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Jacques Garcia et le domaine de Champ de Bataille : l’œuvre d’une vie

Publié le , par Éric Jansen

Le célèbre décorateur a fait du château du Champ de Bataille son grand oeuvre. Afin d’en assurer la pérennité, il met en vente soixante-quinze meubles et objets d’art.

© Eric Sander Jacques Garcia et le domaine de Champ de Bataille : l’œuvre d’une vie
© Eric Sander

Il a quitté la rue de Rivoli, où il était depuis trente ans, pour la rue de Seine et des bureaux plus petits, mais qui l’enchantent. De plain-pied avec un jardin, ils ne manquent pas de charme. Jacques Garcia tourne une page et organise l’avenir. Avec, en priorité, celui de son célèbre château.
Pouvez-vous nous rappeler l’histoire du château du Champ de Bataille ?
C’est un palais et non un château, commandé en 1651 par le comte Alexandre de Créqui, partisan de la Fronde, exilé sur ses terres normandes par Mazarin. Assigné à résidence, il décide de se faire construire un palais qui lui rappellerait les fastes de la cour. On est pratiquement certain que Le Vau en est l’architecte. On retrouve tous les éléments de l’Institut et le plan de Vincennes, avec deux bâtiments face à face, deux arcs de triomphe, et j’ai deux factures, une d’un marbrier pour les cheminées et une autre pour le sculpteur des arcs de triomphe, qui sont les mêmes que pour Vaux-le-Vicomte, dix ans après.
Pourquoi votre choix s’est-il porté sur ce bâtiment en 1992 ?
Je commençais à avoir de très beaux meubles, avec des provenances royales, dans mon appartement de la rue des Tournelles, à Paris, et j’ai eu envie de créer à la campagne une évocation de la vie aristocratique un peu somptueuse. J’avais déjà un château, Menou, dans le Nivernais, avec un mobilier moins prestigieux. C’était très joli, mais dans une autre ambiance. Au fond, j’ai associé ces deux univers pour faire Champ de Bataille car, encore une fois, c’est un palais de réception, pas un château où l’on se détend, c’est pour cela que les salons sont au premier étage et non au rez-de-chaussée.
Est-ce la rue des Tournelles qui vous donne le goût du XVIIe siècle ?
Oui, j’avais deux étages dans l’hôtel particulier de Jules Hardouin-Mansart. Si j’avais pu racheter le rez-de-chaussée, j’aurais fait le Camondo du XVIIe siècle. Avant de m’y installer, en 1980, je vivais dans un appartement décoré de meubles Boulle, de bustes d’empereurs romains, mais aussi de tableaux de Picasso, Klein, Fontana, Albers, et je faisais comme les autres décorateurs des intérieurs contemporains. Je me suis alors dit que j’allais faire le contraire. Avec la rue des Tournelles, je suis devenu le soi-disant spécialiste du XVIIe siècle.

 

Dans ce salon richement meublé, le pare-feu et le paravent de Marie-Antoinette, les sièges provenant de Fontainebleau et ceux du comte et
Dans ce salon richement meublé, le pare-feu et le paravent de Marie-Antoinette, les sièges provenant de Fontainebleau et ceux du comte et de la comtesse de Provence, tout comme les vases en sèvres, font partie de la vente.
© Sotheby’s + ArtDigital Studio

À Champ de Bataille, le XVIIe siècle se marie toutefois au XVIIIe, voire au XIXe siècle…
En effet. Comme je vous l’ai dit, c’est l’évocation de la vie aristocratique qu’on a pu connaître à travers des maisons comme La Roche-Guyon, que j’ai eu la chance de visiter quand c’était encore meublé, ou Brissac, habité depuis toujours. Je pars du début de la construction, 1651, et je glisse jusqu’à l’Empire dans la bibliothèque.
Dans quel état était le château au moment de votre achat ?
Il avait été transformé en hôpital et avait beaucoup souffert. Il ne restait que trois pièces de réception, tout le reste avait été cloisonné. Mais dans l’aile gauche, demeuraient des fragments du décor du XVIIIe siècle, les stucs, les parquets, et le magnifique escalier par Gabriel, ce qui m’a donné le la pour la restauration. Dans l’aile droite, il ne restait rien, j’ai tout réinventé.
Combien de temps ont duré les travaux ?
Une dizaine d’années, et qu’est-ce que j’ai entendu ! J’ai ouvert au public dès le premier jour, ce qui a déclenché des critiques épouvantables, les gens disaient « c’est très déco », ce qui n’était pas faux, mais c’était provisoire ! Au début, je n’avais pas assez d’argent. Pour avancer, je faisais des maquettes décoratives, comme les Égyptiens en plâtre dans la bibliothèque. Je les avais rapportés de la Biennale des Antiquaires, ils étaient gratuits, c’était amusant. Quand l’argent est arrivé avec la vente de Menou et celle de la rue des Tournelles, j’ai pu mettre des boiseries qui provenaient des démolitions parisiennes du XIXe siècle et des arrangements de Louis-Philippe à Versailles.

