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Investir dans une œuvre d’art

Publié le , par Silke Rochelois

Fonds d’investissement ou placements privés ? La demande étant au rendez-vous, de nouvelles formes de structures d’investissement dans l’art se mettent en place. Analyse.

La Gazette du 26 février 1914, annonçant la dispersion de la collection de La Peau... Investir dans une œuvre d’art
La Gazette du 26 février 1914, annonçant la dispersion de la collection de La Peau de l’ours, le 2 mars de cette même année.

La demande des investisseurs pour des produits de placement tels que les fonds d’investissement spécialisés dans les œuvres d’art a augmenté. Le rapport «Art & Finance» 2016, de Deloitte et d’ArtTactic, en fait clairement état. Ainsi, plus d’un tiers de collectionneurs sondés seraient intéressés par ce type de fonds d’investissement, ce qui représente une hausse manifeste de la demande. La même publication indique toutefois que, dans le climat actuel du marché de l’art, seuls 10 % des gestionnaires de patrimoine (contre 20 % en 2014) croient dans la croissance de ces fonds spécialisés. Alors, qu’en est-il réellement ? Pourquoi une telle différence d’appréciation entre collectionneurs et gestionnaires de patrimoine ? Pourquoi assiste-t-on à une augmentation de la demande pour des produits d’investissement dans les arts, sans que l’offre suive ? De ce fait, on peut aussi se demander s’il y a une place à prendre pour des acteurs autres que les banques ou gestionnaires de patrimoine. Ces fonds d’investissement spécialisés peuvent-ils faire l’objet d’une vague de croissance ou ne faudrait-il pas plutôt miser sur le développement de placements plus privés ?
Un concept purement financier
L’art peut être une alternative aux investissements plus traditionnels, tels que les actions et obligations. Cet actif permet de diversifier la teneur de son portefeuille, de couvrir  tout du moins pour partie  le risque pris avec d’autres actifs et, ainsi, d’obtenir un retour sur investissement plus intéressant. La valeur d’une œuvre d’art est généralement plus volatile que celle d’autres actifs traditionnels. Mais l’art présente l’avantage de ne pas être  ou peu  corrélé avec le marché international des valeurs mobilières. De ce fait, il devient rentable sur le long terme et plus particulièrement lors de mouvements extrêmes du marché. Ainsi, en période de crise économique, voire politique, ou encore d’inflation élevée, les investisseurs sont à la recherche de valeurs refuges. L’œuvre d’art, en tant qu’actif alternatif, peut alors rentrer dans cette catégorie et présenter un réel intérêt.
Un ticket d’entrée généralement élevé
L’objectif de départ des fonds d’investissement spécialisés dans l’art est relativement simple : acheter une œuvre à moindre coût, la conserver et la revendre au moment opportun à prix fort tout en réduisant au maximum les frais de transaction, de transport, d’entreposage et d’assurance. Ce sont des instruments de placement dans lesquels l’investisseur détient des actions pour une durée de cinq à dix ans. Le ticket d’entrée est généralement élevé, et les actionnaires de ces fonds peuvent être constitués de particuliers ou d’investisseurs institutionnels. On aura le plus souvent affaire à des fonds de placement à capital fixe. Ainsi, une fois que le capital désiré a été levé par le fonds dans un délai donné, ce dernier est fermé à tout nouvel investisseur et se voit bloqué, les actionnaires ne pouvant racheter leur equity qu’à intervalles limités et prédéterminés. L’organisme, quant à lui, reçoit des honoraires de gestion et de performance en échange du travail effectué par l’équipe dirigeante. La stratégie des fonds implique souvent une diversification au sein même de leurs propres investissements. Cette diversification s’effectue principalement par marché géographique, par période (antiquités chinoises, impressionnisme, art contemporain…) et par forme d’expression (peinture, sculpture, photo…). Ils opèrent habituellement sur le second marché de l’art, celui des ventes aux enchères, dans lequel la valeur des œuvres est plus établie. De même, ils visent plutôt le haut de gamme, et ce afin d’arriver à des taux de rendement réellement significatifs. Le parti pris de ces fonds est que le marché de l’art international est non-efficient  opaque, peu réglementé, peu liquide et criblé d’importantes asymétries d’information  et qu’ils ont l’expertise nécessaire en finance et en art afin d’identifier avant tout autre une opportunité d’arbitrage par le biais de l’une de ces asymétries.
