Événement du printemps culturel parisien, le Salon du dessin devrait montrer une nouvelle fois sa capacité à satisfaire tous les collectionneurs et à accompagner l’évolution des goûts.
Un succès annoncé… Cette 28e édition du Salon du dessin compte bien s’imposer encore un peu plus comme un rendez-vous incontournable, peu de foires internationales pouvant s’enorgueillir de voir se côtoyer dans leurs allées les conservateurs des plus grands musées américains et européens. «On a pris des risques il y a vingt-sept ans, lorsqu’on a créé ce salon, et cela paie aujourd’hui», explique l’un des fondateurs de l’événement, Bertrand Gautier. L’année dernière, on a vu sa fréquentation augmenter de 11,5 %, portant le nombre de visiteurs à 14 500 en six jours. Mais la rançon du succès est là, avec un turnover des plus restreints parmi les marchands. D’une part, parce que le nombre de trente-neuf exposants est un plafond au-delà duquel l’organisation de l’espace se compliquerait ; d’autre part, parce que personne ne veut céder sa place. Mais quatre petits nouveaux tous étrangers ont réussi à se frayer un chemin, dont la bruxelloise Lancz Gallery, spécialiste de la peinture belge moderne, et la galerie José de la Mano à Madrid, qui portera haut le dessin espagnol, à l’image de son Portrait de Francisco Tomás de Longa y Anchía, général guerillero de la guerre d’indépendance, par Vincenzo Lopez. Variété des styles et ambiances différentes apportent beaucoup au salon : «Le critère le plus important au moment du choix des exposants est la qualité. Après, à qualité égale, quand un marchand a une identité originale, c’est un plus», explique le président Louis de Bayser.
Pour tous les collectionneurs curieux
Aucun équivalent à la manifestation n’existe à l’heure actuelle à New York ou à Londres, et la section Tefaf Paper à Maastricht, qui accueille également des libraires, ne fait pas le poids. Aussi le salon attire-t-il tous les collectionneurs de dessins, mais également de nouveaux amateurs qui viennent par curiosité dans ce rendez-vous à taille humaine. Son format «boutique fair» résiste mieux que les grandes foires à la lassitude que ces dernières semblent susciter chez certains. Bref, le palais Brongniart abrite un événement unique, sur lequel misent les marchands français comme étrangers. Il accueille ainsi cette année vingt enseignes françaises et dix-neuf étrangères. Les Américains sont bien représentés, avec cinq galeries dont le primo-exposant Christopher Bishop, venant de Milford. Il présentera des œuvres du XVIIe siècle, dont La Parabole du semeur de Nicolas Colombel (1644-1717) et Loth et ses filles du Guerchin (1591-1666). Face à la raréfaction des feuilles sur un marché par ailleurs plus raisonnable en termes d’attributions et beaucoup plus pointu, les dessins Renaissance, XVIIe et XVIIIe se font de plus en plus discrets. Le marchand de Rotterdam Onno Van Seggelen a eu la chance de dénicher un lavis gris de l’artiste néerlandais Herman Saftleven (1609-1685), une belle Récolte de fruits (septembre), et le Londonien Stephen Ongpin, un Portrait d’homme portant un chapeau du Français Nicolas Lagneau (1590-1666), grand observateur, parfois jusqu’à la caricature des hommes et femmes sous Louis XIII. En compagnie d’une autre nouvelle galerie, la genevoise Grand-Rue, nous entrerons en plein cœur d’un XIXe siècle particulièrement présent. Un ensemble d’aquarelles de Salomon Corrodi (1810-1892), Suisse ayant effectué la plus grande partie de sa carrière en Italie, décrit des paysages romains ou de la région napolitaine telle la Vue de Baia près de Naples avec le Vésuve au loin dans le style néoclassique dont étaient si friands les adeptes du Grand Tour. «D’autres artistes voyageurs, tels que David Roberts (1796-1864), Edward Lear (1812-1888) ou Amadeo Preziosi (1816-1882), vous feront également rêver avec leurs vues orientalistes», ajoute Marie-Hélène Giostra, collaboratrice de Marie-Laure Rondeau, qui possède la galerie depuis trente ans.
