Ancienne manufacture fondée par les Médicis, l’OPD est à la fois un musée de la marqueterie de pierres dures, un laboratoire et l’un des pôles de la restauration italienne.
78, via degli Alfani, une modeste ruelle située au nord du Duomo, que tout Florentin qui se respecte connaît. Après les foules et l’agitation des visites touristiques, ce lieu de culture raffinée s’adresse aux esthètes, aux spécialistes et aux passionnés. Fondé en 1588 par le grand-duc Ferdinand Ier de Médicis pour l’art prestigieux du commesso (marqueterie florentine de pierres dures), l’Opificio delle Pietre dure (OPD) était initialement destiné à la décoration de l’église San Lorenzo. Le talent de ses artistes rayonnera bientôt sur toutes les cours royales de l’Europe. De nos jours, l’OPD est devenu l’un des instituts de recherche scientifique sur l’art les plus réputés au monde. Si ses ateliers de restauration sont disséminés dans la ville, le cœur de l’institution réside toujours à l’ancienne manufacture des Médicis.
Artistes et artisans
Une fois poussée la porte de cette vénérable institution, une simple loge, immuable depuis des années, dirige vers le musée. Quelques salles révèlent les trésors infinis de cet art qui fit vivre Florence à la Renaissance, engendrant une admiration sans bornes pour le savoir-faire du commesso italien. Les Médicis n’hésitaient pas à en faire des présents. Certains d’entre eux sont signés Caroni et Gaffuri de Milan, Castrucci ou Miseroni, dont les descendants perpétueront le prestige de la célèbre famille. Les rois et les empereurs les sollicitèrent alors pour venir travailler en Bohême, mais aussi à Vienne, Paris ou Madrid. Une rivalité qui s’installe à Rome, avec les Farnèse, et à Prague, où Rodolphe II de Habsbourg crée sa propre manufacture. Plus tard, Louis XIV commandite un atelier spécialisé aux Gobelins, avec Migliorini. Tout notable se doit de posséder son studiolo, ou cabinet de curiosités, en pierres dures. Tables, coffrets et tableaux décorent les salons de sujets raffinés en volutes, fleurs, animaux et paysages de pierres. Cet engouement se poursuit même après la fin des Médicis, en 1736. Charles de Bourbon fonde une manufacture à Naples puis une seconde à Madrid, en 1761, tandis que celle de Florence fournit les Habsbourg-Lorraine jusqu’en 1858. Au XIXe siècle, les Bonaparte, Louis II de Bavière et le tsar de Russie sont les derniers commanditaires de ces tableaux pour mirabilia. La manufacture de Florence, devenue propriété domaniale en 1859, se reconvertit en musée et voit son atelier concurrencé par de nombreux ateliers privés. Après les inondations catastrophiques de 1966, l’OPD deviendra bien culturel de l’État en 1975. Le musée fusionnera alors avec le laboratoire.
Le musée ou l’art du commesso
Les salles du musée illustrent l’art du commesso à travers les époques. Aux marbres et au porphyre rouge des antiques succèdent les marqueteries de la chapelle de San Lorenzo, puis les panneaux naturalistes du XVIIIe siècle de Zocchi, destinés à l’empereur d’Autriche. La bella paesina, ce marbre clair oxydé par le manganèse, révèle des paysages ruiniformes souvent peints, aux XVIIe et XVIIIe siècles, de turqueries ou de sujets religieux. La glyptique est présente à travers des camées et des intailles. Les collections de studioli et les portraits des Médicis transcendent le cristal de roche et autres pierres dures, encadrés d’ébène ou de poirier noirci. En mezzanine, la reconstitution d’un atelier du XVIIIe siècle est environnée de six cents échantillons de pierres utilisées en commesso. Plus loin, le visiteur appréhende la scagliola, mélange de plâtre fin, de colle et de couleurs imitant la pierre dure et le marbre, devenue à la mode aux XVIIe et XVIIIe siècles grâce aux maîtres Henry Hugford et Cristiano Gori. Une somptueuse cheminée verte, en malachite de Sibérie, marque le tournant vers les modèles du XIXe, où apparaissent les monuments architecturés. La collection des Habsbourg-Lorraine remet le porphyre rouge à la mode avec des plateaux de table, signés Carlieri (1816), représentant des coquillages d’une précision inégalable. Les dernières salles exposent les chefs-d’œuvre réalisés après l’unité italienne (1861), avec quelques derniers exemples sur le thème végétal.
