En se concluant sur un produit total vendu de 1 345 949 €, la dispersion de cette collection de livres et de manuscrits précieux, précisément datés entre 1478 et 1977 soient trois siècles d’une grande richesse , répondait à toutes les attentes et aux espoirs du bibliophile passionné qui s’en séparait. Dans l’«Événement» de la Gazette no 6 du 9 février (pages 12 à 17), on faisait part de sa vive inquiétude devant la désaffection actuelle pour le livre, promis à être relégué dans des tiroirs poussiéreux. Qu’il soit rassuré, s’il y a bien eu des tweets suite à sa vente, c’était pour en vanter les résultats, l’objet de papier demeure. Le conte Point de lendemain (voir page 17 du numéro précité et page 80), de Dominique Vivant Denon (1747-1825), restera dans la littérature et ce bijou, porté à 22 558 €, n’était pas un oiseau de mauvais augure.
Pépites littéraires
De bijoux, cette bibliothèque en était fort pourvue. Et puisqu’elle s’est déroulée le 14 février et que le collectionneur portait sur ses livres un véritable regard amoureux, on égrènera quelques résultats comme autant de pépites. La première d’entre elles est un ouvrage d’une grande rareté, un volume in-folio retraçant les événements légendaires et historiques depuis la création du monde, La Mer des histoires, publié à Paris chez Nicolas Couteau pour Galliot du Pré en 1536 (reproduit ci-dessus). Cette chronique, qui comporte un second tome évoquant l’histoire de France jusqu’au règne de François Ier, est décrite par les spécialistes comme l’un des plus fameux ouvrages illustrés de la Renaissance, avec pas moins de 159 bois gravés. Elle était présentée dans une reliure dite «à la grecque» en maroquin, ornée d’une bordure de rinceaux dorés, exécutée vers 1555-1560 dans l’atelier parisien du relieur du roi, sans doute Claude Picques (vers 1510-1574/1578). Une pluie de mérites qui la guidait à bon port pour 220 776 € et lui offrait la palme de la victoire. Venant à sa suite, l’exemplaire d’Il Decamerone aux armes de François Ier et de Boccace ! suscitait à son tour bien des envies et se voyait couronner de 141 718 €. Le roi de France était, on le sait, fasciné par l’Italie et ses artistes. Maîtrisant la langue toscane, il s’efforça de donner vie à un italianisme destiné à conforter une action culturelle orientée par une propagande politique. Cet exemplaire était présenté dans une reliure romaine en maroquin brun orné de fleurs de lys dorées, de fleurons foliacés et aux armes de Niccolo Franzese, un Français comme son pseudonyme l’indique installé à Rome de 1526 jusqu’à sa mort vers 1570, et au cœur d’échanges fructueux entre les deux pays.
Curiosité bien placée
La bibliothèque est souvent le siège d’une grande curiosité. Celle de ce collectionneur sillonnait les siècles et les styles, un véritable voyage littéraire dans le temps qui invitait sur ses rayonnages le XVIe comme le XXe siècle. Des surprises s’y étaient glissées. Et notamment un ouvrage singulier, dédié par un excentrique au bon roi Henri IV, L’Intitulation & recueil de toutes les œuvres… de Bernard de Bluet d’Arbères (1566-1606). Cet autoproclamé comte de Permission, tour à tour berger analphabète, bouffon puis illuminé, sera connu à la cour en faisant de sa présumée folie un gagne-pain. Depuis le pont Neuf tout récemment érigé, il haranguait la foule de ses oraisons et sentences, qu’il publiait à ses frais en de petits livrets, après avoir pris soin de les faire retranscrire par un secrétaire. Cette réunion de soixante-dix-huit d’entre eux sur les quelque 180 prétendument imprimés présentait une curieuse iconographie de 265 bois gravés et se délivrait à 61 407 €. Les Confessions de saint Augustin, en édition originale de 1649 et en langue française considérées comme l’un des livres de chevet de l’Occident chrétien au XVIIe siècle , ramenaient pureté et douceur. Superbement abritées dans une reliure en maroquin doublé, mosaïqué et décoré d’Antoine-Michel Padeloup (1685-1758), elles inscrivaient 26 317 €. Le XXe siècle clôturait ce cortège érudit avec les 31 330 € du célèbre Cantique des cantiques, l’un des chefs-d’œuvre du livre art déco dans sa version illustrée par François-Louis Schmied (1873-1941) et Gustave Miklos (1888-1967). Cet exemplaire d’auteur, imprimé pour Félix Bois, s’ornait en outre d’un laque de Jean Dunand (1877-1922) sur la reliure. Une trilogie parfaite.