Modernité viennoise
«Le XIXe rentre désormais dans le domaine de l’ancien. On se rend compte maintenant de l’importance de ce siècle, qui reste un pan extraordinaire de l’histoire de l’art à découvrir et à approfondir», explique Bertrand Gautier. Sa production, beaucoup plus abondantes que celle des époques précédentes, offre une grande variété de choix, de styles et de prix. Pour se lancer dans une nouvelle collection, quoi de mieux qu’un pastel d’Eugène Delacroix décrivant des Branches de physalis et de marguerites (galerie Nathalie Motte Masselink) ou une Étude pour Sainte Geneviève en prière du symboliste Pierre Puvis de Chavannes (Didier Aaron)… L’amour de la ligne et de la tradition classique est encore sensible dans une Étude de femmes à la pierre noire et au lavis brun du Danois Christoffer Wilhelm Eckersberg (1783-1853), présentée par la galerie De Bayser avec de nombreux autres dessins du XIXe siècle signés Victor Hugo et Théodore Géricault, mais aussi quelques feuilles anciennes de la main de Coypel ou de Boucher. Depuis plusieurs années maintenant, les marchands généralistes présentent également davantage de feuilles du XXe siècle. Cette tendance se poursuit, participant au fait qu’aujourd’hui la moitié des œuvres exposées relève de l’art moderne. À ce titre, Vienne s’est révélé un champ fécond d’expérimentations, où se sont illustrés Gustav Klimt et Egon Schiele, dont on a fêté le centenaire de la disparition. De ce dernier, la galerie viennoise Wienerroither & Kohlbacher présente une gouache et aquarelle d’une grande intensité, aux côtés d’un dessin au crayon du premier, Femme à demi-nue inclinée vers la droite, à la sensibilité à fleur de peau. On s’attardera encore devant un paysage marin idéalement épuré, Sommer Abend, une aquarelle peinte en 1933 sur les bords de la Baltique par l’un des fondateurs de l’école du Bauhaus classé par les nazis parmi les artistes dégénérés Lyonel Feininger (Reginart Collections). L’art contemporain tentera quant à lui une percée avec des dessins à la frontière de la peinture, comme une Composition abstraite d’Alfred Manessier (Antoine Laurentin) ou les paysages peints à la colle et les pastels de Jean-Baptiste Sécheret, artiste né en 1957 auquel la galerie Jacques Elbaz consacre un solo show.
Paris et son potentiel artistique
Au-delà des quelque mille feuilles présentées par des marchands, le Salon du dessin propose deux expositions. Celle de Chaumet, maison qui revient pour la deuxième année consécutive au palais de la Bourse, présente en collaboration avec le botaniste Marc Jeanson des dessins de projets de bijoux inspirés de la nature. Pour la seconde, le musée Carnavalet a tout naturellement choisi pour sujet les «Fêtes et spectacles à Paris du XVIIe au XXe », qui fait écho au colloque des 27 et 28 mars, le quatorzième du genre, ayant pour thème «Le dessin et les arts du spectacle». L’une des recettes du succès du salon est d’avoir réussi à susciter une offre culturelle hors les murs, regroupée sous l’intitulé «Semaine du dessin», avec des propositions prouvant une fois encore l’exceptionnel potentiel parisien. Parmi la vingtaine de musées et institutions partenaires se distinguent la présentation aux Beaux-Arts de trente chefs-d’œuvre, dont quatre feuilles de Léonard de Vinci, et la pléthorique exposition des collections graphiques du musée Pouchkine à la Fondation Custodia. Six jours pour se faire l’œil et, pourquoi pas, rejoindre le cercle privilégié des collectionneurs de dessins.