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La Maison G. : un décor design au bon souvenir des années 1950 !

Publié le , par Christophe Dorny
Vente le 28 avril 2023 - 13:30 (CEST) - Salle 6 - Hôtel Drouot - 75009

Conçu par Claude Parent, le lieu a écrit les premières pages du renouveau de l’architecture et du design en France. Son mobilier, amoureusement conservé, sera prochainement dispersé aux enchères.

Côté sud de la Maison G. Mosaïques du mur et du bassin dessinées respectivement par... La Maison G. : un décor design au bon souvenir des années 1950 !
Côté sud de la Maison G. Mosaïques du mur et du bassin dessinées respectivement par André Bloc et Maximilien Herzèle.

Au seuil des années 1950, les Français se projettent vers un futur qu’ils espèrent joyeux et coloré. Deux jeunes étudiants, lui de Normandie, elle de Haute-Loire, se rencontrent à Paris, au sein de l’École dentaire Garancière, à deux pas de Saint-Germain-des-Prés. D’esprit curieux et indépendant, ils s’éveillent ensemble au renouveau de l’art et des arts décoratifs d’après-guerre. Le foyer s’agrandissant, le couple Gosselin, désormais installé, cherche un espace de vie confortable et familial. Ils passent commande pour la construction d’une maison, vraisemblablement par l’intermédiaire du promoteur immobilier André Manéra, à Claude Parent (1923-2016) associé à Ionel Schein (1927-2004), alors étudiants de l’École des beaux-arts. Située à Ville-d’Avray, à proximité du parc de Saint-Cloud, elle est achevée en 1952. Avec son plan en «T» de plain-pied, fracturé par un mur autour duquel tout l’espace s’organise, une répartition ingénieuse des murs pleins et des murs fenêtres, un intérieur fonctionnel et moderne, cette maison est couronnée en 1953 du premier prix d’architecture du concours de La Maison Française. La carrière de Claude Parent, futur théoricien de la fonction oblique en architecture, est lancée. Les époux Gosselin font partie de ce petit nombre d’amateurs aisés prêts à se meubler en rupture avec le conformisme facile des antiquités ou des copies modernes de style ancien. Séduits par ce qu'on appellera bientôt le design contemporain, ils signent pour un ameublement complet. Quelques photographies d’époque nous permettent de visualiser cet intérieur exceptionnel. Imaginez : lit et placards par Marcel Gascoin, étagères par Jacques Hauville, lampe de bureau par Michel Mortier, éléments de rangement, meubles et appliques de Pierre Guariche et d’autres luminaires et appliques édités par Dek-A-Lux. La Galerie M.A.I (Meubles architecture et installations), située au 12, rue Bonaparte, est largement sollicitée. Elle est quasiment le seul lieu où se procurer des objets mobiliers au style résolument nouveau. La galerie diffuse des créations d’Alvar Aalto, de Max Bill, d’Arteluce ou encore ce lustre modèle «2097» en métal chromé de Gino Sarfatti (1912-1985), proposé à la vente (500/800 €). Elle édite aussi des créations exclusives de Pierre Paulin, Pierre Guariche ou Charlotte Perriand, tous devenus depuis des stars du design. Typique des années 1950, la polychromie est appliquée à l’extérieur comme à l’intérieur de la Maison G. – comme «Gosselin» –, des murs à la salle de séjour par Antoine Fasani. L’utilisation d’éléments extensibles, divisibles, transformables, comme celle de meubles-éléments, fluidifient l’espace. Coup dur à la fin de la décennie : le bâtiment subit de lourds dégâts à la suite de problèmes d’étanchéité du toit-terrasse. Une grande partie du mobilier apposé aux murs doit être remplacé, notamment les ensembles de rangement de Guariche. Claude Parent se charge de cette rénovation intérieure, dessinant par exemple le grand meuble bibliothèque du salon, des banquettes, une table et un luminaire. Plusieurs autres pièces de mobilier sont remplacées.
 

La salle de séjour. Au mur, en hauteur, un bouclier de guerre mengen de Nouvelle-Bretagne (Papouasie - Nouvelle-Guinée, 4 000/6 000 €) ; s
La salle de séjour. Au mur, en hauteur, un bouclier de guerre mengen de Nouvelle-Bretagne (Papouasie - Nouvelle-Guinée, 4 000/6 000 €) ; sur la gauche, devant la cheminée : tabourets tripodes en acajou de Charlotte Perriand (le plus haut 46 cm, 2 000/3 000 €) ; au premier plan à gauche : un métate en forme de jaguar, Costa Rica, 700-1550 apr. J.-C. (600/800 €).
La salle à manger avec la table et la suite des chaises de Charlotte Perriand. Au mur, à droite : une gouache de Jean Deyrolle, (800/1 200
La salle à manger avec la table et la suite des chaises de Charlotte Perriand. Au mur, à droite : une gouache de Jean Deyrolle, (800/1 200 €) ; à gauche, sur le meuble, une technique mixte d'Huguette Arthur Bertrand (300/500 €).


