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L’éducation par les livres : cherche prince désespérément…

Publié le , par Bertrand Galimard Flavigny

Dans tous les royaumes, l’éducation des jeunes princes fut une préoccupation majeure. De nombreux ouvrages y ont été consacrés. Celui de Machiavel et celui d'Erasme, postérieur, sont fixés dans nos mémoires. Mais il arrive que ces traités ne parviennent jamais sur le bureau des intéressés.

Erasme (1467-1536), L’Éducation d’un prince, traduction française de l’Institutio... L’éducation par les livres : cherche prince désespérément…
Erasme (1467-1536), L’Éducation d’un prince, traduction française de l’Institutio principis christiani, manuscrit, petit-infolio, vers 1490 [en réalité entre 1526 et 1531], plein maroquin olive à triple filet, armoiries sur les plats.
Vendredi 14 octobre 2022, Paris, Hôtel Drouot, Coutau-Bégarie & Associés OVV, M. 
Del Moral
Adjugé : 190 000 € (préempté par la bibliothèque du musée Condé au château de Chantilly)

Comment devient-on prince et surtout comment le rester ? Il n’est pas certain que les hommes politiques contemporains aient lu de bout en bout l’ouvrage de Nicolas Machiavel (1469-1527). Il Principe ou De Principatibus, que nous connaissons sous le titre français Le Prince. Celui-ci se distingue de tous les traités classiques adressés aux souverains. Il ne donne pas de conseils moraux et recommande dans certains cas des actions contraires aux bonnes mœurs. Si la gouvernance ne s’embarrasse pas de ces dernières, Machiavel, plus subtil, mettait en avant la vertu – voire l’habileté –, qui n’est pas morale, mais politique. Le Prince a été composé puis achevé en 1513 et publié pour la première fois en 1532. Il a été traduit simultanément en français par Gaspar d’Auvergne (vers 1535-1596) et Guillaume Cappel (1530-1586). Du premier (Poitiers, Enguilbert de Marnef, 1553, in-4°), un exemplaire relié en maroquin rouge par E. Thomas a été présenté à la vente à Louviers en mai 2018 avec une estimation de 4 000/5 000 €. Du second, un exemplaire (Paris, Charles Estienne, 1553, in-4°), relié en plein vélin souple de l’époque, le titre manuscrit à l’encre au dos, a été vendu 10 109 € à Neuilly-sur-Seine par la maison Aguttes, le 16 novembre 2022, lors de la dernière vente des collections Aristophil. N’oublions pas le troisième traducteur, Jacques Gohory (1520-1576), dont le texte fut publié en 1571 par R. Le Mangnier à Paris (in-8°). Un seul exemplaire est passé en vente durant ces dernières années. Relié au XIXe siècle, en maroquin vert à long grain, il a été adjugé 2 600 €, le 1er juin 2011, par la maison Alde. On dit que Machiavel s’est inspiré de César Borgia, duc de Valentinois (1475-1507), qu’il avait connu et côtoyé pour différentes missions. Pour l’auteur, le fils du pape Alexandre VI aurait été un prince idéal. Ce qui pourrait surprendre lorsque l’on connaît les grandes lignes de sa biographie. Le néologisme «machiavélique» lui convient parfaitement.
Charles Quint et Érasme
Qu’en était-il du jeune Charles de Gand, qui s’apprêtait à devenir roi d’Espagne et qui, trois ans plus tard, deviendrait empereur sous le nom de Charles Quint (1500-1558) ? Il demanda à Didier Érasme (vers 1466-1536) de lui composer un traité d’éducation. La renommée de ce dernier explique sans doute ce choix, l’Éloge de la folie a paru pour la première fois en 1511. La première édition française, intitulée De la Déclamation des louanges de folie, stile facessieux et profitable pour coignoistre les erreurs et abus du monde, a été imprimée à Paris en 1520 par Pierre Vidoue pour Galliot Dupré (petit in-4°, gothique). On sait qu’Érasme voyagea tout au long de sa vie, notamment en Italie (à Venise, Bologne et Rome), en Angleterre et en Allemagne. Durant ses déplacements, il donnait des cours de latin aux fils de familles et rédigeait à leur intention des «livres du maître». Il est désormais certain que L’Institutio principis christiani, en français L’Éducation d’un prince chrétien, a été achevé en 1516. Il ne parvint jamais à Charles Quint.
Pour la mère du roi
Il fut en revanche traduit par Guy de Baudreuil (mort après 1531). Cet abbé, commendataire de l’abbaye Saint-Martin-au-Bois, en commanda une copie manuscrite enluminée qui fut réalisée entre 1526 et 1531. Il la soumit à Guillaume de Montmorency, dans le but de la transmettre à Louise de Savoie (1476-1531), mère de François I
er, dont Montmorency était alors le chevalier d’honneur. Ce manuscrit (petit in-folio), comprenant quinze lettrines et un grand frontispice figurant deux anges portant un écu aux armes du Dauphin, relié en plein maroquin olive à triple filet aux plats, frappés aux armes de Louis Joseph de Bourbon-Condé, prince de Condé (1736-1818), a été adjugé 190 000 € à Drouot, le 14 octobre 2022, par la maison Coutau-Bégarie assistée par Jérôme Del Moral, de la librairie Villa Browna, lors de la dispersion des «Trésors de la bibliothèque des ducs de Montmorency». Il a aussitôt été préempté par la bibliothèque du musée Condé au château de Chantilly.
Le Petit Dauphin et le père de Galimard
Ce manuscrit aurait été destiné à François III, duc de Bretagne (1518-1536), le fils aîné de François Ier et de Claude de France, mais celui-ci mourut avant d’en prendre connaissance. Comme l’ouvrage d’Érasme destiné à Charles Quint, il n’atteignit pas davantage son destinataire. Est-ce le sort réservé aux traités d’éducation des princes ? Il en est un autre qui demeura lui aussi sur les rayonnages au lieu des salles d’étude. En 1687 paraissait un Art d’élever un prince, dedié à Monseigneur le duc De Bourgogne (Paris, Vve Claude Thiboust, in-12). Cet ouvrage qui connut quelque succès était présenté par le père Jean de Galimard (1637-1694), qui l’édita comme un ouvrage retrouvé dans les papiers du père Marc-Antoine de Foix-Fabas (1627-1687), alors provincial des jésuites de Toulouse. Une seconde édition (deux volumes in-12), toujours publiée par le père de Galimard, parut l’année suivante sous le titre de l’Art de former l’esprit et le cœur d’un prince. Ce même père jésuite réitéra dans la formation des princes en signant L’Histoire réduite à ses principes (1690, Muguet, in-8°), également dédié au duc de Bourgogne. Ce dernier, prénommé Louis (1682-1712) et surnommé «le Petit Dauphin», par analogie avec son père «le Grand Dauphin» (1661-1711), s’il eut entre ses mains ces ouvrages consacrés à l’art d’éducation d’un prince, ne put jamais l’exercer, il mourut trois ans avant son grand-père Louis XIV.

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