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La photo selon Emmanuelle de l’Écotais

Publié le , par Sophie Bernard

Depuis les années 1970, la photographie a trouvé sa place dans les collections du musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Entretien avec la responsable de ce département, spécialiste de Man Ray.

Mohamed Bourouissa (né en 1978), Sans titre, 2013, photographie couleur, 160 x 111... La photo selon Emmanuelle de l’Écotais
Mohamed Bourouissa (né en 1978), Sans titre, 2013, photographie couleur, 160 x 111,5 cm. 
Courtesy de l’artiste et kamel mennour, Paris/London © Adagp, Paris, 2018

Avant d’intégrer ses collections en 1980, quelle était la place de la photographie au musée d’Art moderne de la Ville de Paris (MAMVP) ?
Comme dans de nombreux musées français, elle était cantonnée au statut de document, et il n’y avait pas de collection dédiée. Elle n’était pas considérée comme un art. Cependant, dans les années 1970, le MAMVP a commencé à réaliser de vraies expositions consacrées à la discipline : «Jean-François Bauret» en 1971, «Florence Henri» en 1978. Dès la première édition du Mois de la photo, en 1980, le musée, alors dirigé par Suzanne Pagé, a été partenaire de cette manifestation parisienne qui allait contribuer à mieux faire connaître le médium à un public large et varié. À partir de ce moment-là, l’image a été régulièrement à l’honneur, avec des accrochages thématiques ou monographiques comme «Ils se disent peintres, ils se disent photographes» en 1980, «Jean-Philippe Charbonnier» en 1983, «Jeanloup Sieff» en 1986, «Jan Saudek» en 1987 ou encore «Claude Cahun», en 1995.
Quel a été le point de départ des collections de photographies ?
Elles ont été initiées grâce à un don d’Henri Cartier-Bresson. Le MAMVP avait présenté ses prises de vue en 1980, puis ses dessins en 1981. Cartier-Bresson a ensuite offert au musée les grands tirages d’une exposition qu’il avait faite en 1975. Et, étonnamment, sans doute parce qu’ils étaient tardifs, ceux-là ont été considérés comme des documents et non des œuvres. Ce fonds n’avait donc pas été inventorié lorsque je suis arrivée, en 2001. Ce fut ma première action en tant que chargée des collections photographiques.
De quelle manière se sont-elles étoffées ?
Elles sont riches des grands noms de la photographie humaniste, dans la continuité du don d’Henri Cartier-Bresson. C’est un peu notre ADN car il ne faut pas oublier que nous avions déjà, en 1956, accueilli la grande exposition du genre, «The Family of Man», qui avait été initiée par Edward Steichen, alors conservateur pour la photographie au MoMA de New York. Les collections réunissent des ensembles significatifs d’Édouard Boubat, Marc Riboud, Sabine Weiss, Jean-Philippe Charbonnier, Brassaï, etc. Y figurent également de nombreux portraits d’artistes. Étant un musée municipal, nos moyens sont limités, et nous ne bénéficions pas des dations qui reviennent à l’État. Cependant, les expositions constituent un moment privilégié pour faire des acquisitions directement auprès des artistes ou de leurs familles, qui, bien souvent, font preuve de générosité en nous offrant des tirages supplémentaires lorsque nous leur en achetons… Cela a été le cas dernièrement pour Bernard Plossu et Sabine Weiss.
Quelles sont les autres grandes tendances de cet ensemble ?
Dès les années 1990, le choix a été de cibler les contemporains, et plus particulièrement les photographes plasticiens. Un parti pris cohérent, puisque nous sommes un musée généraliste et qu’il y a une logique à les mettre en lien avec la création contemporaine. Nous avons ainsi acquis des auteurs comme Patrick Tosani, Jean-Luc Mylayne, Jean-Luc Moulène, Valérie Jouve, Jean-Marc Bustamante… Entre la fin de cette décennie et le début des années 2000, nous nous sommes concentrés sur la période surréaliste, avec un peu de retard malheureusement, car les prix s’étaient déjà envolés : Hans Bellmer, Claude Cahun ou encore Raoul Ubac ont alors rejoint la collection.

 

Hans Bellmer (1902-1975), La Poupée, 1938, épreuve gélatino-argentique coloriée à l’aniline, 27,1 x 23,6 cm. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
Hans Bellmer (1902-1975), La Poupée, 1938, épreuve gélatino-argentique coloriée à l’aniline, 27,1 x 23,6 cm. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.© Adagp, Paris, 2018

