La nouvelle directrice du musée beyrouthin est de retour au Liban. Une nomination qui, pour cette cosmopolite, est une manière d’aider la ville à se reconstruire, en faisant de l’art et de la culture un outil de résistance.
De Beyrouth à Paris, en passant par Londres, le parcours de Karina El Helou s’est ancré très tôt dans le domaine des arts et de la culture. « En grandissant à Beyrouth, j’ai tout de suite été attirée par son archéologie et son patrimoine », raconte celle qui vient de prendre les rênes du musée d’art moderne Sursock. Mais c’est tout d’abord à la pratique de l’art qu’elle se frotte. Baccalauréat en poche, elle étudie pendant deux ans en école d’art avant de se tourner vers la théorie. À la Sorbonne, elle commence des études en histoire de l’art, en se spécialisant sur les avant-gardes russes à Moscou dans les années 1920. Son engagement et sa passion se poursuivent sur les bancs de l’École du Louvre. Elle débute alors sa carrière en 2008 en tant que responsable de collections, à la Fondation Cartier, et se concentre principalement sur la collection privée d’Alain-Dominique Perrin, président de l’établissement. Mais la volonté de bouger et voir d’autres choses se fait rapidement ressentir. Karina El Helou traverse alors la Manche, direction Londres où elle obtient un master en commerce de l’art au Sotheby’s Institute. En 2015, la Franco-Libanaise revient à Paris et se lance dans la production d’expositions en créant sa plateforme curatoriale, Studiocur/art. Ouverte sur le monde, celle-ci lui permet de créer des interactions entre les artistes, leurs œuvres et le public, du Liban au Mexique en passant par la France. Le patrimoine toujours en filigrane. Car si la jeune commissaire d’exposition s’est définitivement tournée vers l’art contemporain, elle n’en oublie pas pour autant ses premières amours.
Un profil international
Dans ses expositions, la création contemporaine dialogue avec le patrimoine. De projets d’envergure modeste, Studiocur/art évolue rapidement vers des expositions plus importantes, à l’instar de « The Silent Echo », au musée de Baalbeck en 2016. « C’est à ce moment-là que je me suis vraiment reconnectée au Liban et à sa scène artistique », explique Karina El Helou. En 2018, elle co-organise « Cycles of Collapsing Progress », en partenariat avec le Beirut Museum of Art (BeMA), à la foire Rachid Karameh, conçue en 1962 par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer. Là, entre Tripoli et le port Al Mina, présent et passé se conjuguent, encore, ensemble. « Je suis toujours restée en contact avec la scène artistique libanaise », souligne Karina El Helou. Pour elle, c’est aussi une responsabilité. Après des années à voyager et travailler entre la France et le Liban, elle est contactée par le président du comité exécutif du musée Sursock, Tarek Mitri. Depuis son ouverture au public en 1961, le musée beyrouthin s’est imposé dans la ville comme le rendez-vous des artistes libanais, notamment lors de ses Salons d’automne – une initiative inspirée du modèle français du XIXe siècle, lancée par le premier conservateur de l’établissement Camille Aboussouan. Karina El Helou connaît bien le musée et son histoire, pour y avoir organisé l’exposition personnelle de Gregory Buchakjian, « Abandoned Dwellings – Display of Systems », en novembre 2018. L’explosion du 4 août 2020 et ses répercussions sur la ville font naître chez l’historienne de l’art un sentiment d’impuissance que sa nomination a su apaiser : « J’avais envie de participer à la reconstruction, c’était assez frustrant de voir tout cela à distance, cette impuissance. Être active et présente aujourd’hui était une nécessité pour moi. » Elle arrive alors que le musée entame la phase finale de sa réhabilitation avant sa réouverture, prévue en mai 2023. Celle-ci est financée en grande partie par la Fondation ALIPH (voir l'article Pour Aliph, l’union fait la force de la Gazette n° 35 du 18 octobre 2019, page 214) et la coopération italienne, sous la supervision de l’Unesco (965 000 $) et du ministère de la Culture français (500 000 €). Mais malgré ces aides généreuses, le budget de fonctionnement (700 000 $ annuels environ) est réduit. Crise économique, énergétique et financière… Karina El Helou prend la barre à un moment critique : « Notre programmation d’ouverture s’adapte aux moyens que nous avons aujourd’hui. Ils sont moindres, mais nous reprenons progressivement pour montrer la renaissance du musée Sursock. » Elle peut compter sur une équipe d’une dizaine de personnes qui connaissent les rouages du musée et sa collection ; et bien que l’établissement recrute actuellement des personnels qualifiés pour la communication, elle souligne la solidité des bases qui lui permettent de mener à bien la remise en route d’une institution de renom.
Hommage à la scène libanaise
Pour Karina El Helou, il est essentiel que le musée se concentre dans un premier temps sur les artistes libanais et l’organisation de rétrospectives importantes. L’autre priorité est « d’ouvrir le musée au reste de la Méditerranée ». Elle explique : « Nous établissons des partenariats avec des institutions méditerranéennes, avec des pays dont l’histoire de l’art moderne résonne avec la nôtre. » Cette histoire, elle souhaite la partager avec le plus grand nombre. D’une part parce que, depuis l’ouverture du musée en 1961, l’échange avec le public est un aspect fondamental de sa politique culturelle : la gratuité du lieu, inscrite dans le testament de Nicolas Sursock, fait partie de son ADN. La nouvelle directrice espère renforcer ce lien à la ville et à ses habitants : « Si, avant l’explosion, certaines communautés pouvaient se sentir exclues du musée, nous souhaitons aujourd’hui mettre en place une médiation plus large, en partenariat avec des associations et des ONG, adaptées à la richesse, à la diversité des Beyrouthins. » Renouer des liens forts avec la ville et son histoire, mais pas seulement. Si les expositions permanentes et temporaires se concentrent dans un premier temps sur la scène libanaise, elle n’en oublie pas pour autant ses années internationales : « Nos conférences, nos projections seront tournées vers le monde. Un ancrage fort dans notre pays et notre région n’exclut pas de s’ouvrir à d’autres cultures. » wLe musée Sursock a été touché de plein fouet par la catastrophe du 4 août 2020. Cinq ans seulement après sa réouverture, à la suite des travaux de rénovation et d’agrandissement réalisés par Jean-Michel Wilmotte, le bâtiment et ses collections ont été partiellement détruits. Son histoire s’est ainsi construite au gré des crises sociopolitiques qui ont façonné le Liban. Ces ruptures seront d’ailleurs à l’honneur dans la prochaine exposition du musée, conçue par la nouvelle directrice. « Sur ses soixante ans d’existence, l’histoire du musée et de sa collection a connu de nombreuses ruptures, explique Karina El Helou. Il était intéressant de montrer comment cette logique de rupture a affecté la production des artistes libanais durant ces années. » Ce projet, s’il valorise la résilience d’une ville et de son patrimoine, montre l’importance de la résistance culturelle face aux défis contemporains. Une exposition de réouverture dont la valeur est programmatique. Son principal défi aujourd’hui ? « Continuer à faire autant d’expositions que possible ». En attendant la réouverture de ses espaces d’exposition pour fin mai, le musée accueille des événements et des programmes culturels extérieurs. Sa renaissance passera par un investissement renouvelé auprès de son public.