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La tabatière de Choiseul bientôt au Louvre ?

Publié le , par Sophie Humann

Le Louvre a lancé une grande opération de mécénat pour acquérir la célèbre tabatière du ministre de Louis XV. Le public se mobilise pour que cet objet exceptionnel entre dans les collections nationales.

Louis Roucel et Nicolas Van Blarenberghe, la tabatière Choiseul, 1770-1771. © Musée... La tabatière de Choiseul bientôt au Louvre ?
Louis Roucel et Nicolas Van Blarenberghe, la tabatière Choiseul, 1770-1771.
© Musée du Louvre - Hervé Lewandowski

Des tabatières, le Louvre en dénombre déjà plus de six cents dans ses collections. Le musée a pourtant lancé sa treizième grande campagne «Tous mécènes  pour en acquérir une autre, que la famille Rothschild, propriétaire de l’objet depuis le XIXe siècle, lui cède au prix stratosphérique de 3,9 M€. Il faut dire que la célébrité de cette œuvre d’art est aussi considérable que ses apparitions sont rares : si tout le monde connaissait l’existence de la tabatière du duc de Choiseul (1719-1785), personne ne l’avait vue. La voici exposée dans l’aile Sully jusqu’à la fin de l’appel aux dons, le 28 février. D’ici là, l’institution espère récolter 1,2 M€ auprès du grand public. Les Amis du Louvre ont promis 500 000 €, les grands donateurs et les entreprises étant sollicités pour le reste. Objet exceptionnel par sa facture, la «tabatière Choiseul» l’est aussi par le témoignage qu’elle livre sur une figure de l’histoire de France et pour son apport à celle des arts. Mettant en scène la richesse et le pouvoir du plus puissant ministre de Louis XV, à la veille de sa spectaculaire disgrâce, elle possède aussi une dimension émotionnelle particulière. L’œuvre a été réalisée entre juillet 1770 et le même mois de l’année suivante, comme le prouvent ses poinçons, par l’orfèvre du roi Louis Roucel (reçu maître en 1763). De forme rectangulaire et à pans coupés, elle mesure 8 cm de long, sur 6 de large et 2,4 cm de hauteur. Sur chacune de ses six faces, le maître de la miniature Louis Nicolas Van Blarenberghe (1716-1794) a peint à la gouache, sur vélin, des scènes d’intérieur d’une extraordinaire précision, représentant l’homme d’État dans sa vie quotidienne et l’exercice de ses fonctions. Montées «à cage», elles sont protégées par des plaques de cristal et encadrées par des frises et des pilastres en ors de deux couleurs.
 

La Galerie des peintures. © Musée du Louvre - Hervé Lewandowski
La Galerie des peintures.
© Musée du Louvre - Hervé Lewandowski

Choiseul, ministre et collectionneur
À la cour de Louis XV, la manie de priser était à la mode tant chez les hommes que chez les femmes, et chacun exhibait des tabatières toujours plus raffinées, si possible sorties des mains d’un des orfèvres parisiens du quartier de la place Dauphine, comme Louis Roucel. La duchesse de Bourbon elle-même en possédait près de trois cents… Celles ornées par le Lillois Nicolas Van Blarenberghe s’arrachaient. Nul mieux que cet ancien peintre de campagnes militaires, rejoint plus tard par son fils Henri Joseph (1741-1826), ne savait observer et donner de la vie aux scènes microscopiques qu’on lui commandait : paysages semblant frémir d’une brise légère, ports fourmillant d’activité, vues de châteaux et de parcs animés de promeneurs. En 1767, le duc de Choiseul avait commandé aux Van Blarenberghe une première tabatière, aujourd’hui conservée au MET de New York, qui évoquait les jardins de son château de Chanteloup. Celle de 1770 est beaucoup plus originale. «Son sujet n’est pas du tout conventionnel, précise Michèle Bimbenet-Privat, conservatrice en chef au département des Objets d’art. Cette mise en abîme d’un personnage dans son cadre de vie est unique pour un objet décoratif.» Quatre faces de la tabatière montrent en effet le duc en son hôtel de la rue de Richelieu, les deux dernières le représentant en plein travail, dans son appartement ministériel à Versailles et Galerie du bord de l’eau, devenue la Grande Galerie au palais du Louvre. Étienne François de Choiseul, malgré une figure peu gracieuse – dont on reconnaît aisément dans chaque scène le nez en trompette et la bouche charnue –, était selon les historiens suffisant, jouisseur et fin politique. Marié en 1750 avec la petite-fille du financier Antoine Crozat, il en avait hérité la fortune et l’hôtel, rue de Richelieu. Fils de François Joseph Choiseul, marquis de Stainville, il sut également se faire apprécier de Madame de Pompadour, et donc du roi. Après une carrière de diplomate, il devint en 1758 secrétaire d’État aux Affaires étrangères, auxquelles il allait ajouter la Guerre et la Marine.

