Spécialement commandée par un entrepreneur parisien, cette méridienne inédite offre à l’emblématique création de Jean Royère une forme singulière… et forcément attractive
Au premier coup d’œil, on le reconnaît. Il est devenu l’une des icônes du design français des années 1950. Et pourtant, le canapé Boule, ou Ours polaire, de Jean Royère se présente ici dans une variante qui fera peut-être la différence lors des enchères : sa forme asymétrique adopte celle d’une méridienne. Mais, comme l’explique l’expert, M. Eyraud : «Royère ne s’est pas contenté d’amputer d’une extrémité de l’un de ses accotoirs, il a également repensé la forme du siège et notamment son galbe, l’épaisseur et la hauteur du dossier.» Il paraît en effet plus enveloppant du fait de cette pente davantage inclinée menant à l’accotoir. Une version jusque-là inconnue, et certainement unique, qui fut spécialement dessinée pour François Malgat en 1956, le meuble ayant été conservé jusqu’à ce jour dans sa descendance. Un calque d’exécution n° 6.364, daté de novembre de cette année et nominatif, est d’ailleurs conservé au musée des Arts décoratifs. Le commanditaire était un jeune entrepreneur de 34 ans et vivait dans un appartement du 16e arrondissement. Si l’on ne sait pas comment les deux hommes entrèrent en contact ni comment se déroula cette commande destinée à orner son bureau-bibliothèque, force est de constater l’audace de M. Malgat. Commander un tel siège en 1956 témoignait en effet d’un bel esprit d’avant-garde. Dans le numéro 7 de septembre-octobre 1956 de Mobilier et Décoration était illustré un ensemble mobilier de Royère, comprenant notamment cette méridienne, en vedette au centre de la pièce, tapissée d’un tissu d’un jaune éclatant. C’est d’ailleurs d’un velours Teddy Bear de teinte similaire que notre siège était garni, avant de subir deux retapissages, à la fin des années 1970 puis en 2020. Jean Royère aimait tout particulièrement les couleurs vives, lesquelles animaient ses intérieurs, entièrement imaginés par lui. Mais il vendait parfois ses Ours polaire seuls, comme ce fut le cas pour celui-ci. Rappelons que le modèle est devenu emblématique de sa production : il fut sans doute celui le plus longtemps utilisé dans ses différents projets – pendant plus de vingt années au moins. L’histoire remonte à 1947 avec le réaménagement de l’appartement de la mère du designer, rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris, où il s’installe lui-même dans une partie qu’il compte meubler d’objets novateurs, à l’image de ce canapé. L’Ours polaire rompt en effet totalement avec son style des années 1940, fait d’ornements, d’ondulation et de fantaisie,
et se tourne vers les formes organiques. Adaptant chacun de ses projets à son commanditaire, Royère laisse toujours libre cours à son imagination fertile. Ainsi, dès l’Exposition internationale de 1937, il propose des sièges entièrement tapissés de peau de chèvre, admettant désormais que le fonctionnalisme a ses limites et qu’il faut avant tout que le mobilier plaise à son propriétaire. Tout en prônant la simplicité et la liberté, la forme organique et sans structure apparente du canapé Ours polaire est l’aboutissement de cette réflexion. Bien qu’il ne retienne pas l’attention de la critique lors de sa présentation officielle à l’exposition «Une résidence française» de 1947, il s’imposera au fil des années 1950. Il faut dire que, outre son confort non négligeable, sa ligne fluide s’adapte partout… et pourquoi pas chez vous ?