La dispersion de la collection Paul Riff, à Rennes, permettra en quarante-deux toiles de découvrir un pan méconnu de l’œuvre d’Henri Martin. Une occasion rare.
Henri Martin n’aura bientôt plus un secret pour vous. Le marché de l’art connaît déjà bien cet artiste d’origine toulousaine, monté à Paris en 1879 pour faire ses études aux beaux-arts, auprès de Jean-Paul Laurens. Mais, si ses paysages pointillistes du Lot, peints après 1900, sont pléthores en ventes, ses créations symbolistes s’avèrent beaucoup plus rares. Une lacune bientôt comblée, grâce à cette dispersion de toiles datées entre 1890 et 1905. Leur provenance est singulière. Paul Riff (1858-1929) fut résident de la cour d’appel de Douai à partir de 1903, avant de devenir président de chambre près de cette même cour. Le lien avec Henri Martin, direz-vous ? Dans cette même ville vivait un des proches amis et grand collectionneur du peintre, l’avocat Henri Duhem. Parmi la riche correspondance entre le peintre et l’homme du barreau, conser-vée au musée de la Chartreuse de Douai, quatre lettres mentionnent le nom de Paul Riff, le citant comme un amateur éclairé. Si l’on n’en sait guère plus sur les relations entre Paul Riff et Henri Martin, les dédicaces sur quatre toiles plaident pour une franche amitié et une admiration réciproque. L’artiste pensait-il à cet homme de loi, récompensé de la Légion d’honneur pour sa “haute valeur morale et professionnelle”, lorsqu’il peignit La Justice en 1897 (70 000/100 000 euros) ? Quoi qu’il en soit, cette vente devrait marquer les mémoires comme une révélation. Celle d’un Henri Martin profondément symboliste. En effet, outre des paysages du Quercy – à l’image du Pont à Labastide-du-Vert (80 000/120 000 euros) –, dont on appréciera le délicat pointillisme comme à l’accoutumée révélé par le scintillement de la lumière sur une pleine nature, s’imposeront de pénétrantes figures féminines.
Telles la ténébreuse Fascination, attendue à 35 000/50 000 euros, ou la lumineuse Muse, derniers rayons, 1898 (70 000/100 000 euros). Campées devant des paysages au coucher du soleil, elles expriment les sentiments les plus sombres ou symbolisent l’inspiration artistique. Romantique entre toutes, vêtue d’une robe rouge, la jeune femme paraît tout à la fois prisonnière d’une forêt dense et de la mélancolie ; cette Rêverie automnale, 1900, estimée 120 000/150 000 euros, se voit intensifiée par l’important cadre en acajou con-fectionné spécialement par Bellery-Desfontaines, à décor typiquement art nouveau d’ombellifères. Adepte de la Rose-Croix, Henri Martin est en quête d’un art idéal et moral, de cette plénitude intellectuelle qu’illustre le personnage de Clémence Isaure (voir photo page de gauche). La grande figure du Moyen Âge serait la fondatrice des Jeux floraux de Toulouse, l’une des plus anciennes sociétés littéraires d’Occident, qui récompensait ses lauréats par une violette, une églantine ou un souci d’or. Entre mythe et réalité, dame Isaure devint l’un des symboles tutélaires de la ville rose, à laquelle elle légua toute sa fortune. Sa statue trône encore dans une salle de l’hôtel de ville, certainement bien connue de notre peintre... Jamais Henri Martin n’abandonnera totalement cette veine symboliste. Même quand, retiré dans sa maison du Lot, il s’adonne aux paysages, il préserve une force intérieure, une beauté puissante et éminemment spirituelle. Notre Jeune fille devant le bassin de Marquayrol (voir photo ci-dessus), tant symboliste qu’impressionniste, pourrait résumer toutes les facettes du peintre. Une touche mouvementée virevoltant dans le miroir de l’eau, un cadrage serré et une vue plongeante des plus originales, une douce jeune fille plongée dans ses pensées. Voici Henri Martin, comme vous ne l’avez jamais vu... et comme vous ne le reverrez pas de sitôt !