Quels ont été les choix de ces dernières années ?
Ma tactique consiste à m’orienter vers des domaines peu ou pas explorés par les autres institutions françaises, comme par exemple la photographie iranienne, absente des collections publiques. Nous avons ainsi acquis douze œuvres de Kaveh Golestan. Récemment, nous avons également acheté des vintages du Malien Malick Sidibé, du Nigérian J. D. ’Okhai Ojeikere et de l’Italien Guido Guidi.
Le MAMVP dédie-t-il un budget spécifique à la photographie pour les acquisitions  ?
Non. Les 400 000 € annuels dont il dispose sont dépensés en fonction des opportunités, ce qui est donc très fluctuant. Le comité de sélection, composé notamment de personnalités de la Ville de Paris, de l’État et de collectionneurs privés, fait des choix à partir de propositions émanant des responsables des différentes collections. Les priorités sont telles que la photo arrive toujours en dernier. C’est entre autres ce qui nous a incité à créer, avec la société des Amis du musée, un Comité pour la photographie.
Disposez-vous grâce à cela d’un budget autonome ?
Oui, et ça change tout ! Depuis janvier 2014, une vingtaine de collectionneurs nous donnent chaque année 5 000 € chacun. Nous décidons ensemble des acquisitions. Les deux premières réunions annuelles permettent d’affiner la sélection, tandis que la troisième est consacrée aux votes. Seuls les membres du comité votent. Celui-ci rassemble aussi bien des collectionneurs aguerris que des amateurs désireux d’apprendre.
Comment est partagée cette enveloppe, qui dépasse donc les 100 000 € ?
Les acquisitions sont réparties équitablement entre les photographies étrangères et françaises, et 5 % du budget global sont consacrés aux jeunes auteurs. C’est le rôle d’une institution comme la nôtre que de soutenir les différentes populations d’artistes, et notamment les émergents. Tous mes jeudis après-midi sont d’ailleurs consacrés à des rendez-vous avec des photographes. Quel que soit leur parcours, ils ont besoin à la fois de conseils et de discuter de leur travail.

 

Guido Guidi (né en 1941), Malbork, Polonia, août 1994. Don du Comité pour la photographie, société des Amis du musée d’Art moderne de la Ville de Pari
Guido Guidi (né en 1941), Malbork, Polonia, août 1994. Don du Comité pour la photographie, société des Amis du musée d’Art moderne de la Ville de Paris. © Adagp, Paris, 2018

Quelles sont les acquisitions effectuées grâce au Comité de la photographie ?
Le travail des Français Éric Poitevin et Sophie Ristelhueber, du Libanais Walid Raad, de l’Italien Guido Guidi, du jeune Japonais Daisuke Yokota, ainsi que le fonds d’atelier d’un photographe des années 1930 nommé Rémy Duval, composé de trois mille négatifs et de quatre cents vintages. Nous cherchons surtout à former des ensembles cohérents, et il est très rare que nous achetions des pièces isolées, car elles sont difficiles à exposer… à moins d’avoir un lien direct avec d’autres œuvres du MAMVP. Au moment des acquisitions, je pense tout de suite au parcours muséal.

Comment la photographie est-elle présentée au sein des collections permanentes, dont le dernier accrochage a été inauguré en novembre dernier ?
Auparavant, les collections photographiques avaient une salle dédiée, mais depuis quatre ans environ, elles ne sont plus montrées de manière séparée. Ce parti pris permet de mettre ce médium sur un pied d’égalité avec la peinture, la sculpture ou encore le mobilier. Le dernier accrochage propose ainsi une traversée dans le temps avec des articulations thématiques. Par exemple, dans la salle consacrée aux arts décoratifs, la photographie est très présente, avec une vingtaine de tirages dialoguant naturellement avec des pièces de verrerie. Dans la salle surréaliste figurent Hans Bellmer, Claude Cahun et Man Ray, particulièrement bien à leur place…
Quels sont les prochains grands rendez-vous liés à l’image ?
Nous présentons jusqu’en avril une exposition de Mohamed Bourouissa. Il s’agit de la première consacrée à l’artiste par une institution française. Nous le suivons depuis 2012, date à laquelle nous avons acquis sa série «Temps mort», réalisée au téléphone portable dans des prisons en 2008. Articulé autour du film Horse Day, accompagné de croquis, dessins préparatoires et autres story-boards, le parcours est signé Odile Burluraux et Jessica Castex. En mars, le public pourra également découvrir les acquisitions récentes du Comité pour la photographie, tandis que pour mai j’organise, avec Simon Baker, ancien conservateur à la Tate Gallery et nouvellement élu à la MEP, une exposition sur la photographie abstraite : «Shape of Light, 100 Years of Photography and Abstract Art».

Emmanuelle de l’Écotais
en 5 dates
 
 
 © Mathilde de l’Écotais

1968Naissance à Bruxelles
1993Entre au Cabinet de la photographie  du Centre Pompidou, dirigé par Alain Sayag
1998Doctorat en histoire de l’art et commissariat  de l’exposition «Man Ray» au Grand Palais
2001Chargée des collections photographiques  du musée d’Art moderne de la Ville  de Paris (MAMVP)
2014 Constitue le premier Comité
À voir
«Mohamed Bourouissa, Urban Riders», musée d’Art moderne de la Ville de Paris,
11, avenue du Président-Wilson, Paris XVIe -  tél. : 01 53 67 40 00.
Jusqu’au 22 avril 2018. 
www.mam.paris.fr
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