Niché en plein cœur de Paris, sur l’ile Saint-Louis, le show-room d’Isabelle Husson renoue avec la traditiondes marchands-merciers du XVIIIe siècle, d’une façon résolument contemporaine.
Ancienne corporation parisienne, les marchands-merciers étaient spécialisés dans le négoce des objets de luxe au XVIIIe siècle. Faiseurs de goût, ces «nobles marchands» importaient d’Inde et d’Orient des objets de curiosité, des porcelaines fines de Chine, des panneaux de laque du Japon ou de Coromandel, qu’ils faisaient transformer par les meilleurs artisans des faubourgs Saint-Honoré et Saint-Antoine. Intermédiaires entre une clientèle de connaisseurs et des artisans d’art de renom, ils coordonnaient l’activité des différents corps de métier ornemanistes, ébénistes, bronziers, doreurs et jouaient un rôle important dans la décoration intérieure. Dans cet esprit d’ensembliers avant la lettre, l’historienne d’art et décoratrice Isabelle Husson a ouvert en 2011 un show-room sur l’île Saint-Louis, à Paris, où elle réunit des pièces de créateurs, d’artisans d’art et de manufactures aux savoir-faire rares, ainsi que des matières originales qu’elle utilise dans des projets de décoration ou d’édition sous sa propre marque, «marchand-mercier© ». «J’ai sélectionné au sein de marchand-mercier des savoir-faire et des matières uniques pour mettre en œuvre des projets sur mesure pour ma clientèle, principalement professionnelle. En tant qu’ensemblière, je travaille aussi pour des architectes d’intérieur et des décorateurs basés à l’étranger, afin de rechercher des fournisseurs pour leurs projets de création, assurer le suivi de fabrication et les réalisations de décoration, chiner et parfois faire restaurer des pièces particulières», explique l’ancienne assistante-décoratrice de Juan Pablo Molyneux. Formée à l’École du Louvre puis à l’école Boulle, il lui importe de «s’entourer de produits qui ont du sens, et de connaître l’histoire des matériaux».
Papiers peints à la planche
Une visite dans sa galerie près du quai d’Anjou permet de découvrir des productions qu’on ne trouve nulle part ailleurs, comme ces papiers peints à la planche qui perpétuent le savoir-faire artisanal des grandes manufactures des XVIIIe et XIXe siècles. Si l’une des manufactures qu’elle représente implantée à Tours réinterprète librement un répertoire de style et travaille sur mesure pour des designers et des artistes, l’autre, installée dans un village de l’État de New York, reproduit à l’identique des documents historiques de 1740 à 1930. «La manufacture américaine Adelphi Paper Hangings conserve des papiers peints de facture française arrivés aux États-Unis avec les migrants au XVIIIe siècle. C’est la seule manufacture capable de refaire à la planche un document attribué à la manufacture royale Réveillon, identique à celui qu’on peut trouver dans les collections du musée du Papier peint de Rixheim. En France, le savoir-faire s’est perdu», explique Isabelle Husson, qui a chiné aussi un ensemble exceptionnel de trente panneaux numérotés, au décor d’«Incroyables et Merveilleuses», imprimé à la planche par la manufacture Chasset en 1924, sur papier bleu en camaïeu ocre, jaune et brun, d’après une gravure de Charles Huard. Dans un registre radicalement différent, un papier peint imprimé numériquement a été conçu par le commissaire d’exposition et digital collage artist Jean-Louis Gaillemin à partir de photographies de bodybuilders, insérées avec humour dans des gravures anciennes. «Un collage pop art qui fait référence à celui de l’artiste britannique Richard Hamilton, au titre évocateur et ironique : «Qu’est-ce qui rend nos foyers d’aujourd’hui si différents, si attrayants ?» (1965). Une édition limitée du papier peint de Jean-Louis Gaillemin produite par marchand-mercier est en préparation pour novembre», annonce Isabelle Husson. Éditrice et prescriptrice, elle aime conjuguer savoir-faire traditionnels et design contemporain. Ainsi a-t-elle passé commande auprès d’une manufacture de «cuir doré» ce cuir gaufré et peint à la main communément appelé «cuir de Cordoue» de planches sur mesure pour habiller le stand du designer Elliott Barnes à AD Intérieurs, à la Monnaie de Paris. Installée dans le Sud-Ouest, la maison Lutson Goudleder, dont elle a l’exclusivité en France, est spécialisée dans cette technique d’ornementation introduite par les Maures en Espagne, consistant à presser à chaud une peau entre une plaque en bronze gravée d’un motif et sa contreplaque en carton.
Une technique traditionnelle
Par ailleurs, à l’occasion de la Paris Design Week, Isabelle Husson organise dans son show-room une exposition des textiles «Craft & Design» de Johanna Gullichsen. La designer finlandaise, qu’elle représente, invente des motifs géométriques sur un métier à tisser traditionnel à partir de fils de soie, de laine ou de cachemire. Des textiles graphiques qui jouxtent d’étonnants luminaires du designer japonais Hiroyuki Murase, habillés de textiles en volume, noués et assemblés à la main par des femmes au Japon, selon la technique dite de «shibori» utilisée pour la teinture. Cet art du pays du Soleil-Levant qu’elle aime tout particulièrement, Isabelle Husson l’expose également dans sa galerie, avec notamment une console exceptionnelle en laque Urushi. Cette technique traditionnelle consiste à passer soixante couches de laque provenant de l’arbre du même nom et à les polir ensuite à la main. Des échantillons de cette matière brillante intégrant des pigments, de la poudre d’or ou d’étain, de la nacre ou de la coquille d’œuf d’émeu, révèlent toutes les facettes de son éclat. Ce meuble d’exception a trouvé place près d’une commode en bois de chêne et parchemin antique de Maonia, un duo parisien qui réalise des pièces de mobilier en bois précieux, parchemin, galuchat et marqueterie de paille pour les grands groupes du luxe français et des designers de renom. Avec ce couple d’artisans d’art, Isabelle Husson vient de mettre au point le miroir «Lame», en collaboration avec le dessinateur Jean-François Gautier, édité par marchand-mercier. Enfin, le dessin d’artiste a aussi sa place dans la galerie avec l’univers débridé de Catherine Gran, tout un bestiaire facétieux remarquablement dessiné à la plume et transposé sur des lentilles de porcelaine convexes par la maison Arquié, à Limoges, entre assiettes murales désuètes de nos grands-mères et pièces de Fornasetti. Preuve que les savoir-faire d’exception n’ont rien de passéiste, et que l’on peut être à la fois «traditionnel dans la méthode, et contemporain dans la forme», selon la formule d’Isabelle Husson.