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L’atelier XXL de Joana Vasconcelos

Publié le , par Virginie Chuimer-Layen

L’artiste portugaise travaille avec ses collaborateurs dans un immense espace à Lisbonne, où savoir-faire et bien-être se répondent. Elle expose l’Arbre de vie, sa dernière création, à la Sainte-Chapelle de Vincennes.

© Arlindo Camacho for Atelier Joana Vasconcelos L’atelier XXL de Joana Vasconcelos
© Arlindo Camacho for Atelier Joana Vasconcelos

Gigantesque, spectaculaire… Tels sont les adjectifs qui viennent à l’esprit lorsqu’on découvre l’atelier de Joana Vasconcelos à Lisbonne. Dans les anciens entrepôts de docks réaménagés au bord du Tage, sur 3 400 mètres carrés et quatre niveaux, la créatrice portugaise, née à Paris en 1971, a installé depuis quinze ans une armada de cinquante employés à temps plein. «Joana souhaitait se rapprocher de ses équipes, avec qui elle travaille chaque jour de la première à la dernière étape d’un projet», indique Rui Silvestre, son directeur exécutif. Sur d’immenses tables, mais aussi aux murs de la galerie-atelier du rez-de-chaussée, ses collaborateurs assemblent d’innombrables carreaux et sculptures de céramique émaillée aux tons pastel. Ils constituent la structure de Wedding Cake, dernière œuvre monumentale de l’artiste, qui viendra orner en juin le parc de Waddesdon Manor, géré par la fondation Rothschild, au nord-ouest de Londres. Immersive, cette «folie» un tantinet kitsch et baroque sur trois niveaux, temple de l’amour et de la joie, a nécessité plus de 25 000 azulejos provenant de la fabrique Viúva Lamego, fondée à Lisbonne en 1849. Impassibles, deux grands lions en céramique habillés de dentelle au crochet, prototypes des sculptures exposées au château de Versailles en 2012, semblent veiller à l’entrée d’un couloir recouvert de photographies. «Joana l’appelle le “Wall of Shame”, poursuit en souriant Rui Silvestre. On la voit entourée de nombreuses personnalités de la mode, des arts et de la politique.» À son extrémité se trouvent les ateliers du métal et du bois, avec le département électrique en mezzanine. Au premier étage ont été aménagés les espaces de production, communication et finance. Au deuxième, le bureau de la maîtresse des lieux voisine avec ses incroyables ateliers textiles – laine, couture et crochet. Sur les étagères, des bacs contenant sequins, paillettes, perles, pelotes et tissus, rangés par typologie et couleur, affichent un rigoureux ordonnancement. Dans ce lieu au chromatisme chatoyant, l’atmosphère est sereine. Certains s’affairent à la réalisation des feuilles et du tronc de l’Arbre de vie. Conçue pour dialoguer avec les vitraux de la Sainte-Chapelle de Vincennes, cette pièce haute de treize mètres est constituée d’environ 110 000 feuilles de tissu recyclé, brodées en noir, rouge et or et ponctuées de LED. «C’est en voyant la sculpture du Bernin Apollon et Daphné, à la galerie Borghèse à Rome, que j’ai eu l’idée de représenter un arbre, affirme Joana Vasconcelos. Je souhaitais rendre hommage à cette nymphe-muse qui s’affranchit de son destin en se transformant en laurier. Je voulais aussi affirmer la vie au-delà de la pandémie, car ce travail a débuté lors du confinement, chacun de notre côté.»

