À peine nommé à la tête de la Fondation Henri Cartier-Bresson, Clément Chéroux – successeur de François Hébel en décembre dernier – signe le commissariat de l’exposition principale. Intitulée «Paul Strand ou l’équilibre des forces», cette première rétrospective en France depuis vingt-cinq ans du photographe américain réunit cent trente originaux, provenant pour la plupart de la Fundación Mapfre à Madrid et pour quelques autres du Centre Pompidou. Si elle embrasse la carrière du chef de file de la straight photography (photographie pure) des années 1910 à 1970, et montre combien il a marqué l’histoire du médium – en se détournant du pictorialisme au profit d’un style direct et sobre –, l’enjeu principal n’est pas là. Le but est ici de souligner la dimension politique du travail de Paul Strand, contraint à l’exil en 1950 lorsque le maccarthysme fait rage. Ce point de vue inédit offre l’occasion de réenvisager son œuvre, dont on connaît quelques icônes comme Femme aveugle, New York (1916), Jeune homme, France (1951) ou encore La Famille Lusetti (1953). Présentes dans l’accrochage, ces images illustrent le propos du commissaire, montrant la capacité de Strand à donner un visage à la misère, aux classes ouvrière et agricole. Mais l’originalité du parcours tient aussi dans son articulation, autour de six livres clés parus entre 1950 et 1976, parmi lesquels La France de profil (1952), cosigné par Paul Roy, et Un paese (1955), par le scénariste Cesare Zavattini. Réussie, la scénographie offre des espaces intimes aux petits formats noir et blanc : on en savoure que mieux l’exceptionnelle qualité des tirages. Fait plutôt rare, le public est aussi invité à feuilleter les livres pour découvrir les séries dans leur ensemble. Ce qui s’avère, dans le cas de Paul Strand, particulièrement pertinent.