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La littérature, mer des histoires dans la collection d’un bibliop

Publié le , par Anne Doridou-Heim

En se concluant sur un produit total vendu de 1 345 949 €, la dispersion de cette collection de livres et de manuscrits précieux, précisément datés entre 1478 et 1977 soient trois siècles d’une grande richesse , répondait à toutes les attentes et aux espoirs du bibliophile passionné qui s’en séparait. Dans l’«Événement»...

Le Premier Volume de la Mer des histoires. Auquel et le second ensuyvant est contenu... La littérature, mer des histoires dans la collection d’un bibliop
Le Premier Volume de la Mer des histoires. Auquel et le second ensuyvant est contenu tant du Vieil Testament que du Nouveau toutes les hystoires…, Paris, Nicolas Couteau pour Galliot du Pré, 1536. Deux tomes en un volume in-folio gothique, reliure de l’époque attribuée à Claude Picques, en maroquin lavallière, dos à la grecque orné d’un semé de trèfles perlés et de trois grands fleurons peints en noir sur fond criblé, rinceaux dorés encadrant les plats sur fond noir, mandorle centrale ornée d’entrelacs sur fond doré.
Adjugé : 220 776 €

En se concluant sur un produit total vendu de 1 345 949 €, la dispersion de cette collection de livres et de manuscrits précieux, précisément datés entre 1478 et 1977 soient trois siècles d’une grande richesse , répondait à toutes les attentes et aux espoirs du bibliophile passionné qui s’en séparait. Dans l’«Événement» de la Gazette no 6 du 9 février (pages 12 à 17), on faisait part de sa vive inquiétude devant la désaffection actuelle pour le livre, promis à être relégué dans des tiroirs poussiéreux. Qu’il soit rassuré, s’il y a bien eu des tweets suite à sa vente, c’était pour en vanter les résultats, l’objet de papier demeure. Le conte Point de lendemain (voir page 17 du numéro précité et page 80), de Dominique Vivant Denon (1747-1825), restera dans la littérature et ce bijou, porté à 22 558 €, n’était pas un oiseau de mauvais augure.
 

Dominique Vivant Denon (1747-1825), Point de lendemain, conte in Mélanges littéraires ou Journal des dames dédié à la reine, juin 1777, tome II, par M
Dominique Vivant Denon (1747-1825), Point de lendemain, conte in Mélanges littéraires ou Journal des dames dédié à la reine, juin 1777, tome II, par M. Dorat, Paris, veuve Thiboust, un volume in-12, cartonnage de l’époque en papier jaune moucheté.
Adjugé : 22 558 €


Pépites littéraires
De bijoux, cette bibliothèque en était fort pourvue. Et puisqu’elle s’est déroulée le 14 février et que le collectionneur portait sur ses livres un véritable regard amoureux, on égrènera quelques résultats comme autant de pépites. La première d’entre elles est un ouvrage d’une grande rareté, un volume in-folio retraçant les événements légendaires et historiques depuis la création du monde, La Mer des histoires, publié à Paris chez Nicolas Couteau pour Galliot du Pré en 1536 (reproduit ci-dessus). Cette chronique, qui comporte un second tome évoquant l’histoire de France jusqu’au règne de François Ier, est décrite par les spécialistes comme l’un des plus fameux ouvrages illustrés de la Renaissance, avec pas moins de 159 bois gravés. Elle était présentée dans une reliure dite «à la grecque» en maroquin, ornée d’une bordure de rinceaux dorés, exécutée vers 1555-1560 dans l’atelier parisien du relieur du roi, sans doute Claude Picques (vers 1510-1574/1578). Une pluie de mérites qui la guidait à bon port pour 220 776 € et lui offrait la palme de la victoire. Venant à sa suite, l’exemplaire d’Il Decamerone aux armes de François Ier et de Boccace ! suscitait à son tour bien des envies et se voyait couronner de 141 718 €. Le roi de France était, on le sait, fasciné par l’Italie et ses artistes. Maîtrisant la langue toscane, il s’efforça de donner vie à un italianisme destiné à conforter une action culturelle orientée par une propagande politique. Cet exemplaire était présenté dans une reliure romaine en maroquin brun orné de fleurs de lys dorées, de fleurons foliacés et aux armes de Niccolo Franzese, un Français comme son pseudonyme l’indique installé à Rome de 1526 jusqu’à sa mort vers 1570, et au cœur d’échanges fructueux entre les deux pays.

