D’une improbable rencontre new-yorkaise, celle du poète Youenn Gwernig et du prince des beatniks, est née une correspondance inédite, bientôt dévoilée à Brest. Récit d’une fusion épistolaire.
Au cœur de la 19e vente brestoise dévoilant les mille facettes de «L’âme bretonne», le dimanche 9 et lundi 10 juillet, on sera peut-être surpris de découvrir une abondante correspondance de la main de… Jack Kerouac. À cela, rien d’étonnant pourtant : elle provient de la succession du poète, chanteur et sculpteur Youenn Gwernig, chantre de la Bretagne et grand ami de l’écrivain beatnik. Né en 1925 à Scaër, dans le Finistère, l’artiste plurivalent a pratiqué dans sa jeunesse la musique traditionnelle, jouant du biniou et de la cornemuse, en duo comme au sein d’un des fameux bagads animant les bals de l’après-guerre. En 1957, l’appel du large est le plus fort. Gwernig tente l’aventure américaine et débarque à New York. Vivant de petits emplois dans la restauration et l’ébénisterie, il croise dans le Westside tous les acteurs bohèmes de la Beat Generation. Mais ce n’est qu’après avoir été ébloui par la lecture de Satori à Paris de Kerouac, paru en 1966, qu’il rencontre enfin son auteur, déjà mythique. Dans ce roman autobiographique, l’écrivain retrace l’itinéraire initiatique de Duluoz, son double littéraire, à la recherche de ses racines familiales, à Paris et en Bretagne. Car, motif supplémentaire de séduction entre les deux hommes, l’Américain a de lointaines origines bretonnes de par son père québécois, Léo, qui l’appelait affectueusement «Ti-Jean». Après le retour en France de Gwernig, en 1967, cette amitié fusionnelle va se nourrir d’une correspondance incessante jusqu’à la mort de l’écrivain, deux ans plus tard.
À la veille d’un retour aux sources
L’ensemble présenté ici comporte six feuillets tapuscrits, une lettre manuscrite et quatre cartes signés de Jack Kerouac, ainsi que les vingt réponses à ce dernier de Youenn Gwernig. L’un des tapuscrits, en date du 4 octobre 1967, évoque longuement les origines aristocratiques du beatnik, incarnées par un certain Édouard-François Le Bris de Kérouac, officier dans l’armée de Montcalm, marié à une sœur du futur pape Pie VI. Une ascendance prestigieuse que Jack aimerait bien vérifier par un second voyage en Bretagne, le premier ayant été effectué en 1965. La plupart des missives évoquent justement la très grande difficulté de l’écrivain à rassembler les sommes nécessaires à ce pèlerinage, qu’il rêve bien sûr de faire en compagnie de son ami breton. Un périple sans cesse repoussé, comme l’atteste sa lettre du 22 juin 1967 ; il y annonce qu’il ne viendra pas en France le 11 juillet suivant, car les éditeurs attendent ses textes, pour lesquels ils l’ont déjà payé, et qu’il doit de surcroît s’occuper de sa mère malade et de son épouse Stella. It’s not just the right time in my life, lance-t-il encore pour se justifier. En octobre 1969, le billet d’avion est enfin acheté. Hélas, on le retrouvera dans la poche du poète à son décès, à 47 ans, le 21 de ce même mois. Émouvant témoignage, la lettre de Stella annonçant la disparition de son mari à l’hôpital de St Petersburg (Floride) fait aussi partie de l’exceptionnel ensemble... Notons enfin que cette correspondance a été éditée en totalité et en fac-similé dans un ouvrage de René Tanguy, Sad Paradise, la dernière route de Jack Kerouac, aux éditions Locus Solus en 2016.