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La préhistoire dessine un retour réussi

Publié le , par Anne Doridou-Heim

Attention, l’âge de glace sort des cavernes. Bien décidé à laisser son empreinte dans le XXIe siècle, il s’en donne les moyens et se réinvente grâce aux nouvelles technologies.

La grotte, diverticule axial, Centre international de l’art pariétal, Lascaux.  La préhistoire dessine un retour réussi
La grotte, diverticule axial, Centre international de l’art pariétal, Lascaux.
© Dan Courtice Semitour Périgord

L’actualité est dense pour les anonymes de la Préhistoire, la terre s’ouvre et les révèle à la lumière. Terminé le long sommeil dans le permafrost de Sibérie, nettoyées les vitrines sans âge de musées poussiéreux, déblayés les éboulis protecteurs qui les avaient dissimulés au regard pendant des millénaires… Depuis le printemps 2015 et l’inauguration de la caverne du Pont d’Arc à quelques encablures de l’entrée tenue secrète de la grotte Chauvet, expositions, musées rénovés et nouveaux espaces se succèdent. Avec, en aboutissement le 16 décembre 2016, la découverte très attendue de Lascaux IV. La vente par la maison Binoche et Giquello invite à remonter aux sources, lorsque hommes et animaux se partageaient l’espace. Plus de 410 000 visiteurs en 2016. L’objectif est atteint pour le nouveau musée de l’Homme. D’autant plus  on ne cesse de le répéter mais c’est la triste vérité , que le contexte est des plus difficiles pour la culture. Peut-être justement est-ce une raison de son succès ? Dans une période de doutes et de questionnements, s’immerger au cœur de l’humanité peut rassurer…
Raconter l’aventure humaine
L’établissement a également déployé beaucoup d’atouts pour attirer le public. Le lieu est davantage qu’un simple musée, il est tout à la fois, musée de sciences et de société, lieu de conservation, centre de recherche avec 150 spécialistes, et lieu d’enseignement et de formation. La refonte complète de son parcours et de ses espaces, au terme de six années de travaux ambitieux, offre au visiteur un «regard riche sur notre humanité dans toute sa diversité et ouvre des pistes sur l’avenir que nous forgeons», selon les propos mêmes de son président, Bruno David. Et il faut bien l’avouer, la galerie de l’Homme conçue en un long travelling sur notre évolution, et mise en scène avec une spectaculaire envolée de bustes du XIXe siècle, est fascinante. Cœur palpitant du musée, logée dans l’espace le plus vaste  2 500 m2 sur deux niveaux , elle propose de plonger dans le crâne d’un Cro-Magnon ou dans celui de Descartes, d’admirer les courbes préhistoriques de la Vénus de Lespugue, sculptée il y a plus de vingt mille ans ou encore de disséquer les étranges cires anatomiques du chirurgien André-Pierre Pinson (1746-1828), emblèmes de l’anatomie du siècle des Lumières. Un voyage extraordinaire au cœur de notre histoire, retraçant l’évolution des lignées, l’émergence progressive d’Homo sapiens, décrivant les premiers outils, l’apparition de l’art et de la pensée symbolique et témoignant de la grande diversité des sociétés humaines et de leurs richesses. Raconter l’aventure humaine et la rendre accessible à tous n’était pas tâche aisée. Elle est réussie.
L’appropriation de l’art
Les collections du musée de l’Homme datant de la Préhistoire présentent une grande diversité géographique et chronologique au travers notamment de six mille objets illustrant
l’appropriation de la nature par les sociétés humaines. Grâce à quelques-uns de ces outils, l’homme a pu s’engager dans le long processus créatif et développer l’envie d’orner son abri de peintures murales, donnant ainsi naissance à l’art pariétal. Deux lieux récemment ouverts dans le sud de la France en témoignent : la caverne du Pont d’Arc et Lascaux IV. Découverte par hasard un dimanche de décembre 1994 par trois spéléologues amateurs, la grotte Chauvet révèle des peintures d’une facture très élaborée, datées par le carbone 14 d’environ 36 000 av. J.-C., soit de l’Aurignacien. Coup de tonnerre dans le milieu plutôt discret de la paléontologie régi par les travaux de l’ethnologue et archéologue André-Leroi-Gourhan. Celui-ci, à l’appui de fouilles archéologiques, avait dressé une évolution stylistique générale de l’art rupestre et dessiné un aboutissement sous les époques solutréennes (- 20 000 à 15 000) et magdaléniennes (- 15 000 à - 10 000). Les chevaux, lions, rhinocéros laineux, ours des cavernes et autre figures animales, tous saisis sur le vif, chassant ou s’ébattant en liberté sur les parois de la grotte, font reculer l’échelle artistique de quelques milliers d’années. Il 
