Le tribunal de Paris a condamné Jeff Koons pour contrefaçon d’une publicité de la marque Naf Naf – et, avec lui, le Centre Pompidou pour l’avoir exposée. Le designer Franck Davidoci assimile ce Fait d’hiver à une «copie servile» de son affiche, qui représentait un cochonnet un poil lubrique, muni de son tonnelet de Saint-Bernard, mirant une jeunesse évanouie dans la neige. L’artiste new-yorkais y a surajouté les attributs qui lui sont chers, à commencer par une avantageuse paire de seins ourlés de résille. Et, comme il les aime aussi, quelques fleurs. Cette figure fait partie de la série des «Banalités», qu’il associe à la société de consommation. La presse crie à la censure. Pour être plus exact, Jeff Koons pouvait reprendre cette image à sa manière, du moment qu’il bénéficiait de l’aval de son auteur. Il aurait alors réalisé ce qui s’appelle une œuvre «composite», respectant les droits de chacun. La caricature ou la parodie sont libres, mais elles ne s’appliquent pas en l’occurrence. Le jugement peut se discuter, mais il est étonnant de lire sous la plume du critique réputé du Monde qu’il «ouvre la porte à la censure de tous les artistes “appropriationnistes”». Pour Philippe Dagen, ces «images, diffusées à des millions d’exemplaires» sont traitées comme des symptômes de notre société. «La logique juridique» du droit d’auteur s’oppose à «la logique artistique». Le journaliste assure que «ce procédé s’appelle “appropriationnisme”», mouvement né de la culture pop dans les années 1960. Il cite Elaine Sturtevant qui faisait des fac-similés d’œuvres d’Andy Warhol. En réalité, l’intéressé, qui aimait jouer avec la multiplication des images et que ce geste un peu puéril a sans doute amusé, n’y a jamais objecté. Il lui a donc prêté son consentement. L’atmosphère libertaire s’y prêtait. À l’époque, comme le rappelle la conservatrice Annabelle Ténèze, jouer avec l’idée de «la fin de l’art» pouvait encore choquer. Aujourd’hui, elle n’indisposerait plus personne. Elaine Sturtevant a pris le bégaiement pour un geste artistique.
Des décennies plus tard, elle ne répétait plus Warhol, elle se répétait elle-même répétant Warhol. D’autres ont suivi, reproduisant par exemple une photographie sans y toucher pour y ajouter leur signature. Leurs plagiats sont d’autant plus dérangeants qu’ils en tirent un bénéfice commercial. Ils se réclament de Warhol ou Duchamp, mais leur démarche diffère car ces derniers ne se contentaient pas de reprendre tel quel un objet de consommation – et encore moins l’œuvre d’un autre. Il suffit de regarder la pissotière de Duchamp pour voir qu’elle n’en est pas une. Il serait aventureux de mettre sa fonctionnalité à l’épreuve. Alice règne sur le royaume des arts plastiques. Personne ne verrait l’intérêt de recopier note à note une sonate de Mozart, un roman de Balzac ou un essai de Lévi-Strauss. Si j’apposais ma modeste signature sur un article de mon digne confrère, je suis sûr qu’il ne m’attaquerait pas au tribunal, mais je passerais pour un crétin malhonnête. L’enjeu est autant juridique qu’éthique, car personne ne devrait se livrer à l’éloge de la contrefaçon, qui nourrit les réseaux criminels et défigure la création artistique. Il est aussi esthétique. Cette école, à laquelle le musée d’Art moderne de la Ville de Paris a consacré une exposition catastrophique en 2010, ne présente aucun intérêt. Ces copies conformes sont mal faites, avec des matériaux pauvres ; elles sont sans vie. La posture ne fait pas l’art, et l’imposture encore moins.
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