Gazette Drouot logo print

La fondation Étrillard, passeur de patrimoine

Publié le , par Sarah Hugounenq
Cet article vous est offert par la rédaction de la Gazette

Faire résonner l’art ancien dans notre monde contemporain, tel est l’objectif de la fondation genevoise. Après sept années d’existence, elle amplifie son mécénat pour mieux l’implanter en France, en Suisse et au-delà.

Attribuée à Georges Jacob (1739-1814), Bergère du débotté, seconde moitié du XVIIIe siècle,... La fondation Étrillard, passeur de patrimoine
Attribuée à Georges Jacob (1739-1814), Bergère du débotté, seconde moitié du XVIIIe siècle, acajou, collection fondation Étrillard.
© Christophe Fouin

À l’image de son créateur, la fondation Étrillard est discrète. À la tête depuis vingt ans du fonds d’investissement LFPI, Gilles Étrillard s’est lancé en 2015 dans un projet de taille : réconcilier le monde contemporain avec les trésors européens du passé. Après avoir fait ses armes dans l’univers philanthropique par le lancement, à l’orée des années 2010, d’un prix au nom évocateur – prix Gilles Étrillard et ses enfants – pour encourager la restauration d’un oratoire ou de la chapelle d’un château ouvert à la visite, cet énarque a opté pour une fondation familiale de droit suisse. Chaque enfant est ainsi amené à teinter l’action de la fondation. Tandis qu’Églantine Étrillard s’attache à la cause environnementale en lançant le prix du Patrimoine paysager et écologique, son frère Grégoire, avocat pénaliste, a conçu un programme de concerts classiques à Fleury-Mérogis. «Être une fondation familiale donne une grande liberté, une indépendance totale, et nous permet de soutenir des institutions et des projets très variés. Nous pratiquons la curiosité intellectuelle et la tolérance comme vertus cardinales et l’enthousiasme comme moteur», glisse Miguel Perez de Guzman, délégué général de la fondation. Perdue dans les limbes d’une mission initiale – lier l’art ancien et le contemporain – trop copieuse et extensible, cette dernière a vu son action redéfinie l’an dernier, pour plus de lisibilité et d’efficacité. Les résultats ne se sont pas fait attendre. Refondation du site internet, nouvelle charte graphique, nouveaux concours et restructuration des pôles d’action : le réveil est dynamique, au service de la transmission du patrimoine. Engagée de longue date en faveur de la musique classique, la structure multiplie désormais ses secteurs d’intervention et ses modes de soutien. En y ajoutant les questions de biodiversité, les beaux-arts, la restauration du patrimoine ou les métiers d’art est tissée une politique diverse et touche-à-tout, où nulle discipline n’est exclue si tant est que le projet fasse résonner passé et présent. Outre le financement traditionnel du catalogue de l’exposition «Les choses. Une histoire de la nature morte » au musée du Louvre, la fondation s’est engagée auprès de l’École du Louvre afin de créer une bourse de doctorat, destinée aux recherches consacrées aux correspondances entre les arts de différentes époques. La première bénéficiaire, jusqu’en 2024, s’intéresse aux élèves d’Ingres inspirés par la Renaissance italienne. Autre domaine, autre soutien : la fondation Royaumont bénéficie d’une aide pour son projet de recherche et formation «Chanter l’ars nova», consacré à la prononciation des textes et à la lecture mélodique et contrapuntique des musiques médiévales, secteur bien moins accompagné que la musique baroque. Par-delà les appétences de son fondateur, la marque de fabrique est là : intervenir là où personne ne s’engage, au profit de thématiques méconnues mais méritantes, de projets confidentiels mais innovants.
 

Grande châsse-reliquaire de saint Maurice, commandée en 1225, après restauration, trésor de l’abbaye de Saint-Maurice, Suisse. © Michel Ma
Grande châsse-reliquaire de saint Maurice, commandée en 1225, après restauration, trésor de l’abbaye de Saint-Maurice, Suisse.
© Michel Martinez & Jean-Yves Glassey