s’en dégage une impression de puissance et de vie saisissante, reproduite en utilisant tous les procédés existants alors, sans négliger une recherche de la profondeur et de la perspective jouant des reliefs et des irrégularités de la roche. De plus, certaines représentations  panthère, hibou, partie inférieure d’un corps féminin  sont uniques dans l’art pariétal paléolithique. Le site, inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco en juin 2014, était bien évidemment impossible à ouvrir à la visite, une reconstitution non loin du lieu original s’est donc vite imposée. Inaugurée le 10 avril 2015, la Caverne du Pont d’Arc  plus importante réplique de grotte ornée au monde , a accueilli près de 600 000 visiteurs la première année  dépassant largement les objectifs fixés situés entre 300 000 et 400 000 personnes. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la Caverne s’apprête à atteindre le millionnième visiteur.
La Sixtine du magdalénien
La salle des Taureaux présente la composition la plus spectaculaire de Lascaux ; dans les salles voisines, chevaux, bisons, cerfs, bouquetins, félins, aurochs et rhinocéros, extrêmement réalistes, se succèdent et se fondent dans les parois qui les accueillent depuis près de dix-sept mille ans. Ces peintures marquent une quintessence. Fortuite, comme celle de la plupart des quelque deux cents grottes ornées par les Paléolithiques en France et en Espagne entre 22 000 et 10 000 ans av. J.-C., sa découverte le 12 septembre 1940 offrait au monde émerveillé de réaliser que les hommes de la Préhistoire étaient des artistes à part entière. Mais la protection de ces sites naturels, témoignages indispensables de l’humanité, n’en était encore qu’aux balbutiements. Et la grotte sera piétinée par des centaines de milliers de visiteurs pendant plus de vingt années, avant que sa fermeture définitive n’intervienne enfin en 1963 sur décision d’André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles. Un fac-similé est aménagé en 1983 : il a accueilli plus de dix millions de visiteurs. Le succès est tel que Lascaux III, un concept original d’exposition itinérante, est conçu ; il parcourt le monde depuis 2012. Cela ne suffisait pas encore, Lascaux II atteignait ses limites, la nécessité d’un nouvel équipement culturel se faisait sentir. Le projet Lascaux IV est lancé. Il vient d’aboutir et le Centre international de l’art pariétal Montignac-Lascaux a été inauguré le 15 décembre dernier. Son point central en est le fac-similé reproduisant l’intégralité de la grotte grâce aux techniques et au savoir-faire de l’Atelier des fac-similés du Périgord. Installé à Montignac, cet atelier est spécialisé dans la reproduction à l’échelle 1 de parois ornées grâce à une technique brevetée : le voile de pierre. Pour Lascaux IV, la commande était immense : 900 m2 de fac-similés à réaliser en trois ans. Pépite supplémentaire, l’atmosphère originale a été recréée : température, humidité, éclairage, sons… afin d’offrir un véritable voyage au plus près de la civilisation de l’homme de Cro-Magnon. Rien n’a été négligé pour favoriser l’immersion. Après un mois d’ouverture, 28 300 visiteurs très précisément étaient déjà venus  du jamais vu à Montignac en période hivernale ! , la fréquentation du centre dépasse donc largement les espérances. Chef-d’œuvre de l’humanité, Lascaux continue à nourrir notre imaginaire collectif et à nous questionner sur nos origines. Avec la réussite éclatante de ces trois établissements rénovés ou créés, une question s’impose. Le salut de la culture passerait-il par la Préhistoire ? 

 


LA PRÉHISTOIRE
EN QUELQUES CHIFFRES


700 000 objets de préhistoire
occupent les espaces du musée de l’Homme.

1 000 dessins et 425 figures animales
de 14 espèces différentes se dévoilent dans la grotte Chauvet.

Un bâtiment de 8 500 m2, 150 mètres de long,
70 mètres de profondeur et 8 mètres de haut accueille Lascaux IV.
 
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