Natif d’Avignon, l’artiste poursuit très tôt, dès 1734, sa formation à Rome ; séduit par la lumière, il se compose une palette de tons, à la fois subtils et hardis. Ses marines, en particulier, séduisent les grands de son époque et bientôt tout amateur de tableaux.
La réapparition d’un Vernet sur le marché de l’art est une fête pour les collectionneurs. Déjà, lors de son voyage de formation à Rome, le marquis de Marigny est séduit. Il n’a de cesse de rappeler le peintre en France, dès sa nomination au poste de surintendant des Bâtiments du roi de France, et de lui commander, en 1753, la série des «Ports de France». Il n’hésite pas à écrire : «Chardin et Vernet, mon ami, sont deux grands magiciens. On dirait de celui-ci qu’il commence par créer le pays, et qu’il a des hommes, des femmes, des enfants en réserve dont il peuple sa toile, comme on peuple des colonies ; puis il leur fait le temps, le ciel, la saison, le bonheur, le malheur qui lui plaît […] Jupiter appelle cela gouverner le monde, et il a tort. Vernet appelle cela faire des tableaux, et il a raison.» Vernet travaille aux vues des ports pendant dix ans, menant une vie itinérante et assurant également les commandes particulières qui affluent. Il décide alors de s’installer à Paris, où il décèdera en 1789. Dans ces dernières années, le peintre met en place des séries de tableaux sur le même thème, variant les positions des personnages, la force des couleurs, ajoutant ou retranchant un navire, une barquasse… S’ouvre la grande période des tableaux dits de «cabinet» si prisés ; vers 1757, Vernet découvre le support de cuivre, précieux et coûteux, dont son livre de comptes conserve la trace : «1771 - Le 4 Janvier pour une planche de cuivre pour un tableau que je dois faire pour M. le comte du Luc faite par M. Romain- chaudronnier- 42 L.» Ce cuivre, présenté dans cette vacation, est brossé dans une gamme harmonieuse de coloris nacrés, avec de subtils dégradés de tons chauds et froids. Où que se pose le regard, celui-ci est ravi par des détails bien vus, qui s’intègrent sans peine dans la composition, pour nous faire participer à la magie du spectacle de la nature. Florence Ingersoll-Smouse, dans sa monographie publiée en 1926, indique que le tableau fut commandé en 1780 par un certain abbé Alaume ; on en retrouve la trace avec un pendant daté 1781 dans les collections du prince Galitzine. Cette paire a-t-elle fait partie des ventes organisées à Moscou en 1817-1818 ? Elle est mentionnée dans la vente de la succession du baron Emmanuel Leonino, en mars 1937. Ce fils de banquier génois, installé à Paris vers 1860, avait épousé en 1892, la fille de Gustave de Rothschild, Juliette ; cet événement avait été alors perturbé par de violentes manifestations anti-sémites. Leonino, comme ses parents par alliance, les Rothschild et Ephrussi, était un collectionneur, notamment de l’art du XVIIIe siècle français.