Nouvelles technologies
L’innovation, telle est la voie royale empruntée pour articuler le patrimoine aux enjeux contemporains. Pionnier, le nettoyage électrolytique des deux châsses du trésor de l’abbaye de Saint-Maurice permettra de redécouvrir ces deux œuvres, jusque-là trop corrodées pour être montrées au public. Financée par la fondation, la technique – non invasive et sans recours aux produits chimiques – a été développée en partenariat avec la Haute École Arc de Neuchâtel. Cet intérêt pour les nouvelles technologies comme passeurs d’héritage se retrouve dans l’accompagnement de la Fondation Martin Bodmer, à l’occasion des 15 ans du projet de numérisation des manuscrits anciens en Suisse, baptisé «e-codice». Une table tactile permet de feuilleter en haute définition quelques-uns des plus beaux incunables parmi les trésors illuminés des bibliothèques helvètes. Côté Hexagone, pays natal de Gilles Étrillard, c’est un projet immersif au Centre Pompidou qui a séduit le mécène : dans le cadre de son exposition consacrée l'an passé à la Nouvelle Objectivité en Allemagne, la chambre de projection Retournements, du photographe Arno Gisinger, redonnait vie aux œuvres dites d’«art dégénéré» accrochées à Mannheim de 1933 à 1945.

 

Manufacture des Gobelins, première moitié du XVIIe siècle, tapisserie de Narcisseet Écho (détail), collection fondation Étrillard. © Chris
Manufacture des Gobelins, première moitié du XVIIe siècle, tapisserie de Narcisse et Écho (détail), collection fondation Étrillard.
© Christophe Fouin

L’art du geste
Dans ce large spectre d’interventions, l’organisme creuse son sillon dans un secteur encore peu plébiscité par les mécènes : les métiers d’art. Domaine idéal où le savoir-faire ancestral rencontre le geste contemporain, l’artisanat d’art permet en outre de mettre en lumière la collection naissante de la fondation. Riche pour l’heure d’une centaine de pièces, principalement articulées autour de la tapisserie du Grand Siècle et du mobilier, celle-ci est partiellement visible au château de Vayres près de Bordeaux – dirigé par Sylvie Boucly, sœur de Gilles Étrillard – et dans un palais vénitien, comme nous y viendrons plus tard… Mais elle est appelée à croître. Ainsi, l'une de ses tapisseries est actuellement soumise, dans le cadre d’un programme pédagogique de deux ans, aux élèves de l’école Boulle. Outre son étude, la pièce sera repensée et le résultat intégrera le fonds suisse. La logique a été similaire dans le lancement il y quelques semaines du concours « Âmes d’œuvres », invitant les artisans professionnels à réinterpréter la  Bergère de débotté attribuée à Georges Jacob (1739-1814). Grâce à une dotation de 40 000 francs suisses, et après avoir été choisi en septembre par un jury prestigieux composé entre autres d’Olivier Gabet – directeur du département des Objets d’art du Louvre – et de Chantal Prod’Hom – ancienne directrice du Mudac à Lausanne –, le lauréat aura un an pour produire son œuvre. Celle-ci entrera dans les collections Étrillard, que dirige depuis peu Sophie Mouquin. Le recrutement de l’ancienne directrice des études de l’École du Louvre, spécialiste des arts décoratifs du XVIIIe siècle, démontre une capacité de la structure à aiguiser ses compétences par l'intermédiaire de personnes qualifiées. L’âme artistique des lieux est insufflée à Venise au palais Vendramin Grimani par Daniela Ferretti, commissaire indépendante et ancienne directrice du Palazzo Fortuny. L’historienne de l’art, siégeant au conseil d’administration de la fondation Maeght, a collaboré avec nombre d’institutions internationales – les Scuderie del Quirinale et la villa Borghèse à Rome, le Reina Sofía à Madrid, la Haus der Kunst à Munich, le musée Pouchkine à Moscou ou encore celui d’Orsay à Paris. Le profil n’est pas anodin et sert les envies d’expansion de la fondation. Très implantée en France de par l’histoire de son créateur, et en Suisse du fait de son immatriculation juridique, celle-ci lorgne en effet au-delà. La première étape passe justement par Venise, qui abrite depuis 2019 la Fondazione dell’Albero d’Oro, dirigée par Béatrice de Reyniès, sous l’égide de l’institution genevoise et ayant pour but principal de rendre son lustre d’antan au palais Vendramin Grimani. Rouvert au public le 24 mai dernier, l’édifice bordant le Grand Canal est le point de départ d’une politique de mécénat plus large, visant à soutenir les chantiers de restauration du patrimoine de la Sérénissime. D’autres esquisses sont dans les cartons, notamment en Allemagne, mais aussi aux États-Unis via le projet d’une nouvelle fondation fille.

à voir
«Nicolò Manucci, le Marco Polo de l’Inde», Fondazione dell’Albero d’Oro,
palais Vendramin Grimani, San Polo, Venise, tél. : +39 041 8727 750.
Jusqu’au 26 novembre 2023.
www.fondazionealberodoro.org