 

Boccace (1313-1375), Il Decamerone di nuovo emendato secondo gli antichi essemplari, per giudicio et diligenza di piu autori…, Venise, Gabriel Giolito
Boccace (1313-1375), Il Decamerone di nuovo emendato secondo gli antichi essemplari, per giudicio et diligenza di piu autori…, Venise, Gabriel Giolito de Ferrari, 1546, in-4o, maroquin brun, dos à quatre nerfs ornés de filets à froid et fleurs de lys dorées, double encadrement de filets à froid et dorés, grand décor doré à petit fer de filets courbes, fleurons foliacés et fleurs de lys, armes du roi François Ier dorées au centre.
Adjugé : 141 718 €


Curiosité bien placée
La bibliothèque est souvent le siège d’une grande curiosité. Celle de ce collectionneur sillonnait les siècles et les styles, un véritable voyage littéraire dans le temps qui invitait sur ses rayonnages le XVIe comme le XXe siècle. Des surprises s’y étaient glissées. Et notamment un ouvrage singulier, dédié par un excentrique au bon roi Henri IV, L’Intitulation & recueil de toutes les œuvres… de Bernard de Bluet d’Arbères (1566-1606). Cet autoproclamé comte de Permission, tour à tour berger analphabète, bouffon puis illuminé, sera connu à la cour en faisant de sa présumée folie un gagne-pain. Depuis le pont Neuf tout récemment érigé, il haranguait la foule de ses oraisons et sentences, qu’il publiait à ses frais en de petits livrets, après avoir pris soin de les faire retranscrire par un secrétaire. Cette réunion de soixante-dix-huit d’entre eux sur les quelque 180 prétendument imprimés présentait une curieuse iconographie de 265 bois gravés et se délivrait à 61 407 €. Les Confessions de saint Augustin, en édition originale de 1649 et en langue française considérées comme l’un des livres de chevet de l’Occident chrétien au XVIIe siècle , ramenaient pureté et douceur. Superbement abritées dans une reliure en maroquin doublé, mosaïqué et décoré d’Antoine-Michel Padeloup (1685-1758), elles inscrivaient 26 317 €. Le XXe siècle clôturait ce cortège érudit avec les 31 330 € du célèbre Cantique des cantiques, l’un des chefs-d’œuvre du livre art déco dans sa version illustrée par François-Louis Schmied (1873-1941) et Gustave Miklos (1888-1967). Cet exemplaire d’auteur, imprimé pour Félix Bois, s’ornait en outre d’un laque de Jean Dunand (1877-1922) sur la reliure. Une trilogie parfaite.

 

William Blake (1757-1827), Ausgewählte Dichtungen…, Berlin, Oesterheld et Co, Verlag, 1907, deux volumes in-4o, reliure en peau de crapaud teintée, do
William Blake (1757-1827), Ausgewählte Dichtungen…, Berlin, Oesterheld et Co, Verlag, 1907, deux volumes in-4o, reliure en peau de crapaud teintée, doublée et signée de Josef Hoffmann.
Adjugé : 45 115 €

L’intérêt des institutions
13 lots ont été préemptés par des institutions françaises, pour un montant de 109 376 €.

5
par la BnF, dont Ausgewählte Dichtungen de William Blake (reproduit ci-dessus), un ouvrage dont la reliure en peau de crapaud teintée, signée de Josef Hoffmann, est un hymne à la créativité de la Wiener Werkstätte, pour 45 115 €
3 par la bibliothèque d’Orléans
2 par celle de l’Arsenal, à Paris
2 par celle de Toulouse pour deux livres, les Œuvres de Jean-Baptiste Gresset (4 386 €) et Comoedia sex de Térence (1 880 €), et en particulier pour leurs reliures, exécutées pour le comte Mac-Carthy Reagh (1744-1811). Cet homme issu d’une grande famille catholique irlandaise avait émigré à Toulouse, où il possédait l’hôtel d’Espie. Bibliophile averti, il y avait fait venir de Londres son propre relieur, Richard Wier, dont l’épouse, Maria, s’appliquait à la restauration et à la «réglure à l’anglaise» des exemplaires.
1 par le musée de la Sarthe
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