Chapeau bas ! Pierre-Yves Le Pogam propose ici une somme scientifique très sérieuse et très accessible aux néophytes, ou presque. Le parti-pris du conservateur du département des Sculptures du Louvre est pluriel, comme le gothique qu’il veut nous faire aimer en montrant la profusion de ses matières, ses dimensions, ses dialectiques, et surtout sa polychromie. Il opère des va-et-vient constants entre les foyers de créations français et italiens bien sûr, mais aussi espagnols, portugais, anglais, scandinaves et romains-germaniques, tout en insistant sur leur partage d’un même langage artistique. Avant d’adopter une démarche chronologique – dont le chapitre sur le gothique international a été confié à la directrice des Sculptures du Louvre, Sophie Jugie –, Pierre-Yves Le Pogam propose trois chapitres préliminaires qui mettent en perspective le sujet et donnent des clés pour se plonger dans un monde énigmatique, honni par Vasari et les hommes de la Renaissance, mais sauvé justement à partir du XIXe siècle parce qu’il recélait encore bien des mystères. Dans la partie consacrée aux conditions de création, le fin connaisseur de la « mise en scène du sacré » passe d’entrée de jeu en revue l’ensemble des inconnus qui résistent aux chercheurs, qui peinent encore à identifier les créateurs. Il décrit un univers, selon toute apparence, masculin, où les prérogatives féminines devaient être extrêmement réduites, contrairement à l’enluminure ou aux arts textiles : ce qui est fort probable, car les sculpteurs étaient issus du monde des chantiers de construction. Mais les femmes étaient néanmoins présentes dans les rangs des manœuvres. Dans « Lire la sculpture », le spécialiste de l’épigraphie nous fait découvrir un florilège de commanditaires ambitieux et cultivés au cœur d’un contexte politique et social. Le lecteur, qu’il soit simple curieux ou amateur averti, aura le loisir de s’interroger sur un style, « variante locale de la sculpture romane ou un art nouveau ? », et sa conquête du réel en parcourant les 440 pages richement illustrées, où nombre de détails inattendus sautent aux yeux – photographier une sculpture est déjà en soi, grâce au choix de l’angle et de la lumière, s’immiscer dans le lien entre l’œuvre et le spectateur.