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La déontologie, le salut d’une profession…

Publié le , par Stéphanie Perris-Delmas et Sophie Reyssat

Hasard du calendrier ou pas, alors que plusieurs scandales secouent le marché de l’art, la Compagnie nationale des experts a ouvert ses premières assises. Statuts, missions, garanties… vaste programme.

Jean-Christophe Castelain, rédacteur en chef du Journal des arts ; Claire Chastanier,... La déontologie, le salut d’une profession…
Jean-Christophe Castelain, rédacteur en chef du Journal des arts ; Claire Chastanier, adjoint au sous-directeur des collections, service des Musées de France, direction générale des patrimoines ; Hélène Bonafous-Murat, administrateur de la CNE ; Marc Perpitch, administrateur de la CNE ; Catherine Chadelat, présidente du Conseil des ventes volontaires ; Alexandre Giquello, président de Drouot Enchère.


Après la publication du code de déontologie élaboré par le Comité professionnel des galeries d’art, la Compagnie nationale des experts inaugurait ses Assises de l’expertise le 8 juin dernier, au lendemain de l’interpellation de Bill Pallot et de Laurent Kraemer par l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels. Climat tendu, auditorium comble. En ligne de mire, le statut de l’expert. Cette profession est-elle une chance pour le marché, son exercice est-il à risques ? Autant de questions débattues au cours de trois tables rondes censées faire le point sur un métier et, en filigrane, «rétablir une forme de confiance», appelée de ses vœux par le président de la CNE, Frédéric Castaing.
Un expert, pourquoi, pour qui ?
Aujourd’hui, n’importe qui peut s’improviser expert… La profession n’a pas de statut juridique et souffre d’une image pour le moins confuse auprès du public. Ce constat fut le point de départ de la première table ronde, animée par Sabine Bourgey, vice-présidente de la CNE, pour qui «rien de rare ni de cher ne se vend sans expert». Pourquoi ? Malgré l’afflux d’informations dû au développement d’Internet, le marché de l’art reste un milieu un brin mystérieux pour le public. En résulte une asymétrie entre connaisseurs et profanes, préjudiciable aux plus novices. «L’expert est là pour y remédier», précise Gilles Andréani, président de l’Observatoire français du marché de l’art. Parmi les missions de l’expert ? La description de l’œuvre, son authentification, son estimation… «Mais l’expertise ne relève pas exclusivement des missions ad valorem, rappelle Jean-Michel Renard, seul représentant de la Chambre nationale des experts spécialisés en objets d’art et de collection. Il faut intervenir également en dehors du marché, dans divers domaines , comme les collections publiques ou privées , collaborer avec les cours d’appel et les douanes… S’il n’existe aucune école, devenir un professionnel reconnu n’en requiert pas moins des compétences. Celles-ci sont validées par les différentes compagnies d’experts. Ainsi la CNE exige-t-elle dix ans d’exercice, un casier judiciaire vierge, l’inscription au Registre du commerce, l’indépendance, la reconnaissance de ses pairs… Les trois principales associations professionnelles fonctionnent peu ou prou sur le même modèle. À défaut de statut officiel, celles-ci offrent donc une garantie au consommateur. Autre critère pour trier le bon grain de l’ivraie, «l’assurance prise par tout expert digne de ce nom», souligne Sabine Bourgey, qui poursuit : «Celui-ci est en formation continue, nous apprenons tous les jours en exerçant notre métier.» Si le fameux «œil» forgé par des années de pratique demeure primordial, l’information qu’il fournit doit être complétée par diverses analyses. L’expertise «est l’art de poser des questions», note Jean-Michel Renard. Le professionnel se doit de suivre une méthodologie quasi scientifique pour apporter des réponses étayées par une démonstration. Le métier ne s’improvise pas.
Un garant du marché
