Gazette Drouot logo print

La peinture miniature sur émail au XVIIe siècle

Publié le , par Catherine Cardinal

Au XVIIe siècle, les émailleurs français et suisses excellent dans les portraits ou les reproductions de scènes historiques et de paysages en miniature. L’élite internationale raffole de leurs pendentifs, étuis ou boîtes de montre au décor remarquable de finesse.

Laurent Le Tessier de Montarsy (?-1684), orfèvre, Jean Petitot (1607-1691), miniaturiste,... La peinture miniature sur émail au XVIIe siècle
Laurent Le Tessier de Montarsy (?-1684), orfèvre, Jean Petitot (1607-1691), miniaturiste, Boîte à portrait de Louis XIV, or émaillé, argent et diamants, vers 1670, musée du Louvre.
© RMN - Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

Quant au travail qui se fait avec les émaux épais et opaques, c’est […] aux françois qu’on a l’obligation de ces beaux ouvrages qu’on voit aujourd’huy sur l’or et l’on fait des portraits aussi bien peints qu’à l’huile, et même des compositions d’histoire, qui ont cet avantage d’avoir un vernis et un éclat qui ne s’efface jamais», écrit André Félibien dans Des principes de l’architecture, de la sculpture et des autres arts qui en dépendent (1676). Quelques décennies plus tôt, vers 1630, à Blois et à Paris, peindre en miniature avec des couleurs vitrifiables est une technique nouvelle, utilisée dans la décoration de luxueux accessoires portés sur soi : pendentifs, étuis, miroirs, bijoux, montres. Les pièces conservées et les archives attestent de son succès auprès d’une élite internationale, raffinée, soucieuse d’afficher son goût et son rang. Les émailleurs parviennent aux mêmes effets qu’avec la peinture à l’huile : nombre d’entre eux pratiquent d’ailleurs le pastel, la gouache, la gravure et la peinture. La précision du trait, la subtilité du modelé, l’éclat et l’inaltérabilité des couleurs caractérisent une production qui transcrit en réduction des œuvres contemporaines. La demande de portraits sur émail s’établit durablement grâce à leurs qualités de ressemblance et de résistance à la lumière et à l’humidité. Montés en pendentif, ils sont souvent entourés de fleurs et de rubans dans la manière de l’orfèvre Gilles Légaré (1617-1663) et du graveur Jacques Vauquer (1621-1686). Sur les boîtes dites «à portrait», offertes à titre de récompense ou de cadeau diplomatique, ils sont intégrés dans une monture garnie de pierres précieuses. Au musée du Louvre, la boîte décorée du buste de Louis XIV, entourée de diamants, en est un somptueux exemple. Les boîtiers de montre ornés de portraits, à l’intérieur ou à l’extérieur, ne sont pas rares non plus. L’un, au Victoria and Albert Museum de Londres, révèle une fois ouvert les effigies de Richelieu, d’après Philippe de Champaigne, et de Louis XIII. Au Musée international d’horlogerie, à La Chaux-de-Fonds, les bustes de Philippe IV et de Marie-Anne d’Autriche d’après Diego Vélasquez agrémentent une montre sans doute offerte par Léopold-Guillaume de Habsbourg à un serviteur de la monarchie espagnole.
 

Vers 1650. Montre dite « bassine », fleurs sur le cadran et paysage sur le contre-émail, or. DR
Vers 1650. Montre dite « bassine », fleurs sur le cadran et paysage sur le contre-émail, or.
DR


