Jacques Tati est à l’honneur à la Cinémathèque française, mais aussi à Drouot grâce à une photographie de Robert Doisneau du cinéaste avec son vélo. Rencontre au sommet !
Robert Doisneau (1912-1994), Le Vélo de Tati, Paris, 1949, tirage argentique vers 1985, 40,2 x 32,1 cm.
Mercredi 6 mai 2009, salle 7 - Drouot Richelieu. Yann Le Mouel SVV. Mme Esders.
Adjugé 3 400 € au marteau
Vous aurez tous reconnu François, le facteur de Jour de fête. Le grand gaillard simple et joyeux, aimant volontiers trinquer, fixe ici le spectateur, l’air de dire : "Ben quoi, qu’est-ce qu’y’a ?" L’engin qui lui permet de faire les quatre cents coups dans le film est hors d’état de nuire, impeccablement démonté, pièce par pièce. Un vrai Meccano® qui semble n’attendre qu’un Jean Tinguely pour être transformé en une machine autodestructible. Un symbole de la modernité ? Sans doute. On peut d’ailleurs voir une oeuvre de Tinguely à l’exposition Jacques Tati – deux temps, trois mouvements, organisée jusqu’au 2 août à la Cinémathèque française, à Paris. Un tirage de notre photographie y figure également en bonne place. Robert Doisneau a réalisé cette image pour Vogue, en 1949.
La mise en scène des morceaux épars du vélo est signée du facteur, autrement dit Jacques Tati lui-même, l’homme le plus méticuleux jamais rencontré par Doisneau... Une précision qui reflète la manière dont Tati cisèle ses films. Jour de fête est son premier long-métrage. Le personnage de François a toutefois vu le jour dans un court-métrage sorti en 1947, L’École des facteurs. En mai de la même année, débute à Sainte-Sévère-sur-Indre le tournage de Jour de fête. Le choix de ce village ne doit bien sûr rien au hasard.
En 1943, Jacques Tatischeff avait trouvé refuge à quelques kilomètres de là, à Marembert. Dans un entretien avec Claude-Jean Philippe, diffusé par France-Culture en 1977, Tati explique qu’à Sainte-Sévère, la guerre ne semblait pas avoir d’emprise. En l’honneur de ses habitants, il a voulu montrer «des gens qui savent vivre», livrant ainsi un témoignage unique de vérité sur la vie rurale en France à cette époque. Le comique tatiesque étant basé sur l’observation du réel plus que sur l’effet comique lui-même, les us et coutumes du petit village sont scrutés à la loupe. Le cinéaste choisit comme révélateur l’arrivée d’une troupe de forains ; parmi les attractions, un film vantant les mérites de la poste américaine. Le postman yankee, décrit comme un intrépide acrobate volant, va pousser François à enfourcher sa vieille bicyclette pour une tournée d’anthologie... Tout en décrivant avec poésie et humour ce petit monde, Tati pressent son inéluctable fin. Les roulottes des forains apportent l’annonce des bouleversements qui vont affecter la vie rurale et uniformiser les comportements. De Jour de fête à Playtime, Tati n’a cessé de montrer la mutation de la France de l’après-guerre, soumise comme toute l’Europe occidentale au modèle américain. Soit le passage de la campagne à la ville verticale, de la bicyclette à la voiture. Voilà donc pourquoi Tati a tenu à démonter avec tant de soin le vélo de François. Nous sommes en 1949, le film a enfin trouvé un distributeur et triomphe en salles. Doisneau tient à rencontrer celui qui a inventé une nouvelle manière de faire rire. Celle-ci trouve ses racines dans le music-hall, domaine où Tati excellait dans l’entre-deux-guerres grâce à ses pantomimes. Il a fait rire à gorge déployée le Tout-Paris et intriguait Colette : "Il a inventé d’être ensemble le joueur, la balle et la raquette ; le ballon et le gardien de but, le boxeur et son adversaire, la bicyclette et son cycliste". Y’a de quoi en faire tout un vélo !