L’actualité cette année n’a de cesse de célébrer la Bretagne à travers ses peintres. À Vannes, Quimper, Pont-Aven, Concarneau et Le Faouët, nombreuses ont été les expositions qui l’ont choisie pour thème, jusqu’à Paris qui accueille actuellement au Grand Palais la rétrospective Paul Gauguin, fondateur de l’école de Pont-Aven. Les ventes publiques à leur manière aussi participent à la fête. Un Feu de joie de Gauguin adjugé 218 500 €, les Régates à Concarneau de Maurice Denis 66 000 euros, confirment la ferveur du public pour les artistes qui ont fait de la Bretagne le laboratoire de la peinture moderne. Ces ventes passées et celles à venir, comme la dispersion à Quimper le 29 novembre et à Brest, le 21 décembre d’un ensemble de peintures bretonnes, témoignent de l’engouement du marché de l’art pour ces écoles.
Genèse d’un mythe
Avant l’arrivée de Paul Gauguin en 1886, la Bretagne est déjà le sujet et le point de ralliement de nombreux peintres français et étrangers. Cette contrée qui passe alors pour une terre sauvage et retirée, à la fois exotique et mystique, attire une pléiade d’artistes en quête de nouveaux sujets. Costumes et coutumes, patrimoine et paysage, celtomanie et chouannerie bretonne fournissent à la peinture ces thèmes de renouveau. La littérature de l’époque, celle de Chateaubriand surtout, contribue à l’image d’une "région solitaire, triste, orageuse, enveloppée de brouillards", une contrée qui, avec ses paysages côtiers, sa mer démontée, exalte le sentiment romantique. La Bretagne séduit par son « primitivisme », ses paysages insolites, sa religiosité. Elle apparaît au regard des visiteurs comme une sorte de photographie des temps passés, un lieu préservé. Elle renouvelle le sacro saint modèle gréco-romain. En se substituant un temps aux figures de l’histoire antique, les Bretons deviennent les nouveaux héros. Pas une exposition, constate un critique de L’Illustration en juin 1865, où "l’on n’aperçoive leurs vestes, leurs braies celtiques et leurs longs cheveux retombant d’un chapeau bossué".
Les Bretons au salon
Le sujet se vend bien. Au Salon des artistes français, la "bretonnerie" trouve sa place aux cimaises de cette institution annuelle permettant aux artistes de se faire connaître. Les modes et les goûts dictés par son jury trouvent dans le sujet breton un vaste champ d’expression qui s’adapte aux tendances stylistiques du siècle. Il est tour à tour traité dans une veine intimiste en petite scène de genre réaliste à la manière d’Eugène Leroux, dans une veine académique où il exalte le beau à la manière de William Bouguereau. Les Pêcheuses d’huîtres d’Auguste Feyen-Perrin apparaissent dès lors grandes et belles comme des élégantes, héritières des nymphes antiques. Le sujet s’essaie au genre historique, grand format. Il puise ses thèmes dans la période révolutionnaire et chez les chouans, l’époque médiévale suscitant pour sa part moins d’engouement. Ces tableaux donnent une image de la Bretagne souvent édulcorée, faussée, idéalisée. Les peintres choisissent ce qui plaît alors au public : l’idée de cohésion sociale, de piété, du sens de l’effort, le tout traduit avec les artifices de la grande peinture académique ; on est loin de la réalité... Plus novateurs, certains artistes dans la lignée de Courbet et de son Enterrement à Ornans abordent le thème avec plus de justesse sans idéalisation. Les paysagistes sont peut-être ceux qui sont restés les plus fidèles à ce pays, cherchant à en saisir les moindres effets, les moindres variations. Les plus grands noms du genre ont peint la Bretagne. Eugène Boudin qui choisit de présenter pour son premier Salon parisien en 1859, Le Pardon de Saint-Anne-la-Palud au fond de la baie de Douarnenez, y réside chaque année dès 1865 ; Corot y séjourne à la belle saison. Les noms de leurs émules ou suiveurs, connus et moins connus, sont légions : Jules Noël, Camille Bernier ou Louis Germain Pelouse... Certains ont choisi de ne peindre qu’une seule région comme Édouard Bournichon pour Nantes et Élodie La Villette pour Lorient.
