Alors que le pays a célébré, le 5 juillet dernier, le 55e anniversaire de son indépendance, l’État n’a pas encore saisi le potentiel économique que constitue l’art. Analyse.
Algérie, le 2 juillet 2017. La Biennale méditerranéenne d’art contemporain d’Oran vient d’ouvrir ses portes. Pour cette quatrième édition, elle a investi le tout nouveau MAMO (musée d’art moderne d’Oran), inauguré en mars dernier. Sur deux niveaux se répartit la cinquantaine d’artistes sélectionnés, venant en premier lieu d’Algérie, mais aussi d’Espagne, de France, des États-Unis, de Tunisie ou de Suisse. Un véritable exploit, vu le budget 20 000 € ! de la manifestation (dont un quart par l’Institut français d’Oran), lequel n’avait pas été bouclé l’année dernière, d’où le report au dernier moment. Incroyable, si l’on songe que cette biennale, créée en 2010 par l’association Civ.Œil, est le plus important événement d’art contemporain du pays et qu’il n’est que peu porté par les institutions. À travers cet exemple, on comprend la situation de l’art en Algérie, qui manque d’une ambitieuse politique culturelle. L’artiste Kamel Yahiaoui s’emporte : «Nous n’avons jamais participé à la Biennale de Venise, alors qu’on en avait la possibilité.» Pourtant, le ministre de la Culture Azzeddine Mihoubi avait déclaré lors de l’inauguration du musée, que «L’État, [avec] à sa tête le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, accorde un grand intérêt à la culture partant du rôle qu’elle joue dans le développement national en général et dans la promotion de la conscience de la société en particulier», comme le rapporte le Huffington Post Maghreb. Néanmoins, «le budget du musée d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA) a été divisé par deux en 2015 et la baisse a continué les années suivantes», pointe Nadira Laggoune, directrice du musée, et ce, depuis la chute des cours du pétrole. Le ministre avait également annoncé qu’une «réflexion [était] engagée pour la création d’un marché des arts plastiques, surtout que le nombre des artistes plasticiens est en croissance». Gageons que ces promesses seront rapidement tenues, car force est de constater que le chantier est considérable. Il est même difficile de parler d’un marché de l’art, tant il n’en est qu’à ses balbutiements : pas de maisons de ventes aux enchères, moins de cinq galeries d’art contemporain, installées uniquement à Alger, peu de critiques d’art, aucun magazine artistique et… très peu de collectionneurs. Parmi les plus importants, citons l’homme d’affaires Djillali Mehri, propriétaire du Royal Hôtel à Oran dans lequel il expose une partie de sa collection de l’orientaliste Étienne Dinet. Ces puissants acteurs économiques pourraient avoir un rôle de prescripteur et de soutien à la création contemporaine. Ce n’est malheureusement pas le cas : «beaucoup de riches Algériens préfèrent acheter des appartements à Paris ou un château dans la Loire que de l’art», se lamente Kamel Yahiaoui. La galeriste parisienne Mamia Bretesché tempère : «Il y a un frémissement avec le retour en Algérie de cadres supérieurs qui ont étudié à l’étranger et qui ont pris l’habitude de visiter les musées, de parcourir les foires.» Mais reste à accomplir un gros travail de sensibilisation à la création actuelle, aussi bien envers le grand public que les amateurs, beaucoup se tournant vers une peinture «classique», tendance confortée avec les lauréats 2017 de la section arts plastiques du concours du prix Ali Maâchi, institué par le président de la République : Fethi Hadj Kacem et Mohamed Kerrour. Les écoles des beaux-arts sont pointées du doigt, peu enclines à enseigner les nouvelles formes de la création. Un autre point noir pour les artistes est le manque d’ateliers, ce qui ne les incite pas à se tourner vers les installations monumentales ou les grands formats. Par ailleurs, rares sont ceux pouvant prétendre vivre de leur art. Certains enseignent dans les écoles d’art (comme Mourad Abdellaoui ou Saïd Debladji), d’autres multiplient les casquettes (scénographe et poète pour Mohammed Klimo Bakli, metteur en scène pour Mustapha Nedjai, commissaire d’exposition pour Karim Sergoua) ou exercent une activité alimentaire (Merine Hadj Abderrahmane est infirmier en orthopédie). D’où le prix très bas des œuvres, qui se vendent au gré des occasions en moyenne autour de 300 € (60 000 dinars). Les lieux où exposer étant fort peu nombreux, les réseaux sociaux sont souvent le canal de diffusion et même de vente de leur travail : Mohammed Klimo Bakli a ainsi récemment vendu un tableau à un collectionneur en Bretagne. Pour l’heure, seuls les artistes travaillant en France ont pu construire une carrière internationale (Kader Attia, Yazid Oulag, Zineb Sedira, Adel Abdessemed…). On l’aura compris, l’avenir de l’art en Algérie passe par les initiatives privées. Celles-ci se multiplient, à l’image de cette biennale, qui, en plus d’exposer les artistes dans un environnement international, «prévoit pour 2018 des résidences pour former les jeunes et lance un projet avec l’Union européenne pour former des galeristes et des commissaires d’exposition», développe son fondateur, Tewfik Ali Chaouche. Des lieux alternatifs voient le jour, portés par des artistes (Mustapha Ghedjati à Setif, Labib Benslama à Constantine...), des festivals grandissent, tel Raconte-arts, des résidences fleurissent, comme Aria de Zineb Sebira, des collectifs se créent. «L’histoire rappelle que l’Algérie a un potentiel de création énorme sur la scène internationale», professe Mamia Bretesché. Rendez-vous est pris dans deux ans, avec l’espoir de découvrir un marché de l’art plus structuré.