Des poches des élégants au XVIIIe siècle aux vitrines des grands magasins un siècle plus tard, retour sur une aventure sonore et visuelle : les oiseaux chanteurs.
Vous souvenez-vous d’Andersen ? Dans Le Rossignol et l’empereur de Chine, ce dernier se voit offrir «une petite œuvre d’art : dans une boîte, il y avait un rossignol mécanique qui aurait pu ressembler à l’autre, mais était incrusté sur tout le corps de diamants, de rubis et de saphirs. Dès que l’on remontait l’automate, il chantait comme l’oiseau véritable, sa queue battait la mesure et étincelait d’or et d’argent». Émerveillé, l’empereur délaissera son rossignol pour lui préférer sa copie. Comme lui, les personnes de qualité du XVIIIe siècle seront fascinées par les oiseaux chanteurs. La mode est alors au serin des Canaries, le «musicien de la chambre», selon Buffon. Leurs propriétaires les plus raffinés les installent dans de luxueuses volières et leur fournissent un précepteur. La princesse de Condé dispose ainsi de son «gouverneur des serins», Hervieux de Chanteloup, dont le traité d’éducation rencontre un franc succès. Enseigner le chant aux canaris demande en effet un certain investissement personnel : les airs sont serinés par des flageolets, dans lesquels on souffle, puis par des serinettes, ces orgues portatifs dont on tourne la manivelle. De quoi lasser les plus entêtés. Une invention attribuée aux Jaquet-Droz va révolutionner les cages dorées : le sifflet à piston coulissant, dont les notes imitent au plus près celles des oiseaux. Grâce à lui – et à la miniaturisation des serinettes –, les mécanismes sont enfin prêts à faire illusion. Les tentatives d’imitation sont anciennes, les oiseaux figurant sans doute parmi les premiers automates. Vitruve nous raconte ainsi comment Ctésibios d’Alexandrie aurait reproduit les vocalises d’un merle grâce à la pression de l’eau, au IIIe siècle av. J.-C.
Des siècles plus tard, les travaux des savants de l’Antiquité sont repris et mis au service du prestige des souverains. À Bagdad et à Byzance, les visiteurs découvrent ébahis des arbres animés d’oiseaux, chantant au milieu de jets parfumés. En Europe, les automates tiendront une place importante dans les jeux d’eau et les grottes agrémentant les jardins. À la villa d’Este de Tivoli, dans la grotte d’Orphée construite à la demande d’Henri IV à Saint-Germain-en-Laye, ou dans la fameuse grotte de Thétis à Versailles, les gosiers métalliques tentent d’imiter la nature. Au XVIIIe siècle, les oiseaux chanteurs quittent les jardins pour envahir les appartements et les poches des élégants. Non contents de remplacer les authentiques volatiles dans des cages dont la base forme pendule, ils nichent dans de multiples objets précieux, que l’on porte sur soi et présente avec ostentation au moindre prétexte. Leur objet de prédilection est la tabatière – alors le meilleur ambassadeur du luxe –, dont ils renouvellent l’intérêt. Battant des ailes et de la queue, hochant la tête, ouvrant et fermant le bec, ils miment avec réalisme l’attitude de leurs modèles, dont ils sifflent les trilles. Leur corps de métal est habillé de plumes apprêtées ou de plumes d’argent simulant la nature, tandis que leur écrin s’enrichit d’émaux, de pierres et de perles. C’est en Suisse que se concentrent les trésors d’ingéniosité mécanique déployés pour les fabriquer. La famille Jaquet-Droz tient le haut du pavé et peut s’enorgueillir de compter parmi ses clients le roi d’Espagne Ferdinand VI et Marie-Antoinette. Grâce à une succursale installée à Londres et à différents intermédiaires, elle diffuse ses automates chanteurs jusqu’en Chine, en Inde, à Constantinople et auprès du roi de Prusse, réalisant des commandes luxueuses et originales. Repreneur de la société Jaquet-Droz, Jean-Frédéric Leschot, épaulé par le technicien Jacob Frisard, multiplie les innovations. Pistolets de salon, miroirs, flacons et montres dissimulent des oiseaux, tandis que d’autres se perchent dans des bouquets placés dans des vases. Mais les bouleversements de la fin du siècle vont toucher de plein fouet la production genevoise. Face à une clientèle réduite et moins fortunée, elle évolue vers plus de standardisation. Elle demeure cependant gage de qualité, comme en témoignent les pièces des maisons Rochat et Bruguier. Les oiseaux prennent alors leur envol pour la capitale française, portés par la vogue des automates parisiens. Blaise Bontems améliore le mécanisme du chant et s’installe rue de Cléry en 1849, sous le titre d’«inventeur et fabricant d’oiseaux mouvants et chantants adaptés sur pendules, groupes et tableaux». Dans des cages, des cache-pots ou des jardinières, ses créatures investissent les intérieurs feutrés des immeubles Haussmann. La variété est le mot d’ordre, le client ayant le choix entre l’espèce de volatile, le ramage, les mouvements, le plumage et différentes sortes de feuillages et de fleurs. Diffusées par les expositions, ses pièces séduisent une clientèle huppée et internationale, jusqu’à la reine Victoria elle-même. Passée de mode vers 1800, la tabatière revient en force à la fin du XIXe siècle. En argent, en vermeil ou en écaille, parfois à deux oiseaux, elle s’adapte à toutes les bourses et à toutes les modes. Les grands magasins ne pouvaient résister à une telle offre. Les fabrications de Bontems s’affichent bientôt dans leurs vitrines, y compris aux États-Unis. Les oiseaux chanteront dès lors dans tous les foyers.