Cornouaille terre de la modernité
L’originalité des artistes réunis à Pont-Aven autour de Paul Gauguin ne réside assurément pas dans le choix du lieu. Émile Bernard, Paul Sérusier, Émile Schuffenecker et les autres ne font alors que suivre leurs aînés venus en Bretagne et plus particulièrement en Cornouaille au début du siècle. En 1865, lorsque le peintre Robert Wylie de Philadelphie arrive à Pont-Aven, petit bourg de la côte à l’est de Concarneau, la colonie compte déjà une cinquantaine de membres. Leur nombre ne cessera d’augmenter. En 1883, la municipalité se voit dans l’obligation d’interdire les débits de boisson après 22 h tant la joyeuse colonie mène grand bruit ! Sa réputation, le gîte et le couvert bon marché, pousse Gauguin en difficulté financière à s’y installer. L’auberge Gloanec devient son quartier général. Comme ses devanciers, il trouve en Bretagne "le sauvage et le primitif". Mais Gauguin et ses émules sauront en tirer un tout autre parti. Les paysages bretons et leurs populations deviennent prétextes à de nouvelles recherches plastiques. Réuni par le même refus de l’art officiel et de ses fadeurs académiques, le groupe, formé autour du maître par Laval, Moret, Chamaillard et bientôt Anquetin, Aurier et Meyer de Han, s’oriente sur une autre voie. Lassé des solutions impressionnistes, il propose un langage fondé sur la synthèse : un art où la couleur est pure, le motif réduit à l’essentiel, les formes simplifiées, cernées d’un trait. Le manifeste de ce nouveau langage synthétique, le Talisman, témoigne de l’esprit de Pont-Aven. Il influencera le groupe des Nabis et tout un pan de la peinture moderne. Au café Volpini, dans le cadre de l’Exposition universelle de 1889, les Parisiens découvrent une Bretagne originale, peinte en larges aplats de couleurs vives, une Bretagne teintée de modernité. Le succès est tel que, de retour en Cornouaille, Gauguin et Sérusier fuient vers Le Pouldu, village voisin où désormais, ils résident à la pension de Marie Henry. Là, le petit groupe reconstitué poursuit son activité malgré le départ de Gauguin en 1894. Grâce au développement du chemin de fer, d’autres lieux s’ouvrent aux peintres. À Concarneau, un groupe formé par Deyrolle, Guillou, Barnoin et Legout-Gérard tentera à sa manière de reproduire le mythe de l’école de Pont-Aven.
Un marché stable
L’engouement pour les écoles bretonnes et les artistes qui ont peint la Bretagne est bien réel, la demande constante. Les oeuvres sont recherchées par une clientèle à la fois régionale, nationale et même internationale. L’école de Pont-Aven suscite un attrait particulier. Ses oeuvres atteignent des prix élevés ainsi, le 12 mai 2002, La Moisson du blé noir de Paul Sérusier a été adjugé, 540 000 € (Brest, Thierry-Lannon). Les tableaux de Jourdan, Maufra, Moret ou Loiseau atteignent aisément les 30 500 €-50 000 €. Le groupe de Concarneau est également convoité, entre 3 000 € et 15 000 € pour des tableaux de ses principaux représentants : Barnoin, Legout-Gérard, Deyrolle et Guilloux. Vient ensuite une pléiade d’artistes dont la cote de sympathie est stable voire en hausse et dont les prix oscillent autour des 5 000 € : Meheut, Lemordant, Midy, Simon, de Belay, Le Scouezec, Beaufrère, ou Rivière. En un mot le régionalisme se porte bien en ventes publiques !