En compagnie du Louvre, la villa Médicis fait honneur aux moulages des statues antiques, qui ont servi à la diffusion de l’idéal gréco-romain.
Cette exposition est une belle étape dans la réhabilitation du plâtre, matériau maltraité dans l’histoire de la sculpture. Dans le cadre d’un partenariat lancé par Jean-Luc Martinez et Éric de Chassey, le Louvre et la villa Médicis ont monté cette exposition éclairante sur les moulages qui ont permis de propager en Europe l’image de la statuaire gréco-romaine. Bruno Racine fut le premier directeur de la Villa à s’inquiéter du sort problématique de ces reproductions. Un passage de l’exposition est consacré aux débris de statues cassées quand Balthus, qui a régné sur la colline romaine de 1961 à 1978, a choisi de s’en débarrasser et de reléguer ce qu’il en restait dans un caveau humide. Il ne faisait qu’exprimer le mépris dans lequel étaient tenues ces copies de travail. En 1901, pour faire de la place dans les salles, le Louvre jeta une partie de sa collection à la décharge. Les plâtres académiques ont aussi souffert du pillage de la troupe napolitaine et du vandalisme, des émeutiers romains de 1793 aux étudiants des Beaux-Arts après Mai 68. Quand les statues graffitées furent mises à l’abri à Versailles, les grands modèles ont été sciés pour le déménagement. Cet héritage de l’Académie royale a depuis rejoint le fonds du musée du Louvre, qui compte plus de 4 500 exemplaires. Parallèlement à une campagne de restauration, le Louvre puis la villa Médicis se sont enfin dotés d’une gypsothèque. Comme l’illustrent cette exposition et son précieux catalogue, ces ouvrages sont des témoignages de la tradition académique, mais aussi de l’histoire du goût. Elle est malheureusement desservie par des panneaux dont les formules érudites («second né du creux romain», «les fameux cristaux maclés», etc.) ne manquent pas d’étonner.
Versailles, nouvelle Rome
Les Romains usaient déjà du moulage pour reproduire les marbres grecs. François Ier envoya deux fois Primatice à Rome lui rapporter des plâtres et des «antiquailles». L’examen des coutures du Gaulois mourant, présent à l’exposition, a permis de déduire que ce modèle a servi, à la Renaissance, à couler le bronze du château de Fontainebleau. La période la plus active de commandes suivit la fondation de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1666, d’autant que le pape interdit alors l’exportation des statues antiques. Il s’agissait d’enrichir le décor de Versailles, cette nouvelle Rome. Les moulages reprirent dans la foulée de la Révolution et de son exaltation de l’héroïsme viril. Directeur de la villa Médicis de 1834 à 1841, Ingres fit plusieurs envois à Paris, dont une tête de cheval de sept mètres de haut, qu’il pensait une antiquité romaine, mais qui avait été moulée sur une sculpture du XVe siècle de Donatello. Il n’est pas aisé de dater ces tirages, qui furent parfois repris et modifiés. La technique permet d’établir des repères (sur certains ressortent des armatures comme un manche à balai ou un os). La date de 1686 a été découverte dans un emboîtement d’un fils de Niobé, petit miracle qui permet d’enrichir un socle de comparaison pour la période. Cette année-ci, Cosme III de Médicis voulut bien autoriser le moulage du groupe en marbre des Niobides à Florence, qui fut copié plusieurs fois – à l’instar de la Pietà de Michel-Ange. Un effet durable de cette production de plâtres pour l’histoire de la sculpture et de l’architecture est la disparition de la couleur, tant appréciée des Grecs, et, dans une moindre mesure, des Romains, engloutissant l’Europe dans une «vague blanche» qui nous aveugle encore aujourd’hui.