Des chiffres, mais une réalité difficile à estimer
Ces fonds spécialisés disposent de financements importants, avec une capacité de fonctionnement à moindre coût. Bien que peu réglementés, ils sont tout de même généralement soumis à certaines obligations de communication au public et aux mesures de lutte contre la fraude. De plus, leurs dirigeants ont une obligation fiduciaire à l’égard des actionnaires. Ces fonds mettent en avant le fait qu’ils apportent plus de liquidité sur le marché, en y injectant de l’argent frais par le biais de nouveaux investisseurs. Cela permettrait ainsi une augmentation du prix des œuvres ou une stabilisation en cas de crise économique. Ils donneraient également accès au marché de l’art à des investisseurs individuels non initiés, qui autrement ne pourraient y investir. Depuis 2014, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, le niveau de croissance de ces fonds a été modéré. Aujourd’hui, ce sont principalement des entités spécialisées déjà en existence et ayant fait leur preuve (comme le Fine Art Fund, créé à Londres en 2004) qui mènent le marché, peu de nouveaux arrivants ayant été enregistrés ces dernières années. En 2016, toujours selon Deloitte et ArtTactic, le marché de ces fonds était estimé à 557,9 M$. Dans cette enveloppe, les investissements du Fine Art Fund représentent à eux seuls plus du tiers… Il est toutefois probable que les chiffres ainsi communiqués sous-estiment la réalité du marché. En effet, le coût et toutes les difficultés qui s’imposent à la création de ces fonds ont amené l’industrie à mettre en place des structures plus rentables et n’étant pas soumises à la même autorité des régulateurs financiers. Citons The Art Agency, Partners, créée à New York en 2014 et rachetée par Sotheby’s en 2016, qui dispose d’un fonds et aurait levé 52 M$. Ce n’est qu’un exemple de ces fonds connus d’un petit nombre d’initiés et qui opèrent de plus en plus en sous-marins. Il y a donc bien une demande pour ce type de fonds provenant de collectionneurs établis et d’une nouvelle génération de jeunes investisseurs. Toutefois, en pratique, créer un fonds d’investissement de qualité dans l’art est particulièrement complexe et coûteux. De surcroît, ces organismes sont directement en compétition avec d’autres professionnels, tels que les marchands d’art.
Gagner en crédibilité
Parallèlement, on assiste à la création d’un nombre grandissant de structures plus discrètes et privées. Les investissements peuvent même prendre la forme de comptes de placements privés, dans lesquels chaque compte-client demeure distinct des autres et chaque investisseur peut ainsi mettre en place ses propres stratégies et objectifs d’investissement. À l’heure actuelle, il est difficile d’estimer le nombre de ces fonds ou placements. Pour la plupart privés, ils sont soumis à peu ou pas de réglementation. Leurs modi operandi, stratégies ou retours sur investissements réels sont empreints de confidentialité. Avec ces placements privés se profile également une nouvelle forme d’opacité dans le marché. Alors que ce dernier milite pour devenir plus transparent afin de gagner en crédibilité auprès de ses investisseurs, ces nouveaux acteurs viennent à l’encontre de cette tendance. Le défi reste donc entier, et implique de trouver un équilibre entre plus de transparence et la mise en place de structures de placements commercialement viables et adaptées aux œuvres d’art.

 

À SAVOIR
Historiquement, le premier fonds à investir dans l’art est né en France et avait pris pour nom
«La Peau de l’ours». Il s’agissait d’un club de treize investisseurs créé par le collectionneur André Level,
à Paris en 1904. Ce club acheta cent quarante-cinq œuvres d’art moderne (Picasso, Matisse, Derain…) sur une période de dix ans. La collection tout entière fut revendue à l’Hôtel Drouot pour environ quatre fois l’investissement initialement effectué.
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