La force du collectif
Dans son bureau, aux meubles créés par elle pour Roche Bobois (2020), l’artiste explique sa pratique bien rodée : «Mes œuvres proviennent de commandes de collectionneurs, musées ou galeries, comme elles peuvent être le résultat de projets personnels. Dans tous les cas, je note premièrement mes idées dans des carnets, puis consulte mes équipes et élabore des dessins. Ensuite, je rejoins le département architecture, au troisième étage du bâtiment, afin d’étudier les matériaux et techniques à employer. J’aime m’entourer de spécialistes qui maîtrisent des savoirs et des procédés que je connais moins : des serruriers, des charpentiers, des archivistes, mais aussi des artisans d’art dont l’expertise trouve une expression dans l’art contemporain.» À quelques pas, dans l’atelier de crochet, Claudia, fidèle collaboratrice depuis plus de vingt ans, coud de petites rosettes sur une céramique de la figure de l’art portugais Rafael Bordalo Pinheiro (1846-1905). «Je revisite ses faïences animales en les recouvrant de pièces de crochet fabriquées par des femmes sur l’île de Pico, aux Açores.» Telle une seconde peau, la guipure vient envelopper un dérangeant bestiaire. Dans cette gangue protectrice, des guêpes, lézards, serpents, crabes, homards, questionnent les relations entre cultures populaire et érudite, tradition et modernité, comme ils bouleversent les codes de la beauté. Au même étage, maquettes et «livres de création» conçus pour les clients sont exposés, mais c’est surtout un espace de soins, se prolongeant au dernier niveau, qui crée la surprise. «En 2015, j’ai créé Corpo Infinito afin de contribuer au bien-être de mes équipes, explique-t-elle. Depuis, je l’ai ouvert aux amis, à la famille, et récemment au public. Étant ceinture noire de karaté et pratiquant le yoga, je souhaite promouvoir l’équilibre entre le corps et l’esprit à travers des activités multidisciplinaires, dispensées par du personnel et des thérapeutes hautement qualifiés.» Au programme : séances de relaxation, massages, méditations, yoga, mais aussi cours d’astrologie, de chamanisme, ou encore interventions artistiques, conférences et ateliers. Ouvert, sensible, multiculturaliste, transgénérationnel, le laboratoire XXL de Vasconcelos s’apparente autant à un atelier de la Renaissance qu’à une PME artistique visionnaire. Lilicoptère, Marilyn, Golden Valkyrie et bien d’autres œuvres aux formes généreuses et aux couleurs vives témoignent du goût de l’artiste pour l’histoire, les mythes nordiques, le baroque portugais, mais aussi la réappropriation des matériaux, à l’instar des artistes pop et des nouveaux réalistes.
 

Joana Vasconcelos, Arbre de vie, détail. © Atelier Joana Vasconcelos - Courtesy Atelier Joana Vasconcelos
Joana Vasconcelos, Arbre de vie, détail.
© Atelier Joana Vasconcelos - Courtesy Atelier Joana Vasconcelos


Un art décomplexé
Des créations ambivalentes, qui réévaluent les objets du quotidien avec humour et ironie, réunissent espaces domestique et public, interrogent le statut de la femme, la société de consommation et l’identité collective. Tout en réfutant une approche féministe de la société : «Certes, je m’intéresse au féminisme en regard des droits de l’homme, comme je suis une femme et Portugaise. Mais mes œuvres ne doivent pas être enfermées dans un certain discours. Contrairement à ce qui a été dit, je ne suis pas nécessairement féministe. Ce qui m’importe, c’est d’amener les gens à s’interroger de manière critique sur ce qui les entoure, et de les faire rêver. Je crois que la magie du rêve et de la créativité joue un rôle très important dans tous les domaines de la vie.» Du rêve, Joana Vasconcelos en a distribué lors du défilé de la collection automne-hiver 2023-2024 de prêt-à-porter Dior. Sa Valkyrie Miss Dior, divinité scénographique, composée de tissus floraux inspirés des archives de la maison de couture, était particulièrement spectaculaire. Toutefois, on peut s’interroger : en collaborant avec des marques de mode et de luxe, l’artiste ne craint-elle pas de devenir un produit «artketing», logotypé et gadgétisé ? «Tout au long de ma carrière, j’ai eu le privilège de mener des projets avec plusieurs marques. Cela m’a permis d’explorer différents concepts, matériaux ou techniques. À l’heure actuelle, de plus en plus d’entreprises du monde du design ou de la mode invitent des artistes à collaborer de manière très enrichissante. Une situation toujours gagnant-gagnant.» En attendant son Wedding Cake, mais aussi une exposition en octobre à la galerie des Offices à Florence, la virtuosité de l’artiste s’illustre à Vincennes.

Valkyrie Mumbet, 2020. © Atelier Joana Vasconcelos - Courtesy Atelier Joana Vasconcelos
Valkyrie Mumbet, 2020.
© Atelier Joana Vasconcelos - Courtesy Atelier Joana Vasconcelos


à voir
Joana Vasconcelos, Arbre de vie,
Sainte-Chapelle du château de Vincennes,
1, avenue de Paris, Vincennes (94), tél. : 01 48 08 31 20.
Jusqu’au 3 septembre 2023.
www.chateau-de-vincennes.fr

 
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