L’art de voyager avec ses secrets

Nous sommes dans les années 1735-1740, soit près de deux décennies avant les meubles à mécanisme de Jean-François Œben. Commencé par ce dernier en 1760, le célèbre secrétaire à cylindre sera achevé par son successeur, Jean-Henri Riesener, neuf ans plus tard et présenté à Louis XV au château de Versailles en mai 1769. La rotation d’un quart de tour de la clé déverrouille l’abattant et l’ensemble des tiroirs… Notre secrétaire est plus modeste dans ses dimensions, plus simple dans ses complications. Son abattant découvre toutefois un intérieur à six tiroirs et une liseuse, dissimulant eux-mêmes deux portes, de nombreux casiers et une tirette formant écritoire. Sur le côté, il ouvre par un tiroir. Si les meubles offrant de telles particularités se négocient régulièrement sous le marteau, beaucoup plus rares sont ceux   comme celui-ci  qui reposent sur un piétement démontable et repliable. De toute évidence, un meuble de commande. Pierre IV Migeon (1696-1758) est le membre le plus important de l’une des grandes dynasties d’ébénistes parisiens des XVIIe et XVIIIe siècles, tous prénommés Pierre… Si sa date de maîtrise reste hypothétique, il est probable qu’il l’a acquise vers 1721, c’est-à-dire à sa majorité. Son atelier à l’angle de la rue de Charenton et de la rue Saint-Nicolas, en plein cœur du faubourg Saint-Antoine, jouit d’une belle réputation. Son commerce est prospère, qui fournit le duc d’Orléans, fils du Régent, les duchesses de Rohan et d’Épernon, le maréchal de Noailles et certains ambassadeurs installés dans la capitale. Soutenu par la marquise de Pompadour, il obtient quelques commandes  notamment des bidets ou «chaises d’affaires»  pour le Garde-Meuble de la Couronne et les Menus-Plaisirs. Il conçoit aussi des pupitres, qu’ils soient «à machine» ou «de musique», sans oublier les tables en pupitre, en acajou. Une particularité en 1730, cette essence étant alors une exception dans les ouvrages d’ébénisterie. Décidément, un homme en avance sur son temps…