Alors que la rénovation de la Bibliothèque nationale est saluée de tous, la réapparition d’un élément clé du décor de la chambre du cardinal Mazarin par Romanelli est une drôle de surprise !
16 novembre 1832. Le chef du matériel du ministère de la Justice écrit au directeur des Musées royaux : «Conformément à la demande qu’en fait une lettre sortie des bureaux de la direction des Musées royaux, j’ai l’honneur de vous faire parvenir les renseignemens que je me suis procurés sur trois tableaux recensés en 1825 ; et qui ne se sont pas trouvés à la chancellerie lors de la dernière visite de vos agens. Ces tableaux qui sont : 1°[…] 2499 Suvée La Liberté rendue aux arts […] 2° 457 Romanelli La Prudence […] 3° 458… Id. La Justice […] ont été livrés aux domaines lors de leur dernier récolement comme objets inutiles en leur appartement. Cette opération a été faite par mon prédécesseur, faite moi (sic) savoir si ma lettre vous suffit ou si je dois faire des démarches pour obtenir du domaine les tableaux en question.» Le propos du courrier mis au jour aux Archives nationales par Silvia Bruno relève un peu de l’absurde. Le prédécesseur du chef du matériel a pris la décision unilatérale de «verser au domaine», soit vendre des œuvres appartenant aux collections nationales pour la simple et bonne raison qu’elles encombraient les locaux de la Chancellerie, ou plutôt qu’elles n’étaient pas à son goût. Derrière l’idée d’«objets inutiles en leur appartements» se cachent des notions aussi délicates à apprécier que l’évolution du regard d’une époque sur l’autre, la réception critique de Suvée et Romanelli lors des premières heures de la monarchie de Juillet, ou encore le droit de disposer unilatéralement, et sans même demander préalablement l’autorisation des autorités compétentes, des œuvres inaliénables. Il n’est pas certain que ce fonctionnaire tout puissant (et très ignorant) se soit penché sur l’illustre provenance des œuvres. Et pourtant, le fil n’était guère difficile à remonter.
Les nuits de Mazarin
Lorsque l’homme le plus puissant de France, le cardinal Mazarin, fait appel à Romanelli pour décorer la «chambre basse où couche Son Éminence», l'artiste – qui vit le jour près des Thermes des papes et fut accueilli très jeune au palais Barberini, là même où Pierre de Cortone mit en scène le plafond le plus spectaculaire du XVIIe siècle – a déjà été élu prince de l’académie de Saint-Luc, mais prince tout de même ! Auréolé de son titre prestigieux, il est reçu avec tous les égards dus à son rang à Paris. Mazarin, intime parmi les intimes d’Anne d’Autriche, lui confia la réalisation du cycle des Métamorphoses d’Ovide, le décor de la galerie Mazarine de l’actuelle Bibliothèque nationale. Dix ans avant qu’il n’achève celui des appartements de la reine mère au Louvre, le prince Romanelli se voit confier une commande non moins importante, tant du point de vue symbolique ou iconographique que de celui de l’histoire de l’art : le plafond de la chambre du cardinal, où furent placées deux allégories. La Justice ou La Prudence, La Prudence ou La Justice : de quoi inspirer les réflexions nocturnes du prélat qui dirigeait la France. On le sait, le pouvoir ne tient qu’à un fil ! Une chose bien entendue par Romanelli, puisqu’il perdit un large éventail de privilèges lorsque, à la mort d’Urbain VIII, les Barberini cédèrent la place à la famille Pamphili. Personne n’a mieux défini cet équilibre incertain que Paul Morand en évoquant le «successeur» de Mazarin : «Le 17 août à six heures du soir, Fouquet était roi de France ; à deux heures du matin, il n’était plus rien.» Entretemps, le feu d’artifice de Vaux avait pris son élan et avec lui, celui du Soleil offusqué… Mieux valait ne pas se laisser submerger par la vanité et la soif d’arbitraire. La Prudence du cardinal Mazarin a été redécouverte, il y a quelques années – mais n’a jamais été publiée –, et il manquait La Justice avec sa balance et son faisceau de licteur. La voici !