Histoire et botanique
Les émailleurs s’inspirent des gravures reproduisant les peintures d’histoire de Simon Vouet, Sébastien Bourdon, Jacques Stella ou Laurent de La Hyre. Ils les adaptent à la forme du support et choisissent librement leur palette. Parfois, ils copient directement des œuvres originales, comme les tondi de Bourdon et de Charles Poerson. La justesse du dessin, le modelé obtenu par un délicat pointillé, le raffinement des couleurs concourent à la réussite des transcriptions. Les Sainte Famille et Vierge à l’Enfant de Vouet sont fréquemment reproduites, tandis que les amours de Pâris et Hélène, Didon et Énée, Cléopâtre et Antoine, Théagène et Chariclée, composent un répertoire apprécié. La mode des montres ornées de scènes d’histoire est très suivie, si l’on en juge par le nombre de pièces parvenues jusqu’à nous et les sources écrites. En 1631, Marie de Médicis s’en fait livrer sept, accompagnées d’une boîte en or émaillé de figures. La duchesse de Montpensier, fille de Gaston d’Orléans, raconte dans ses mémoires avoir offert à la reine en 1637 une montre «émaillée et c’étaient des figures selon l’usage de ce temps». Mazarin possède «deux montres à boîte d’or émaillées d’histoires au dehors et de paysages par dedans», lit-on dans son inventaire après décès. Plusieurs exemplaires conservés présentent ainsi des paysages sur les faces intérieures – contre-émaux –, copiés d’après des gravures d’Henri Mauperché, de Gabriel Pérelle, Pierre Patel ou Laurent de La Hyre. Quant au réalisme des peintures de fleurs sur émail, il reflète le développement de la botanique. Les artistes s’inspirent du Livre de fleurs et de feuilles pour servir à l’art d’orfèvrerie (1635) de François Lefebvre, ou du Livre nouveau de fleurs très utile pour l’art d’orfèvrerie et autres (1645) de Nicolas Cochin. Après 1650, des compositions naturalistes dans le style des bouquets de Jean-Baptiste Monnoyer sont en faveur, alors que les gravures de Jacques Vauquer sont plébiscitées dans les ateliers. Le procédé technique est d’une grande précision. Le peintre emploie des couleurs à base d’oxydes métalliques réduits en poudre, mélangés au fondant – du verre finement écrasé. Après les avoir diluées dans un peu d’huile d’aspic afin d’obtenir une pâte lisse, il les pose à l’aide d’un pinceau ou d’une pointe – selon le dessin – sur l’émail blanc couvrant le support, en or ou en cuivre. Sous l’effet d’une cuisson d’environ 800 °C, les couleurs se vitrifient et pénètrent l’émail du fond. Elles sont mélangées pour former une large palette, et superposées au fur et à mesure des cuissons. Les plus claires sont appliquées en premier afin de ne pas disparaître sur les tons foncés. L’émailleur prépare parfois ses couleurs à partir d’émaux vendus dans le commerce – pains de Venise –, qu’il trempe dans un bain d’eau-forte pour enlever les impuretés et dissoudre le plomb qu’ils contiennent, puis lave au vinaigre et à l’eau avant de les broyer dans l’huile de lavande. Si l’obtention des couleurs vitrifiables, nécessitant grand soin et beaucoup d’expérience, est tenue secrète, la préparation de la plaque est bien connue. Il n’est en effet pas fait mystère de sa première cuisson pour en extraire la calamine, de son trempage dans de l’acide puis de son nettoyage à l’eau, et de son emboutissage pour la rigidifier. Il faut ensuite poser l’émail blanc – à base d’étain calciné – et veiller au contre-émaillage en dessous pour compenser les poussées du métal sous l’action de la chaleur. Sur le fond, aussi uni que possible, le peintre dessine sa composition en rouge foncé – dérivé du vitriol et du salpêtre broyé dans l’huile d’aspic – avant d’appliquer les couleurs, épargnant le blanc dans lequel il souhaite introduire des lumières. Jusqu’à l’effet désiré dans le coloris et le modelé, à chaque étape, la plaque subit une cuisson.
 

Jean-Pierre (1655-1723) et Ami Huaut (1657-1724), tasse et soucoupe avec paysages et scènes mythologiques, vers 1700-1720, détail, Londres
Jean-Pierre (1655-1723) et Ami Huaut (1657-1724), tasse et soucoupe avec paysages et scènes mythologiques, vers 1700-1720, détail, Londres, Victoria & Albert Museum.
© Victoria and Albert Museum, London

 