Perriand, Saarinen, Jouve, Masson et Paulin
«Ce qui est intéressant avec le mobilier de la Maison G., c’est qu’on y trouve beaucoup de choses, un choix pointu et cohérent du point de vue esthétique, tous les designers français de l’époque sont représentés», relève Maxime Grail (cabinet PBG Expertise). Quelques pièces au style épuré ont traversé le temps. C’est le cas de plusieurs tabourets, de la suite des six chaises et de la table à manger rectangulaire en acajou signés Charlotte Perriand (1903-1999), tous édités par la mythique galerie parisienne Steph Simon ouverte en 1956. «Ce sont des modèles qui viennent de l’édition, ce ne sont pas des modèles uniques, néanmoins la table n’est pas courante et n’a certainement pas été fabriquée à beaucoup d’exemplaires», relève Maxime Grail. Ce très bel ensemble sera dispersé en six lots, assortis d’estimations raisonnables et attractives débutant à 500 € pour un tabouret Bauche jusqu’à 20 000 € pour la table. La lampe modèle «1853» de Max Ingrand (1908-1969), éditions Fontana Arte (300/500 €), la table culte d’Eero Saarinen avec son plateau circulaire en marbre veiné (300/500 €) et une suite de trois chaises d’Harry Bertoia (400/500 €) font partie de cet ensemble historique. Un rare canapé trois places Bulb Bulb 275 avec ses coques juxtaposées en fibre de verre et mousse, renvoie aux innovations de Pierre Paulin à la toute fin des années 1950. Dans le domaine de la céramique – qui accomplit aussi sa révolution après la Seconde Guerre mondiale –, quelques pièces devenues des œuvres d’art ont longtemps agrémenté le salon de la Maison G. : le pichet Chat, en céramique émaillée noire signé André Aleth-Masson (1 000/1 500 €), et, de Georges Jouve, un délicieux vase cylindrique en céramique émaillée jaune (1 000/1 500 €). Éditée par l’atelier Madoura, à Vallauris, une superbe assiette de Pablo Picasso au modèle Quatre Profils enlacés (4 000/6 000 €) complète cette galerie. Au fil des ans, les époux Gosselin n’ont jamais cessé d’alimenter leurs passions d’amateurs éclairés et de collectionneurs. Visitant régulièrement les galeries d’art du Quartier latin, ils se lient d’amitié avec des artistes et des marchands. De nombreux objets et œuvres trouvent ainsi leur place dans leur refuge de Ville-d’Avray.

 

Robert Jacobsen (1912-1993), Le Tibétain, sculpture en métal soudé, 66 x 23 x 15 cm. Estimation : 3 000/5 000 €
Robert Jacobsen (1912-1993), Le Tibétain, sculpture en métal soudé, 66 23 15 cm.
Estimation : 3 000/5 000 €. Adjugé : 11 682 €


Tel un musée imaginaire
Quelques années après sa construction, Maximilien Herzèle et André Bloc, membres du groupe Espace, réalisent les mosaïques abstraites du bassin extérieur et du mur bordant la terrasse. Enjambant les époques et les styles, ils ne restent pas indifférents à l’art grec, retenant chez Pierre Vérité (galerie Carrefour) des coupes et des bustes. Entre une hypothétique synthèse des arts et des «mélodies contradictoires» (André Malraux), c’est le mystère de l’objet créé qui séduit ces esthètes. Les arts premiers les intéressent également. Deux cimiers bambara (Mali), un bouclier de guerre mengen de Nouvelle-Bretagne et un masque tumleo (tous deux de Papouasie - Nouvelle-Guinée), ainsi qu'un guerrier de la culture diquis du Costa Rica (2 000/4 000 €) illustrent parfaitement le plaisir de ces achats coup de cœur. Six pièces mises en vente proviennent de la galerie Le Corneur-Roudillon. Vers 1960, un grand Totem de Robert Jacobsen (1912-1993), mobile à l’origine, est acquis directement auprès du sculpteur danois et installé dans le jardin entourant la maison (15 000/25 000 €). Un petit Tibétain de ce même artiste rejoint la collection (3 000/5 000 €). Le couple noue des relations fortes avec certains artistes. Jean Deyrolle, défendu par la galerie Denise René, est de ceux-là. Huit peintures abstraites et deux rares tapisseries, dont l’une possède un format très particulier tout en hauteur, sont à saisir. L’amitié toujours, avec Huguette Arthur Bertrand, invitée régulièrement à leur table et à qui le couple achète de nombreuses œuvres. Demeurée pendant soixante-dix ans dans la même famille, la Maison G. est aujourd’hui en vente «dans son jus», avec quelques éléments de rangements de Charlotte Perriand et le meuble-bibliothèque de Claude Parent. Souhaitons que cet «écrin tant aimé», pour reprendre l’expression de Pascale Gosselin, la seconde fille de ce couple singulier, soit rénové et préservé.
 

Pierre Paulin (1927-2009), banquette trois places, modèle Bulb Bulb 275, coques juxtaposées en fibre de verre, mousse de polyuréthane reco
Pierre Paulin (1927-2009), banquette trois places, modèle Bulb Bulb 275, coques juxtaposées en fibre de verre, mousse de polyuréthane recouverte de tissu beige, édition Artifort, 52 118 83 cm.
Estimation : 1 500/2 500 €. Adjugé : 5 192 €
vendredi 28 avril 2023 - 13:30 (CEST) - Live
Salle 6 - Hôtel Drouot - 75009
Beaussant Lefèvre & Associés
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