 

La Chambre bleue.© Musée du Louvre - Hervé Lewandowski
La Chambre bleue.
© Musée du Louvre - Hervé Lewandowski


Dans son hôtel, celui qui devint duc en 1757 avait accumulé une impressionnante collection d’œuvres, dont beaucoup de toiles de maîtres hollandais et flamands du siècle précédent. Sur le fond de l'objet, on le voit justement, dans sa tenue de colonel général des Suisses et Grisons, faisant visiter sa galerie de peintures. Une loupe à la main, l’homme devise avec d’autres personnages, dont plusieurs portent aussi l’uniforme. Deux amateurs s’appuient sur les fauteuils alignés contre le mur pour mieux admirer l’un des vingt-quatre tableaux figurés, accrochés bord contre bord. Malgré leur petitesse – quelques millimètres chacun –, la plupart d’entre eux ont pu être identifiés, tels un autoportrait de Rembrandt et une scène animalière de Paulus Potter, grâce au recueil d’estampes réalisé par le graveur Pierre François Basan (1723-1797) en 1771 à la demande du duc. La marqueterie du parquet est aussi délicate que celle de la chambre bleue qui orne le couvercle, les ors du plafond de la pièce répondant à ceux des lambris. Le lit à la polonaise est habillé du même damas de soie bleu que les murs. On distingue encore le profil en médaillon de Louis XV dans le trumeau au-dessus de la cheminée, un cabinet, un secrétaire à abattant au décor dit «à la grecque»… Choiseul accueille une dame, vraisemblablement sa sœur, tandis qu’un groupe d’hommes devisent de l’autre côté de la pièce, et que deux petits chiens blancs animent le premier plan. Au mur, on reconnaît ici encore des toiles des maîtres du Nord, Jan Steen, Gerard Ter Borch, mélangées à celles des peintres de l’école française du XVIIIe siècle Jean-Baptiste Greuze ou Joseph-Marie Vien.
 

Le Cabinet octogone.© Musée du Louvre - Hervé Lewandowski 
Le Cabinet octogone.
© Musée du Louvre - Hervé Lewandowski

Un document unique
Sur un côté de la tabatière, dans une chambre blanc et or, un bureau plat est encombré de documents. Si le ministre est visiblement à sa toilette, son devoir n’est jamais loin ! Deux bureaux comparables figurent dans les scènes suivantes : le premier dans le cabinet octogone, où Choiseul semble aller et venir un papier à la main, au milieu de toiles signées Wouwerman, Vernet, Le Lorrain, Rubens ; le second dans l’appartement de Versailles, où le duc est en train de dicter à deux secrétaires. On reconnaît là celui acquis par lui en 1763, initialement commandé à l’ébéniste Antoine Robert Gaudreaus et au bronzier Caffieri pour Pierre Grimod du Fort (1692-1748). Propriété de Talleyrand, puis de Metternich, ce meuble est aujourd’hui dans une collection privée. À elle seule, la dernière face ornementée justifierait l’entrée de ce joyau au Louvre. Le duc de Choiseul y discute avec des ingénieurs militaires devant les plans-reliefs, dont la collection à l’époque était disposée dans la Galerie du bord de l’eau. Au-dessus d’eux, sur la première moitié de la voûte, on distingue les décors disparus que Nicolas Poussin réalisa entre 1641 et 1642. Si le musée en conserve les esquisses préparatoires, la tabatière est la seule représentation de ces peintures connue à ce jour. Malgré leur format lilliputien, une équipe pluridisciplinaire de chercheurs réunis autour de Michèle Bimbenet-Privat et de Thierry Sarmant, conservateur général aux Archives nationales, va essayer de reconstituer la disposition des différentes scènes, enquêter sur les personnages et les objets de la tabatière n’ayant pas encore livré leurs identité ou leur origine, et tenter de comprendre qui l’a commandée et à quelle date. Compromis par la nouvelle favorite du roi, le duc de Choiseul fut destitué le 24 décembre 1770, et quitta Paris le jour même pour son château de Chanteloup. Dès 1772, sa collection de tableaux fut dispersée et l’hôtel de la rue de Richelieu vidé. Avait-il lui-même voulu cet objet d’art à sa gloire ? Le lui a-t-on offert après sa chute en consolation ? Si le musée parvient à boucler son tour de table, on aura peut-être bientôt la réponse. Le 10 janvier, 946 000 € étaient déjà collectés auprès de 3 800 donateurs…

à voir
Musée du Louvre, aile Sully, 1er étage, salle 609, tél. : 01 40 20 53 17.
Jusqu’au 28 février 2023.
www.louvre.fr
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