Un atelier d’experts
Au fond du porche, la porte s’entrebâille sur une cour où s’entassent, délavées par le soleil, les réserves minérales des Médicis. Seuls les étudiants et les spécialistes peuvent, sur rendez-vous, visiter l’atelier. La directrice, Clarice Innocenti, nous accueille avec le sourire chaleureux des Italiennes. Chiara Martinelli, responsable du laboratoire, explique à une stagiaire française les différentes étapes du commesso fiorentino. L’artiste dessine le projet du tableau et découpe les motifs, qui seront reproduits sur un calque ou une forme en papier. Ils sont collés sur une plaque de pierre dure, tranche de 3 à 5 mm d’épaisseur choisie pour sa nuance dans les innombrables tiroirs d’échantillons : jaspe rouge de Sicile ou vert de Bohême, lapis-lazuli bleu, malachite aux œillades vertes, nacre subtile, albâtre tachetée, marbres jaune de Sienne et autres, linéaire de l’Arno, dendrites herbues, calcédoine translucide, agate moirée, améthyste violette… La paesina, l’albarèse et le vert de l’Arno se trouvent encore dans les campagnes florentines. Le noir de Belgique ou le bois fossile de la Forêt-Noire font ressortir le sujet. À l’identique depuis des siècles, l’artisan découpe la pierre avec un archet en bois, armé d’une scie au fil en acier et d’abrasif. Il suit la «marque», sans lever la scie lors des contours. Les morceaux sont limés, égalisés puis collés sur une plaque d’ardoise grâce à une colophane fondue sur un brûleur à alcool, comme au XVIIe siècle. Les plaques s’emboîtent suivant un puzzle impeccable, formant petit à petit un tableau de pierres, que le poli final met en valeur. Pour les stagiaires, qui laisseront leurs œuvres avant de repartir, plusieurs semaines sont nécessaires pour réussir une première fleur de 15 cm de côté ! Rien à voir avec ces tables en marqueterie moderne venues des Indes et qui ne respectent ni les dessins ni le choix des pierres. À bas prix, elles envahissent le marché de l’art et prêtent à confusion…
L’Opificio et ses actions
L’OPD actuel est un institut central de restauration (ICR) dépendant du MiBACT, le ministère italien des Biens, des Activités culturelles et du Tourisme. Son siège, situé à Florence, couvre actuellement une école de formation, le musée des Pierres dures, un laboratoire scientifique et une dizaine d’ateliers de restauration : pour les tapis et tapisseries, le bronze, l’archéologie, la peinture murale et sur tableau, le papier et ses dérivés, les mosaïques et marqueteries de pierres, l’orfèvrerie, la sculpture sur bois, la céramique et les textiles. L’établissement s’organise autour de trois lieux, le siège historique de la via degli Alfani, celui de la Fortezza da Basso pour les œuvres de grandes dimensions et celui du palazzo Vecchio pour les tapisseries. Le laboratoire scientifique couvre les secteurs physique, biologique et climatologique, ainsi que la conservation préventive. L’École de haute formation, fondée en 1978, délivre quant à elle une équivalence de maîtrise en cinq années universitaires. Elle organise également des stages et des cours de formation continue pour conservateurs. L’accès à cet établissement passe par un concours public international, ouvert chaque année par le ministère, sur la base d’un diplôme d’école secondaire supérieure. Son cursus est personnalisé selon le choix du candidat, qui passera ainsi cinq années inoubliables dans la capitale de la Toscane.