En somme, vous avez amélioré le niveau au fil des années ?
Absolument, j’ai fait des repentirs. Je suis allé vers toujours mieux. Et les critiques se sont tues, mais je n’ai pas eu pour autant de compliments. Quand on fait juste, qu’on va à l’essentiel, personne n’en parle.
Vous êtes tout de même fier du résultat ?
Je n’ai pas de fierté particulière, retaper une maison, ce n’est pas sorcier, j’ai fait ça toute ma vie, mais en ce qui concerne le jardin, c’est autre chose. Un projet de trente ans ! Créer un parc de 45 hectares avec les cascades, les folies, les bassins, à partir de prés à vaches, voilà le vrai sujet de Champ de Bataille. Ce sont les plus grands travaux de jardin réalisés en France depuis Villandry. Et c’est ce qui m’a donné le plus de difficultés, car on ne maîtrise rien. Un jardin, ce sont quelques moments de jouissance dans la douleur. Il faut être un peu maso !
C’est votre grand œuvre ?
Oui, car je ne savais pas que j’avais en moi la possibilité du dépassement. Peu de gens l’ont. Pour faire ce jardin, j’ai su accepter l’inacceptable pour ma vie, l’inconfort permanent. Je peux fermer la maison pendant deux ans et mettre des draps blancs sur les jolis sièges, je la retrouverai intacte. Le jardin, lui, sera devenu une friche. C’est la raison pour laquelle je fais cette vente. La maison peut tenir sans moi, la toiture est neuve, tout comme les fenêtres, il faut un peu chauffer, c’est une affaire de 10 000 € par an, ce n’est pas un drame. Le jardin, c’est quinze jardiniers qu’il faut payer tous les mois, plus tous les problèmes qui arrivent, encore ce matin un tuyau a lâché.
 

Champ de Bataille trône au centre d’un parc de 45 hectares. © Sotheby’s + ArtDigital Studio
Champ de Bataille trône au centre d’un parc de 45 hectares.
© Sotheby’s + ArtDigital Studio

Comment avez-vous procédé pour sélectionner les objets que vous vendez ?
J’ai choisi soixante-quinze objets car j’ai 75 ans ! Je ne vends pas tout, comme je l’entends ici ou là. D’ailleurs, on ne voit aucune différence. Les meubles sont partis et ont été immédiatement remplacés. Et je vais vous dire, c’est mieux ainsi, il y en avait trop.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
Parmi les lots vedettes, il y a le pare-feu de la chambre de la reine à Versailles, son plateau en acajou avec au dos la marque du Garde-Meuble, le paravent de sa chambre à Fontainebleau, livré pour la comtesse de Provence à Versailles et transféré en 1787 à Fontainebleau, une paire de vases bleus en sèvres achetée par Louis XVI et qui complète ceux de Versailles, le buste de Louis XV enfant, le ployant de la duchesse de Parme, un sublime service de Sèvres décoré des oiseaux de Buffon, les vases de la vente Hamilton, achetés par le roi d’Espagne, puis vendus ou offerts au tsar, enfin, une découverte, les sièges provenant vraisemblablement du cabinet turc de la reine à Fontainebleau.
Vous aimez les provenances royales…
Je dirais plutôt les provenances illustres et c’est vrai, j’adore ça. Pour une raison simple : un grand commanditaire s’adresse forcément à un grand artiste et celui-ci va tout faire pour lui livrer un chef-d’œuvre.On parle d’une estimation de 11,4 millions d’euros. À quoi destinez-vous le produit de la vente ?

C’est l’estimation basse. Je verrai en fonction de la somme comment la transformer. Mais l’idée, c’est que Champ de Bataille me survive. Je ne sais pas encore si ce sera sous la forme d’une fondation ou d’une donation, je n’ai pas pris ma décision. Je pourrais donner le domaine à l’Institut, au Centre des monuments nationaux ou au département, on verra… Et pour ceux qui pensaient que je vendais tout, il n’est pas dit que je ne ferai pas une seconde vente : cent lots pour mes 100 ans !

Champ de Bataille
en 5 dates
1651
Construction pour Alexandre de Créqui
1764
Décors Louis XVI pour le duc de Beuvron
1992
Acquisition par Jacques Garcia
2013
Parution de Jacques Garcia – Vingt ans de passion,
le château du Champ de Bataille (Flammarion)
2023
Désir de pérenniser l’œuvre accomplie
à savoir
Jacques Garcia. Intemporel.
Mardi 16 mai, Paris – galerie Charpentier.
Sotheby’s France OVV.
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