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Hubert Bonnet, la bonne direction

Publié le , par Mikael Zikos

L’homme d’affaires et collectionneur belge a ouvert le CAB, à Bruxelles, en 2012. Portée par l’enthousiasme de son créateur, cette fondation devenue incontournable accueille des artistes de renommée internationale.

  Hubert Bonnet, la bonne direction
 

Votre collection et l’activité de la fondation CAB sont associées à l’art minimal. Pourquoi ce courant vous intéresse-t-il ?
Une des premières œuvres que j’ai acquise est une sculpture de Donald Judd. L’art minimal a toujours été un choix évident pour moi. Je travaille dans l’immobilier et, parallèlement à mon goût pour l’architecture, la structure et la radicalité de cet art m’ont véritablement interpellé, bousculé.
Le CAB est d’ailleurs né de votre rencontre «avec» une architecture…
C’est la découverte d’un ancien entrepôt des années 1930, dans lequel était installée la compagnie de danse contemporaine du chorégraphe Wim Vandekeybus, qui m’a donné l’envie d’ouvrir un espace d’exposition, alors même que je ne me considérais pas vraiment comme un collectionneur. J’ai rapidement constitué une équipe, avant tout familiale, et, jusqu’à ce jour, nous avons accueilli plus de trente mille visiteurs au cours de vingt-quatre expositions.
En quoi le CAB participe-t-il au dynamisme du monde de l’art dans la capitale belge ?
Même si je réside en Suisse, je suis Bruxellois avant tout. Et je souhaite m’inscrire dans le paysage artistique belge afin de pouvoir dialoguer avec lui. La fondation se situe au cœur de la commune d’Ixelles, à Bruxelles, réputée pour ses grandes galeries d’art et l’ouverture de nouveaux lieux comme la fondation Thalie. Beaucoup d’expositions et d’événements du CAB se montent dans un contexte de proximité : les œuvres proviennent de galeries, de collectionneurs ou directement d’artistes ayant un relais dans la capitale.
Vous faites l’achat d’une pièce par exposition. Où en est votre collection ?
Ma collection personnelle s’est rétrécie, car je préfère désormais faire moins d’acquisitions et soutenir le développement de nouvelles pratiques. Le CAB comporte depuis un an une résidence d’artistes. Elle dure quatre mois et les personnes sélectionnées, belges ou étrangères, émergentes ou non, développent une pratique plutôt expérimentale, liée à l’art minimal et conceptuel.
Le design occupe-t-il aussi une part notable dans votre collection, à l’instar de cette maison de Jean Prouvé utilisée comme espace d’exposition au sein même du CAB ?
En 2016 et 2017, nous avons invité des artistes à s’approprier une maison démontable de six mètres carrés conçue par Jean Prouvé en 1944. Des plasticiens, comme la Polonaise Alicja Kwade et le Belge Koenraad Dedobbeleer, ont été fascinés par le travail de ce designer, son statut d’ingénieur, la situation d’urgence pour laquelle cet habitat fut construit et ses matériaux. Ce cycle d’expositions s’est clos avec «The Brutal Play» du commissaire français Matthieu Poirier, qui s’est concentré sur la scène constructiviste, minimale et contemporaine inspirée par l’architecture à travers trois générations d’artistes, d’Alexander Rodtchenko à Valentin Carron. Nous travaillons souvent avec des commissaires, car leur regard est complémentaire de celui des artistes et du nôtre. Nous avons eu la chance que Pierre-Olivier Rollin, directeur du centre d’art BPS22 à Charleroi, et Dieter Roelstraete, avant qu’il ne rejoigne l’équipe de la Documenta de Kassel et Athènes en 2017, nous fassent confiance.
Après avoir convié le land artist britannique Richard Long à concevoir une installation in situ, vous faites aujourd’hui appel au conceptuel suisse John Armleder. Que nous apprennent ces deux artistes ?
La manière dont John Armleder voit et conçoit l’art n’a en effet rien à voir avec celle de Richard Long, dont les œuvres utilisent des matériaux naturels et dont le mode de pensée est proche de la méditation. Mais elle va également dans le sens de l’évolution de l’art : ce qu’il représente et comment l’utiliser, en quelque sorte, à bon escient. John Armleder renverse sans cesse le sens de l’art avec une distanciation et un certain humour. Là où nous avions commandé à Richard Long une sculpture pour le centre de l’espace d’exposition du CAB, nous avons donné une carte blanche à John Armleder pour occuper la totalité du lieu, soit huit cents mètres carrés. Historiquement, John Armleder est lié au mouvement Fluxus, qui mélangeait différentes formes d’art et visait à changer le regard du spectateur sur celui-ci. Mais il va plus loin dans la critique de la «sainteté» de l’art en cassant, par exemple, l’abstraction géométrique avec du ready-made. On retrouve donc, dans son exposition pour le CAB, ses furniture sculptures, des associations de peintures abstraites et de mobilier. En montrant aussi une partie de sa propre collection, il met en évidence l’influence de l’abstraction géométrique et de ses dérivés sur les artistes, jeunes et moins jeunes, comme chez l’Américain John Tremblay. C’est une exposition disruptive, car le regard est sans cesse questionné sur la notion d’originalité, et les possibilités qu’offre l’abstraction pour changer la perception sont presque infinies. Nous allons continuer dans ce sens en donnant les clés du CAB à Claude Rutault en septembre et à Alan Charlton en novembre et décembre, tous deux connus pour leur pratique conceptuelle de la peinture monochrome.
Vous collaborez aussi avec des collectionneurs belges, qui exposent au CAB, comme le galeriste Albert Baronian…
Albert Baronian a pour ainsi dire «créé» l’art contemporain à Bruxelles : il est entre autres à l’initiative de la foire Art Brussels. Il souhaitait faire une exposition sur le néon depuis un moment, et les quarante-cinq ans de sa galerie, en 2018, lui ont donné raison. Nous avons donc accueilli l’an dernier un ensemble d’œuvres réalisées avec ce médium par des personnalités emblématiques, tels Dan Flavin et François Morellet, et des artistes de la nouvelle génération comme David Brognon et Stéphanie Rollin.
Pourquoi accueillez-vous aussi le prix Pictet récompensant la photographie et le développement durable ?
J’aime le support de la photographie, même s’il peut paraître éloigné de l’art minimal. Montrer les résultats de ce prix (une dizaine de finalistes sélectionnés pour chaque édition autour d’un thème comme l’eau et la terre, ndlr) répond à mes propres convictions.
En quoi votre engagement philanthropique influence-t-il la manière dont vous considérez l’art ?
Je m’investis dans la fondation Womanity, engagée pour l’indépendance des femmes dans les pays en développement. Avec mon épouse, anthropologue, nous avons récemment œuvré à la construction d’écoles au Burundi et à une série de maisons, en Birmanie et au Sri Lanka, avec la fondation Selavip. Ces actions m’influencent et me font penser que le marché de l’art est éloigné des préoccupations globales actuelles.
Quel est le futur du CAB ?
Je pense ouvrir un espace satellite à la fondation CAB. Il sera implanté en France ou en Italie, en pleine nature, afin d’y développer des projets d’ampleur. Je souhaite ainsi voir évoluer l’entité «CAB» comme projet de mécénat à long terme.

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