, sauf à parler de Christian de Portzamparc, de Jean Nouvel et quelques autres, l’image qu’on a de l’architecte, tout à la fois ingénieur, artiste et financier, n’est pas toujours à la hauteur des projets qu’il initie.

Le pain béni du modernisme
Il arrive que des ventes consacrées à l’Antiquité grecque, romaine ou étrusque présentent leurs lots de fragments de tympans de temples, de chapiteaux de colonnes ou de morceaux de frise. Il en va de même pour les ventes Haute Époque où il n’est pas rare de retrouver des stèles en marbre, des fonts baptismaux en pierre d’Istrie, voire des clefs de voûte en pierre d’Auvergne. Rien que ça ! Certaines maisons de ventes ont même proposé, par le passé, des morceaux d’escalier hélocoïdaux de la tour Eiffel, preuve que la production industrielle en série, née au XIXe siècle, est la mère du consumérisme. Eh oui, la Dame de fer elle-même a ses humeurs et change régulièrement de toilette ! Tout cela pour dire qu’à la fin de la Première Guerre mondiale, c’est une nouvelle vision de la société que l’on privilégie, plus sociale, plus utopiste et nourrie des idéaux véhiculés par la Révolution russe notamment. C’est la naissance du mouvement moderniste. En architecture, il est empreint d’un humanisme plutôt dogmatique et influencé par la science et le machinisme. Désormais, ce sont les usages et les besoins structurels qui guident les choix des volumes et des formes. La décoration devient quasiment un crime ! Les architectes sont persuadés que leur mission est d’abord d’améliorer la vie quotidienne des masses avant même de s’adonner à quelque exercice de style. Rapidement, cette tendance essaime, avec le Bauhaus en Allemagne, le constructivisme en Russie, Le Corbusier ou les frères Perret en France… jusqu’à devenir le style dominant et donner naissance, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, au style international. Entre 1939 et 1945, nombre d’architectes européens d’avant-garde ont rejoint les États-Unis et se sont attelés à poursuivre leurs travaux dès leur arrivée. Les grandes tours deviennent alors la norme, à Chicago comme ailleurs. Mais grâce aux commandes de particuliers, les maisons à taille humaine de Mies Van der Rohe, Philip Johnson ou Frank Lloyd Wright connaissent également un grand succès. En tout cas auprès des commanditaires assez riches pour se payer les services de ces vedettes ! À Drouot, leurs meubles sont bien connus et constituent souvent l’épine dorsale de toute vente de design ou d’arts décoratifs qui se respecte. Mais il arrive, au détour d’un catalogue, qu’on y découvre des créations plus étonnantes, comme des fenêtres ou des vitraux de Frank Lloyd Wright ou encore des bornes éclairantes du Corbusier.

Charles-Édouard Jeanneret dit Le Corbusier (1887-1965), borne éclairante, vers 1953, béton armé et moulé par coffrage, 91 x 90 x 57 cm. Paris, Hôtel M
Charles-Édouard Jeanneret dit Le Corbusier (1887-1965), borne éclairante, vers 1953, béton armé et moulé par coffrage, 91 x 90 x 57 cm.
Paris, Hôtel Marcel Dassault, 24 novembre 2010. Artcurial - Briest - Poulain - F. Tajan SVV.
25 650 € frais compris
Maquette architecturale en terre cuite beige, vallée de l’Euphrate, XIIIe-XIIe siècle av. J.-C., 40,8 x 20,2 x 41,4 cm.Paris, Drouot-Richelieu, 30 mai
Maquette architecturale en terre cuite beige, vallée de l’Euphrate, XIIIe-XIIe siècle av. J.-C., 40,8 x 20,2 x 41,4 cm.
Paris, Drouot-Richelieu, 30 mai 2012. Binoche et Giquello SVV. M. Kunicki.
26 460 € frais compris


Jean Prouvé superstar
Depuis quelques années, on mange du Jean Prouvé à toutes les sauces ; impossible donc de faire impasse sur cet architecte autodidacte, chouchou des intérieurs branchés. Quatre lieux à Nancy lui consacrent cet été, des expositions : les galeries Poirel, le musée des beaux-arts, le musée de l’école de Nancy et le musée Lorrain. À ceux qui arriveraient à satiété, nous conseillerions volontiers de lorgner du côté de la Papouasie ou de la Mongolie, probablement les seuls endroits au monde où vous n’entendrez pas parler de Jean Prouvé cette année ! Comme ses précédesseurs, lui aussi était animé par un idéal social. Il a conçu, à la demande de l’abbé Pierre après l’hiver 1954, une «Maison des jours meilleurs». Sa grande particularité était d’être démontable et remontable en quelques heures grâce à une menuiserie métallique. Mais, tel Don Quichotte bataillant contre les moulins à vent, Prouvé s’est heurté au refus de l’administration française qui y a trouvé à redire, notamment du côté de la salle d’eau qui se trouvait exactement au milieu de la maison. À côté de ce projet visionnaire, mais probablement trop en avance sur son temps, les perspectives des «maisons Borloo» à 100 000 € font figures de gadgets ruineux. Seuls cinq exemplaires de la maison Prouvé virent le jour. L’une d’elles a été adjugée 81 000 € en avril 2010 à Nancy par la maison de ventes Anticthermal qui, au fil des ans, est devenu l’une des spécialistes des créations de l’enfant du pays. Premier coup d’éclat : la vente, en octobre 2005, d’une maison démontée réalisée pour un marinier sinistré de Dombasle-sur-Meurthe. En dépit de six éléments manquants, le modèle était alors adjugé 50 000 €.

Gustave Eiffel (1832-1923), élément no 16 de l’escalier hélicoïdal d’origine de la tour Eiffel en fer peint comprenant quarante marches, garde-corps c
Gustave Eiffel (1832-1923), élément no 16 de l’escalier hélicoïdal d’origine de la tour Eiffel en fer peint comprenant quarante marches, garde-corps composé de quatre barres parallèles en fer rond supportées par des poteaux, 1889, h. 7,80 m, diam. 170 cm.
Paris, Drouot-Richelieu, 12 décembre 2009. Lucien Paris SVV.
105 400 € frais compris

Pour les plus petits budgets
Pour garnir des intérieurs plus modestes, les amateurs peuvent se rabattre sur des éléments d’architecture d’intérieur comme des portes, des sas d’entrée, des escaliers, des persiennes... Plusieurs maisons de ventes se sont engouffrées dans la brèche en proposant elles aussi, de temps à autre, des souvenirs de cette glorieuse époque du génie moderniste. Dans ce domaine, il semblerait qu’Artcurial, Aguttes et même Leclere à Marseille aient quelques visées. Côté galeries, trois spécialistes ont tiré leur épingle du jeu, en France en tout cas : Patrick Seguin, Philippe Jousse (Jousse Entreprise) et François Laffanour (galerie Downtown). Et figurez-vous que les aficionados s’arrachent les pièces proposées pour des sommes folles ! Quant à savoir ce qu’ils en font concrètement, c’est une autre question...

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