Le directeur général de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, Pierre Lungheretti, a récemment remis à Franck Riester le rapport que lui avait commandé Françoise Nyssen. Décryptage.
La Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, à Angoulême, conserve la plus importante collection patrimoniale dédiée d’Europe, la deuxième au monde après le Billy Ireland Museum de Colombus, dans l’Ohio (13 000 originaux, 250 000 imprimés…) ; elle conduit en outre une politique d’acquisition active, notamment depuis l’arrivée de Pierre Lungheretti en 2016 (68 entrées au catalogue en 2016, 104 en 2017 et 217 en 2018, soit 163 achats et 54 dons). Il n’est donc guère surprenant que le rapport, commandé pour envisager la refondation de la politique nationale en faveur de la bande dessinée et intitulé «La bande dessinée, nouvelle frontière artistique et culturelle», comporte un large éventail de propositions en faveur d’un volet patrimonial. En la matière, la politique du ministère pour cette discipline, souvent qualifiée d’«art sans mémoires», n’a pas été revue depuis les quinze mesures portées par Jack Lang en 1983, complétées par celles de Philippe Douste-Blazy en 1997. Les enjeux ont pourtant considérablement évolué depuis.
Pour une politique volontariste
Pierre Lungheretti préconise de renforcer la reconnaissance institutionnelle et symbolique du neuvième art, d’améliorer la situation économique et sociale des auteurs, de renforcer la diffusion et la visibilité de la bande dessinée dans le paysage culturel ; il s’agit de mettre en œuvre une politique volontariste d’éducation artistique et culturelle, d’assurer un plus fort rayonnement de la bande dessinée française dans le monde, de structurer une politique nationale du patrimoine et, enfin, d’instituer une nouvelle organisation ministérielle pour piloter cette dernière. Parmi les cinquante-quatre propositions avancées, plusieurs devraient bouleverser sensiblement le statut patrimonial de la bande dessinée. Pour Pierre Lungheretti, il serait indispensable de «faire de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image la tête de réseau pour l’animation de la gestion des collections et l’instituer en “grand département patrimonial” au sens du code du patrimoine», puisque «l’identification et la sauvegarde des collections exigent une expertise spécifique et sa transmission, que ne détiennent pas forcément les professionnels des établissements où sont localisées les collections patrimoniales». Or, qui dit création de grand département il en existe actuellement quinze qui émanent des grands musées nationaux, Louvre, Orsay, quai Branly - Jacques Chirac, château de Versailles, Centre Pompidou, musées Picasso, Chagall, Fernand-Léger et MuCEM dit aussi que toutes les demandes de certificats pour l’exportation, transmises à la Bibliothèque nationale dès lors qu’il s’agit de manuscrits ou de revues, pourraient être communiquées en même temps à la Cité internationale de la bande dessinée.
Le marché de l’art concerné
Une proposition devrait attirer l’attention des professionnels du marché de l’art. L’épisode «Uderzo» a marqué les esprits : en 2017, l’auteur a porté plainte en découvrant un lot de soixante-dix dessins de jeunesse dans une vente publique. Pour lutter contre le problème de traçabilité des œuvres mises en vente, il apparaît impératif aux yeux de Pierre Lungheretti de «mettre en œuvre une recherche systématique sur l’origine des planches mises sur le marché des ventes publiques». Pour cela, il prône une impulsion qui viendrait du Conseil des ventes volontaires, avec l’appui éventuel d’experts et le concours possible de la Cité internationale de la bande dessinée. Cette proposition 52, «Fiabiliser le marché des planches originales», va même plus loin : «Le ministère de la Culture pourrait ainsi dans un courrier officiel adressé au Conseil des ventes volontaires demander l’engagement d’une discussion avec les maisons de ventes sur le périmètre que recouvre l’obligation déontologique de fiabilité des œuvres, d’origine et de traçabilité des biens, et préciser ces attentes dans le recueil des obligations déontologiques. Cette exigence implique en parallèle une réforme de la formation des commissaires-priseurs qui, à l’heure actuelle, dans le cadre des deux années de stage postérieures à la réussite de l’examen, ne bénéficient que d’une semaine de formation théorique sur la lutte contre les trafics, les contrefaçons, la préemption et les questions de traçabilité. Une réflexion est actuellement en cours au ministère de la Justice sur l’avenir de la profession de commissaire-priseur et cet enjeu de formation, qui va bien au-delà du secteur de la bande dessinée, est pris en considération. Une extension de la partie théorique du métier permettrait d’y intégrer des modules plus spécifiques sur l’histoire et les collections du neuvième art.» Au-delà de ces questions, le rapport prend acte de l’expansion artistique et économique spectaculaire de la bande dessinée au cours des vingt dernières années, l’une des plus remarquables de l’ensemble du paysage culturel contemporain. Au début des années 1990, cinq cents titres étaient publiés chaque année, ils sont cinq mille actuellement. Du côté des ventes publiques, les chiffres sont tout aussi impressionnants : depuis la première, organisée par Artcurial en 2007, les ventes ne cessent de croître : vingt-six en 2011, trente en 2012, cinquante et une en 2013, cinquante-six en 2014, quatre-vingt-neuf en 2015… Même constat du côté des galeries. La bande dessinée a de beaux jours devant elle, et la France semble avoir un rôle pionnier à jouer.