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Human Flow : Ai Weiwei parmi les migrants

Publié le , par Camille Larbey

Dénonçant depuis plusieurs années le sort des réfugiés à travers le monde, l’artiste chinois livre un documentaire en forme de plaidoyer pour la dignité humaine.

«En tant qu’artiste, j’ai toujours foi en l’humanité et considère que cette crise... Human Flow : Ai Weiwei parmi les migrants
«En tant qu’artiste, j’ai toujours foi en l’humanité et considère que cette crise est aussi ma crise.» Ai Weiwei, qui nous invite également à ne pas nous en détourner.
© MARS FILM

Le 22 juillet 2015, Ai Weiwei (né en 1957) postait sur les réseaux sociaux une photo de lui-même tenant dans la main son passeport, récupéré après quatre années de confiscation. L’artiste dissident usa de cette liberté de voyager hors de Chine en s’intéressant de près aux migrants débarquant sur les côtes d’Europe. Ses installations de gilets de sauvetage à Vienne, Copenhague ou Berlin furent largement relayées par les médias. À Florence, sur les murs du palais Strozzi, il accrocha vingt-deux canots pneumatiques. Dans une galerie new-yorkaise, il exposa les chaussures et vêtements abandonnés dans le camp d’Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne. Au cours d’une conférence de presse, il annonça vouloir ériger à Lesbos un monument en hommage à ceux qui ont péri en mer, et souhaiter désormais créer «des œuvres en lien avec la crise et susciter une prise de conscience». Finalement, ce documentaire, présenté à la dernière Mostra de Venise, sera son mémorial.
Une multitude de récits
De la Grèce au Kenya, en passant par Gaza, Calais, le Bangladesh ou la Turquie, Ai Weiwei et son équipe de tournage ont sillonné vingt-trois pays, à la rencontre de ces personnes qui, comme l’exprime l’une d’elles, «s’infligent l’épreuve de l’exil». Pas de voix off pour commenter les images, mais des extraits de coupures de presse, des citations de poètes  Nâzim Hikmet, Adonis, Mahmoud Darwich et des interviews de responsables politiques ou de représentants d’ONG. Le dispositif varie : tantôt le réalisateur s’efface derrière la caméra, tantôt il apparaît à l’image, en train de filmer avec son téléphone portable, de se faire couper les cheveux, de distribuer des bouteilles d’eau à des naufragés ou de danser au milieu d’une foule célébrant un mariage. Cette présence dans le cadre rappelle qu’il est lui-même fils de déplacé son père, le poète Ai Qing (1910-1996), fut déporté dans un camp de travail dans les années 1970. Fort heureusement, la star activiste ne se pose pas en père moralisateur, ni en redresseur de torts. Le spectateur connaît bien les images de ces migrants accostant sur l’île de Lesbos, affrontant les gardes-frontières ou tuant le temps dans des camps improvisés, tant celles-ci ont été ressassées par les médias. Ici, la caméra capte ce que le temps de l’actualité ne peut convenablement graver : les récits de ceux jetés sur les routes, leurs silences, leurs colères, leur force et cette demande de respect implorée par plusieurs personnes en différents points du globe. Cette mosaïque de destins tragiques serait ainsi la conclusion d’un parcours artistique entamé il y a quelques années.
Une œuvre monumentale
Une fois de plus, Ai Weiwei démontre son penchant pour le monumental : ce film a nécessité la collaboration de deux cents personnes, et s’étire sur deux heures trente. Or, n’est pas Frederick Wiseman documentariste américain capable de nous entraîner dans des fresques de plus de trois heures qui veut. Aussi, Human Flow souffre parfois de sa durée. Le récit opère quelques digressions, notamment un passage en Irak, sur la reprise de Mossoul par les forces gouvernementales. On soupçonne le réalisateur de céder à la fascination d’images époustouflantes, comme cette vache recouverte de suie et errant dans les ruines d’une petite ville irakienne, tandis qu’en arrière-plan le ciel est noirci par les colonnes de fumée des puits de pétrole incendiés. Car Ai weiwei porte avant tout le regard d’un artiste plasticien plus que celui d’un cinéaste. Les flux migratoires sont donc un motif autant esthétique que dramatique. Les silhouettes de ces Africains emmenés à quai et que l’on enroule dans des couvertures de survie pour les réchauffer ressemblent à des statues, à peine modelées et s’illuminant dans la nuit. Différents camps de réfugiés à travers le monde sont aussi filmés grâce à un drone. Les lents travellings aériens de ces mini-villes éphémères ne manquent pas de provoquer un effet de sidération. Jusqu’alors, Ai Weiwei revendiquait la nécessité de choquer. Lorsqu’il posa allongé sur une plage, dans la même position que le corps de l’enfant syrien retrouvé noyé en septembre 2015, la photo fit couler beaucoup d’encre. Human Flow, à la différence de ses œuvres habituelles, ne suscitera aucune polémique. Elle ne dérangera pas. Mais elle ne manquera pas d’émouvoir profondément le spectateur.

 

 
 © MARS FILM
à voir
Human Flow (2017), sur les écrans français depuis le 7 février, 140 min, réalisation Ai Weiwei, avec Muhammed Hassan, Filippo Grandi, Peter Bouckaert, la princesse Dana Firas de Jordanie… 

 
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