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Lara Sedbon, la galeriste de demain

Publié le , par Virginie Huet

Après un solide parcours en galeries d’art, la jeune Lara Sedbon lançait la sienne en 2019. Une structure souple en prise avec l’époque, tout adaptée aux enjeux d’une profession en mutation. 

Lara Sedbon devant l’œuvre de Léonard Combier. DR Lara Sedbon, la galeriste de demain
Lara Sedbon devant l’œuvre de Léonard Combier.
DR

Votre profil littéraire est assez singulier dans ce milieu…
J’ai d’abord étudié les lettres classiques – une hypokhâgne et deux années de khâgne – avant de décrocher une licence en philosophie à la Sorbonne. J’ai ensuite intégré l’École supérieure des sciences économiques et commerciales et suivi en parallèle un master de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales, consacré à l’esthétique du mouvement dans l’art numérique. Ce double cursus m’a permis d’avoir des notions en négociation et en comptabilité, des compétences indispensables pour diriger une galerie. Ma sensibilité littéraire me permet aujourd’hui d’offrir un suivi personnalisé à mes clients, à travers des projets de publication autour de leurs collections. Ceci dit, il n’a pas été simple de créer des ponts, la pluridisciplinarité n’étant pas courante en France.
Pourriez-vous revenir sur vos premiers pas, faits à l’étranger ?
J’ai enchaîné plusieurs stages très formateurs : d’abord à Londres, chez Sotheby’s, puis à Miami durant Art Basel, avant de rejoindre la Angel Orensanz Foundation à New York, un bâtiment néogothique du Lower East Side reconverti en synagogue, qui défend l’œuvre du peintre et sculpteur d’origine espagnole. Je suis ensuite rentrée en France pour ma dernière année à l’ESSEC, avant de décrocher mon premier poste à Singapour, à la Art Plural Gallery : je dirigeais le troisième des quatre étages, dédié aux artistes émergents. Sortir du système français m’a servi de tremplin.
Qu’avez-vous appris sur les marchés asiatique et américain ?
J’ai tendance à tenir un discours passionné sur les œuvres d’art. À Singapour, je me suis vite rendu compte que c’était inutile : en Asie, la culture de l’investissement prime, il faut être synthétique, valoriser la carrière d’un artiste d’un point de vue stratégique, financier. Les Américains ont le même sens pragmatique, mais sont plus pointus. J’y ai découvert le rôle de l’adviser, cet intermédiaire qui agit au nom des collectionneurs, même débutants. Chaque marché a ses exigences, et pour y répondre, il faut savoir adapter ses arguments.
De retour en France, vous prenez la direction de la galerie Templon, l’une des plus influentes à Paris.
J’étais venue trouver Daniel Templon pour lui demander conseil au sujet de ma carrière. Lui qui ne cherchait personne – il venait de recruter deux directeurs – m’a convaincue de les rejoindre dans l’aventure. Anne-Claudie Coric, qui faisait depuis longtemps partie de l’équipe, a redistribué les cartes : chacun s’est vu attribuer différents artistes, et compte tenu de mon parcours, j’ai hérité des créateurs indiens, chinois, africains et américains, parmi lesquels Iván Navarro, Gregory Crewdson, Jitish Kallat et Omar Ba. J’ai beaucoup appris, et très vite : la première année, j’ai enchaîné Art Dubai, Art Basel Hong Kong, Art Paris, Armory Show… une immersion soudaine et intense dans l’univers des foires. Je me souviens notamment de l’arrivée de Daniel sur le stand d’Art Basel, juste avant le vernissage : j’avais assuré l’accrochage seule et craignais d’avoir commis une erreur. Tout lui convenait, sauf que je n’avais pas encore posé les cartels : s’en est suivie une conversation de deux heures, dont je me serais bien passée après douze heures de montage ! Sa rigueur a été la meilleure des leçons.

 

Stras Bear (né en 1974), Grizzly, de la série « Save the Savage », 2021, acrylique sur toile, 195 x 114 cm. © courtesy BY LARA SEDBON
Stras Bear (né en 1974), Grizzly, de la série « Save the Savage », 2021, acrylique sur toile, 195 114 cm.
© courtesy BY LARA SEDBON