Émulation blésoise
«Avant l’an 1630, ces sortes d’ouvrages étaient encore inconnues, car ce ne fut que deux ans après que Jean Toutin, orfèvre de Chasteaudun qui émaillait parfaitement bien avec les émaux ordinaires & transparents […] s’étant mis à rechercher le moyen d’employer des émaux qui fissent des couleurs mates pour faire diverses teintes, se parfondre au feu, & conserver une même égalité & un même lustre, en trouva enfin le secret, qu’il communiqua à d’autres ouvriers», poursuit Félibien dans son traité. Si la date de 1632 est trop tardive pour être acceptée selon des pièces d’archives, le nom de Jean Toutin (1578-1644) est à retenir dans la mise au point du procédé. Sans aucun doute, celui-ci s’est servi des traditionnelles techniques de l’émaillerie pour parvenir, après de multiples essais, à un résultat d’une étonnante précision. La clientèle des cours est alors rapidement séduite par ce nouvel art de peindre. Les collections et les archives laissent entrevoir la renommée d’émailleurs – généralement orfèvres –, même si peu d’entre eux signent leurs réalisations. Les maîtres blésois sont les premiers à se distinguer dans cet art. Apprenti de Toutin et portraitiste réputé, Isaac Gribelin (vers 1588-1651) dirige ainsi un important atelier. Son rival et ami Christophe Morlière (1604-1644) est orfèvre et graveur de Gaston d’Orléans : c’est à lui que les échevins de Blois commandent une luxueuse montre destinée à la seconde épouse du duc. Formé par Morlière, Robert Vauquer (1625-1670) révèle son talent dans des sujets religieux et militaires, comme les scènes de bataille peintes, d’après Antonio Tempesta et Giulio Romano, ornant une montre des collections du musée Poldi Pezzoli, à Milan.
 

Vers 1640-1650. Miroir à décor de Chariclée et ses parents, d'après Sébastien Bourdon (1616-1671), or et émail, Baltimore, Walters Art Mus
Vers 1640-1650. Miroir à décor de Chariclée et ses parents, d'après Sébastien Bourdon (1616-1671), or et émail, Baltimore, Walters Art Museum.
Henry Toutin (1614-1684), Portrait de lady Venetia Digby, peinture sur émail, 1637, signée, Baltimore, Walters Art Museum.
Henry Toutin (1614-1684), Portrait de lady Venetia Digby, peinture sur émail, 1637, signée, Baltimore, Walters Art Museum.


D’une cour européenne à l’autre
Les fils de Jean Toutin se révèlent les dignes héritiers du savoir-faire de leur père. Jean II (1619-apr. 1660) part en Suède vers 1645 pour se mettre au service de la reine. Sa signature figure sur des boîtes de montre peintes de paysages d’après Cornelis Van Poelenburgh, dont l’une est conservée au Louvre. Henri (1614-1684) signe des commandes prestigieuses, comme le portrait de Charles Ier d’Angleterre en 1636, la montre commémorant le mariage de Guillaume d’Orange et de Marie Stuart en 1642 (Rijksmuseum, Amsterdam), ou la plaque reproduisant le tableau de Charles Le Brun La Tente de Darius, brossé vers 1671 (Musée d’art et d’histoire de Genève). Le Genevois Jean Petitot (1607-1691) se spécialise quant à lui dans le portrait. Il devient célèbre à Londres, où il s’installe entre 1637 et 1644. Protégé de Charles Ier d’Angleterre, il exécute des portraits, souvent copiés d’après Antoon Van Dyck et Gerrit Van Honthorst, dès 1638. Leur qualité d’expression, la délicatesse de leur coloris, leur subtile facture en pointillé justifient l’admiration qu’ils suscitent. Le peintre viendra ensuite en France, où il sera très sollicité, mais il est difficile de cerner sa production car, après son mariage en 1651, aucun portrait ne porte sa signature. Orfèvre-émailleur né à Châtellerault, Pierre Huaud (1612-1680) s’installe à Genève et transmet sa technique à ses trois fils, qui vont la faire rayonner à travers l’Europe. Pierre II (1647-1698), connu par des pièces signées, est nommé en 1691 peintre miniaturiste de Frédéric Ier. Jean-Pierre (1655-1723) et Amy (1657-1724) travaillent pour ce dernier entre 1686 et 1700. Associés en 1682, ils signent ensemble de nombreuses œuvres : boîtiers de montre, mais également portraits et objets d’orfèvrerie. Leur manière est aisément reconnaissable : des couleurs chaudes contrastant avec des tons froids (pourpre, safran, bleu cobalt et violet), des petites touches juxtaposées donnant un modelé doux et fondu. Dès la fin du XVIIe siècle, elle est suivie par les Genevois Jean Mussart (1681-1751) et Jean André (1646-1714). La peinture sur émail se développe ainsi à Genève, en prélude à sa période de gloire.

à voir
Les collections du musée du Louvre,
celles du Musée international d’horlogerie, à La Chaux-de-Fonds,
et celles du Patek Philippe Museum à Genève.


 

Gazette Drouot
Bienvenue, La Gazette Drouot vous offre 2 articles.
Il vous reste 1 article(s) à lire.
Je m'abonne