Quelle est la différence entre l’expert et le spécialiste, entre le consultant et l’apporteur d’affaires ? Le débat, animé par Hélène Bonafous-Murat, administrateur de la CNE, ouvrait la deuxième table ronde sur le postulat : «L’expert, une chance pour le marché de l’art». Très vite, les discussions s’orientaient vers les questions relatives aux ventes publiques et leur tandem commissaire-priseur/expert. «Ce binôme n’existe pas chez nos concurrents anglo-saxons», précise Alexandre Giquello, président de Drouot Enchère. Le Code de commerce stipule qu’un commissaire-priseur peut s’assurer du concours d’un expert quel qu’il soit… Cependant, ce dernier ne doit pas prendre le contrôle total de la vente au détriment de l’OVV, alors relégué au simple rôle de prestataire. Selon Catherine Chadelat, présidente du Conseil des ventes volontaires : «Si un commissaire-priseur n’est qu’un tombeur de marteau, qui prête son nom à un expert ou un apporteur d’affaires, il est sanctionnable par le Conseil. Le commissaire-priseur doit rester maître de la vente.» En droit français, l’expertise n’est pas une profession, mais une mission temporaire dans un cadre contractuel. Il revient au CVV de veiller au bon équilibre des rôles de chacun, et de leur indépendance… Celà étant, il n’a pas vocation, comme le rappelle encore Catherine Chadelat, à juger de la compétence d’un expert. Cette fonction revient aux compagnies d’experts. La profession n’étant pas réglementée, tous insistent sur la nécessité d’une autorégulation. Dans la lignée de ces réflexions, Alexandre Giquello rappelait la mise en place d’une commission d’admission à Drouot, depuis décembre dernier, dans le cadre des expositions et des ventes collégiales. Ce «vetting» s’appuie sur les principaux comités (CNE, CNES, SFEP), alors seuls interlocuteurs de l’Hôtel des ventes, afin d’éviter certains conflits, «le rôle des compagnies étant de protéger ses membres», comme le rappelle Frédéric Castaing. Aux comités d’informer Drouot d’un doute éventuel sur un objet ; à charge de l’Hôtel des ventes de prévenir l’opérateur concerné, en conseillant le retrait du bien. «Agir en amont» est la préconisation retenue par Drouot, à l’instar des grands rendez-vous internationaux que sont la Biennale, TEFAF… «Le défi que doivent relever les experts est bien celui du temps et des moyens», note Marc Perpitch, administrateur de la CNE.
Un métier de confiance
Frédéric Castaing introduisait ainsi la dernière table ronde : «Engager sa responsabilité est le premier risque de l’expert». Celle-ci était consacrée aux dangers de la profession. Dans un contexte de judiciarisation accrue de la société, la question se révèle brûlante.
En préambule, Emmanuel Lhermitte, administrateur de la CNE, rappelait la dualité juridique de la prescription : cinq ans dans le cadre des ventes publiques (au jour de l’adjudication), toujours cinq ans, mais avec un effet, glissant jusqu’à vingt ans dans le cadre des ventes de gré à gré (à la découverte du préjudice). On le voit, c’est la nature même de la transaction qui fait la différence. Outre la responsabilité juridique, un expert peut voir son avis contesté devant les tribunaux par un confrère, d’où la nécessité de notifier des réserves, le cas échéant, et de jouer la carte de la collégialité. «L’expert doit accepter de dire, à un moment donné, qu’il ne sait pas» est un constat qui revenait souvent. Il doit aussi faire face à d’autres menaces, comme les phénomènes spéculatifs mis en exergue par l’affaire Aristophil. «L’afflux d’argent a remis en cause les principes mêmes de la discipline», se lamente Frédéric Castaing. La déontologie est bien au cœur du débat, l’opprobre s’insinuant avec le doute, comme le proclame le colonel Ludovic Ehrhart, chef de l’OCBC. Pour lui, «expert est un métier à risques, oui, mais surtout un métier de confiance.» La solution passe par la vertu de chacun et le contrôle des institutions. Elles sont là pour sécuriser le marché. Les différentes compagnies ont d’ailleurs inscrit dans leurs statuts des recours contre leurs membres indélicats : convocation, avertissement, suspension, exclusion… À charge pour elles d’être réactives. Au final, tous les acteurs appelaient de leurs vœux la fédération des compagnies d’experts, ou à défaut, un code de déontologie commun. Face à la tourmente, la profession devrait aspirer à parler d’une seule et même voix.

Verbatim
«Les biens culturels sont-ils une marchandise comme les autres ?
Souhaite-t-on un modèle international (ou anglo-saxon) ou un modèle français du marché de l’art ? Le nôtre, qui sanctuarise l’œuvre d’art, offre des garanties et des protections pour l’acheteur, comme celles développées par Drouot et les compagnies d’expertise». Jean-Michel Renard, expert près de la CNES.
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