En 2019, vous créez votre structure, By Lara Sedbon. Comment s’est dessinée votre ligne ?
De façon très intuitive. Quand j’ai quitté la galerie Templon, je n’avais pas d’autre projet que celui d’avoir un enfant. L’idée est venue d’elle-même : je collectionnais à titre personnel, notamment Léonard Combier, que j’ai d’abord présenté à AKAA, au Carreau du Temple, en novembre 2019, avant de lui consacrer un solo show à Art Paris en septembre 2020. Le stand a fait un sold out ! Un succès suite auquel je me suis laissé guider par mes choix de collectionneuse, alliant talents émergents et confirmés, comme Richard Texier, dont le travail sur l’élastogenèse, cette théorie faisant l’éloge du mou, me fascine. J’ai progressivement fait rentrer de nouveaux artistes qu’il fallait rendre visibles. D’où ma recherche d’un lieu physique.
Cet espace, vous avez choisi de l’investir de manière temporaire. Pourquoi ?
Entre le rythme frénétique des foires et la quête de moments exclusifs, je ne ressentais pas la nécessité d’occuper un lieu de façon permanente. La génération de galeristes à laquelle j’appartiens a autre chose à offrir. Ensemble, nous inventons un modèle alternatif que les foires reconnaissent de plus en plus. Guillaume Piens a été le premier à le comprendre, en me confiant l’an dernier un stand sous la nef du Grand Palais, au centre d’Art Paris.
Vous avez opté pour une géographie stratégique, au cœur du Marais. Un quartier déjà saturé en galeries d’art...
À l’origine, je voulais investir des endroits différents à chaque exposition. Mais les locations où il est permis de percer sont rares, et, sortant de la galerie Templon, je ne voulais pas entendre parler de cimaises. Et puis, le Marais diffuse une énergie positive : je m’entends particulièrement bien avec la Galerie 193 de César Lévy. Quand il a des visiteurs, il me les envoie, et inversement. C’est un cercle vertueux. Je ne crois d’ailleurs pas à l’idée de concurrence dans ce métier : nous avons tant à nous apporter les uns les autres.
L’élan de vos débuts a été stoppé net par la crise sanitaire.
Se lancer en pleine pandémie et enceinte de huit mois était une vraie gageure. En mars dernier, l’annonce du premier confinement m’a contrainte à fermer le solo show que je consacrais à Michel Platnic, en collaboration avec Raphaël Durazzo, un spécialiste du second marché, et ce, trois jours après l’inauguration. Une décision d’autant plus difficile à prendre que nous avions fait venir les œuvres d’Israël...

 

Rebecca Brodski (née n 1988), Midnight Interrogation, 2021, huile sur toile, 61 x 50 cm. © courtesy BY LARA SEDBON
Rebecca Brodski (née n 1988), Midnight Interrogation, 2021, huile sur toile, 61 50 cm.
© courtesy BY LARA SEDBON


L’histoire s’est tristement répétée avec l’exposition « Demain, la jeune scène française ».
J’avais pris le risque d’accrocher parce que toutes les foires auxquelles nous devions participer avaient été décalées. Je voulais honorer la promesse faite aux artistes. Fermer l’exposition le lendemain de son ouverture a été un vrai coup dur, d’autant que le vernissage était exceptionnel, comme une ultime respiration.
En attendant qu’elle rouvre ses portes, pouvez-vous nous la présenter ?
Elle réunit des œuvres de Rebecca Brodskis, Léonard Combier, Tudi Deligne, Lélia Demoisy, Eugénie Modai, Stras Bear et Stephen Whittaker. Tous appartiennent à la jeune scène française, un vivier de talents qui peinent à s’exporter en raison du manque de soutien que leur témoignent les institutions. Je voulais créer une synergie entre eux, qui restent souvent isolés dans leurs ateliers. Des dialogues fertiles se sont noués entre les œuvres de Lélia et de Stephen, de Léonard et d’Eugénie… Cette dynamique de groupe fait partie de l’ADN de la galerie. Tous les artistes avec lesquels je travaille partagent cette joie de vivre contagieuse. Un optimisme que certains transmettent par la profusion de détails, d’autres par la couleur. Faire ce pari du collectif me semblait être un formidable antidote à la morosité ambiante.
Comment avez-vous négocié le virage digital imposé par la crise ?
Moi qui me méfiais des plateformes de ventes en ligne, j’ai récemment rejoint Artsy : j’y ai découvert une catégorie de collectionneurs insoupçonnée, venus notamment de régions reculées des États-Unis, qui n’a pas accès aux grands événements rythmant le calendrier du marché. Aux viewing rooms, devenues la norme, je préfère les capsules Instagram : des vidéos d’œuvres commentées, réalisées en collaboration avec les artistes. Ce contenu digital interactif est plus incarné.
Quels sont vos projets ?
Je participerai fin mai à Paris, dans les locaux de Cornette de Saint Cyr, à la première édition de Menart Fair, un salon dédié à la scène du Moyen-Orient et du Maghreb, lancé par Laure d’Hauteville, la fondatrice de la Beirut Art Fair. Viendront ensuite DDessin, mi-juin, juste avant artgenève, puis Art Paris en septembre, où je partagerai un stand sur le thème de l’hybridation avec la Galerie 193.

Lara Sedbon
en 7 dates
1987
Naissance à Paris
2005
Hypokhâgne et khâgne au lycée Condorcet
2008
Poursuit ses études à l’ESSEC et à l’EHESS
2012
Directrice adjointe de Art Plural Gallery à Singapour
2014
Directrice adjointe de la galerie Templon à Paris
2019
Lancement de By Lara Sedbon Participe à AKAA au Carreau du Temple
2020
Solo show de Michel Platnic dans son espace rue de Turenne
à voir
« Demain, la jeune scène française » By Lara Sedbon
126, rue de Turenne, Paris III
e
www.bylarasedbon.com
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