Kandinsky au Bauhaus

En plus de s’inscrire parmi les très rares œuvres de Kandinsky des années 1920 proposées aux enchères ces dernières années, cette Fissure peut se vanter de posséder un beau pedigree. L’artiste l’a lui-même offerte au grand marchand allemand Ludwig Gutbier (1873-1951), à l’occasion de l’exposition qu’il lui consacre en 1926 pour célébrer son soixantième anniversaire. Soutien de la Sécession de Munich et du groupe Die Brücke, Gutbier reprend, à la mort de son père, les rênes de la célèbre galerie Arnold, à Dresde, laquelle avait déjà exposé des oeuvres du Blaue Reiter en 1914. La Fissure est ensuite achetée par Ernst et Hildy Beyeler, galeristes depuis 1952 et à l’origine de la très sérieuse fondation Beyeler, où se côtoient sur les cimaises les plus grands expressionnistes allemands. C’est auprès de ce couple de pionniers que l’actuel vendeur, un collectionneur suisse, a acquis l’œuvre à une date inconnue. Quatre ans avant sa création, soit en 1922, Kandinsky répond à l’appel du père du Bauhaus, Walter Gropius, et débute sa carrière d’enseignant en tant que maître de l’atelier de peinture murale de son école. D’abord à Weimar, puis à Dessau à partir de 1925, il figure désormais parmi les personnalités phares de l’institution, créant avec ses élèves des œuvres monumentales où, sur fond noir, lignes souples et formes colorées composent de véritables symphonies. Ces années-là sont, pour Kandinsky, déterminantes à plus d’un titre : c’est en 1926 qu’il publie son fameux traité Point et ligne sur plan : contribution à l’analyse des éléments de la peinture, dont on voit la mise en application dans cette huile sur carton. Une partition entre tension et fusion, attestant de la géométrisation qui s’opère dans son art au fil des années passées au Bauhaus.