En droit, la collection privée reste un objet mal identifié, sans véritable statut. Oeuvre de l’homme ou oeuvre de l’esprit ? Réflexions autour d’une notion floue.
Si le code civil dispose, à l’article 534, que "les collections de tableaux [et de porcelaines] qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières" ne sont pas des meubles meublants, rares sont les normes s’intéressant à la collection. L’objet de collection est doté d’un statut, principalement fiscal, celui-ci soumettant aux règles applicables aux objets d’art (par exemple en matière de dation, d’ISF ou de TVA à l’importation) des objets qui ne peuvent prétendre à cette appellation et sont seulement distingués par leur présence au sein d’une collection. La collection, quant à elle, est visée par le dispositif du code du patrimoine, qui soumet l’exportation de certains biens culturels à l’obtention d’un certificat, et le décret d’application du 29 janvier 1993, qui définit la collection comme "un ensemble d’objets, d’oeuvres et de documents dont les différents éléments ne peuvent être dissociés sans porter atteinte à sa cohérence et dont la valeur est supérieure à la somme des valeurs individuelles des éléments qui le composent".
Au coeur de cette définition est la notion d’ensemble - l’essence même de la collection - qui, en droit, s’appréhende au moyen du concept d’universalité, envisageant la pluralité des biens comme un bien unique. En l’espèce, une telle approche permettrait d’envisager une protection de la collection, sa dispersion pouvant alors être regardée comme une atteinte à ce bien unique. Aucune norme n’offre cependant une telle protection. Les tribunaux utilisent le principe d’universalité pour la collection afin d’appliquer le régime d’exportation (cf. affaire Arp), ou pour valider l’estimation globale d’une collection de dessins (pour une donation) ou de figurines en étain (pour une vente "en bloc"), sans exiger l’énumération exhaustive de chacune des pièces qui les composent. Mais ceci ne constitue pas en soi un régime protecteur de la collection. En outre, si la préservation de l’ensemble peut être imposée par le collectionneur dans un testament, un acte de donation ou un acte de vente, cette protection demeure fragile, car son effet est relatif. Ainsi et par exemple, le collectionneur ne peut déroger aux règles du partage successoral pour privilégier celui qui reçoit la collection au détriment des autres.
On pourrait alors rechercher cette protection dans le droit d’auteur – que le collectionneur revendiquerait en tant que "créateur" de sa collection - et, plus précisément, dans le droit au respect de l’intégrité de l’oeuvre, qui procède du droit moral de l’auteur prévu par le code de la propriété intellectuelle. À ce jour cependant, la collection n’est pas reconnue en tant qu’oeuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur. On pense notamment à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 25 mai 1988 relatif à la collection d’automobiles des frères Schlumpf, même si la cour a entrepris de donner une consistance juridique au lien existant entre le collectionneur et sa collection, grâce à la notion «d’oeuvre de l’homme». Ce lien "spécial" a également été invoqué le 12 janvier 2004 à Grenoble, dans un arrêt relatif à un divorce. La cour a en effet considéré que la collection de sciences naturelles était un bien propre attaché à la personne du collectionneur et n’entrait en conséquence pas dans les biens de la communauté. Pour autant, le contour flou de l’approche juridique de ce lien ne permet pas de l’envisager comme fondement d’un régime protecteur de la collection. Ainsi, la protection de la collection, que seul un classement au titre des monuments historiques assure avec certitude, apparaît fort délicate : empêcher la dispersion d’une collection contribue à geler les objets et, par conséquent, entrave la constitution de nouvelles collections. Dès lors, c’est peut-être l’esprit de la collection plus que sa matérialité qu’il convient de protéger. Par exemple, en lui reconnaissant la qualité d’oeuvre de l’esprit.
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