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La frise du temps et le droit du marché de l’art

Publié le , par Jacques Fingerhut

En matière de biens culturels, la norme juridique fractionne le temps par convention, sans toujours se référer à l’histoire de l’art. Cette méthode pragmatique peut être source d’incertitude pour les professionnels et collectionneurs.

  La frise du temps et le droit du marché de l’art
 

Le législateur s’appuie sur des seuils temporels pour délimiter le champ des biens culturels. Il définit ainsi le cadre d’application des dispositifs de protection de ces biens, de contrôle de leur circulation, ainsi que de la réglementation fiscale, douanière et de police administrative dans laquelle s’inscrit l’activité des acteurs du marché de l’art. À cette fin, la norme juridique ne se réfère pas nécessairement aux grandes périodes retenues par l’histoire de l’art. Elle repose sur un découpage du temps au cas par cas, propre à chaque type de biens et à chaque domaine du droit considéré. Par exemple, en droit de préemption, il est fait état des « objets archéologiques […] ayant plus de cent ans ». Les seuils temporels sont fixés soit en rapport avec la date admise de la création ou de la réalisation des biens, soit au regard de leur âge. Mais dans tous les cas, le paramètre de l’ancienneté se conjugue avec d’autres critères, tels que la rareté, l’état de conservation et de fonctionnement, le caractère historique, la valeur monétaire.
L’ancienneté appréciée par rapport à une date précise
Les seuils retenus par la législation varient en fonction du domaine juridique considéré et de la nature des biens, comme le montrent les exemples suivants. Le régime de TVA propre aux œuvres d’art vise notamment les fontes de sculptures ainsi que les tapisseries et les textiles muraux. Une frontière est fixée au 1er janvier 1968. À compter de cette date, les productions doivent être numérotées ; elles sont admises dans la limite de huit exemplaires plus quatre dits « d’artiste » pour les fontes de sculptures, et de huit exemplaires y compris ceux dits « d’artiste » pour les tapisseries et les textiles muraux, l’édition des pièces ayant été effectuée sous le contrôle de l’artiste ou de ses ayants droit. S’agissant de l’exportation des objets de collection, on peut citer le cas des monnaies ne provenant pas directement de fouilles, de découvertes ou de sites archéologiques. L’exportation des pièces antérieures à 1500 dont la valeur est supérieure à 1 500 € est soumise à une demande de certificat ; dans le cas des pièces postérieures au 1er janvier 1500, le certificat est exigé dès lors que leur valeur est supérieure à 15 000 €. L’imposition des particuliers à la taxe forfaitaire portant sur les métaux précieux, les bijoux, les objets de collection et d’antiquité fait appel à un autre seuil temporel. La cession des monnaies d’or et d’argent postérieures à 1800 relève du régime des métaux précieux – taxation au premier euro au taux global de 11,5 % ; la cession des monnaies antérieures à cette date relève, quant à elle, du régime des objets précieux – exonération pour chaque vente d’une valeur inférieure à 5 000 €, et au-delà imposition au premier euro au taux global de 6,5 %. Le négoce des armes et matériels de guerre historiques et de collection, ainsi que de leurs reproductions, est encadré par les dispositions du Code de la sécurité intérieure. Peuvent être acquises et détenues librement les armes dites de « catégorie D », dont le modèle est antérieur au 1er janvier 1900, sauf lorsqu’elles présentent une dangerosité avérée ; pour les armes de modèle postérieur à cette date présentant un intérêt culturel, historique ou scientifique, une liste limitative est fixée par arrêté ; sont aussi visés les matériels de guerre dont le modèle est antérieur au 1er janvier 1946 et dont la neutralisation est effectivement garantie par l’application de procédés techniques ; pour les matériels postérieurs, une liste limitative est fixée par arrêté. Pour les armes dites de « catégorie C », l’acquisition et la détention à des fins historiques, culturelles, scientifiques, techniques, éducatives ou de préservation du patrimoine sont soumises à l’obtention d’une carte de collectionneur délivrée en préfecture.
L’ancienneté en fonction de l’âge
L’âge peut être défini de façon très extensive. Ainsi, afin de préserver le patrimoine culturel de l’humanité et de lutter contre le trafic illicite de biens culturels — notamment lorsque celui-ci est susceptible de contribuer au financement du terrorisme —, un règlement européen du 17 avril 2019 sera mis en œuvre d’ici 2025. Il prévoit que l’introduction et l’importation de biens culturels au sein de l’Union européenne requièrent soit une licence d’importation, soit la présentation d’une déclaration signée par l’importateur. Ces dispositions s’appliquent, selon la catégorie dont ils relèvent et leur valeur, aux objets âgés de plus de 200 ans ou de plus de 250 ans. Dans le cadre de la réglementation nationale, l’âge est un critère de détermination de la nature culturelle des moyens de transport. L’âge minimum retenu est généralement de plus de 30 ans. Toutefois, d’autres considérations entrent en ligne de compte. Les aéronefs qui présentent un intérêt historique ou patrimonial sont considérés comme de collection s’ils sont maintenus en état de vol, restaurés ou reproduits. Cette condition se décline ainsi : le premier vol du premier exemplaire du même type a été effectué trente ans au moins avant la demande de délivrance du certificat de navigabilité restreint d’aéronef de collection, et la fabrication du dernier exemplaire du même type a été arrêtée au moins vingt ans avant ladite demande. En ce qui concerne les véhicules automobiles de collection, une harmonisation des critères a conduit à une définition commune en matière de fiscalité, de droit douanier et de circulation routière. La conception de ces véhicules au regard de la taxe forfaitaire précédemment évoquée s’aligne expressément sur le droit douanier. Ainsi doivent-ils être âgés d’au moins 30 ans, avoir participé à un événement historique ou avoir été conçus, construits et utilisés pour les compétitions sportives et posséder un palmarès significatif, se trouver dans leur état d’origine, sans modification substantielle des éléments essentiels, et correspondre à un modèle ou à un type dont la production a cessé. De plus, l’administration fiscale assimile à cette catégorie les engins automobiles pour lesquels a été délivré un certificat d’immatriculation portant la mention « véhicule de collection », en application des dispositions du Code de la route – carte grise dite « de collection ». Précisons que depuis octobre 2009, ledit Code retient le critère de l’âge supérieur à 30 ans, au lieu de 25 ans précédemment. On observera cependant que, en matière de contrôle de la sortie du territoire national des biens culturels, le seuil retenu pour l’ensemble des moyens de transport n’est pas de 30 ans : seuls les moyens de transport ayant plus de 75 ans et d’une valeur supérieure à 50 000 € sont soumis à une demande de certificat d’exportation. En conclusion, l’extension du champ des biens culturels induit, en l’absence de définition de ce concept, le recours à des critères de distinction : le temps constitue à cet égard un paramètre essentiel. Mais la mise en pratique des seuils temporels peut nécessiter des expertises. De plus, dans l’enchevêtrement des règlementations visant à promouvoir l’intérêt général, le temps juridique n’est pas le même selon qu’il s’agit de protection du patrimoine, de défense des intérêts du Trésor public ou de police administrative. Plus largement, le temps est source d’incertitude dans de nombreuses situations, telles que l’application des délais dans les procédures d’exportation ou encore dans la mise en œuvre des règles de prescription des actions en responsabilité des acteurs du marché de l’art.

Avocat au barreau de Paris, docteur en droit, Jacques Fingerhut est membre de l’Institut Art & Droit.
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