Privilégiant toujours le goût de la découverte, la 19e édition d’Art Paris Art Fair accueille 139 galeries d’art moderne et contemporain de 29 pays. Rencontre avec celui qui en est le commissaire général depuis 2011.
Vous êtes à l’origine du renouveau d’Art Paris. Vous défendez ce que vous nommez le «régionalisme cosmopolite». Qu’est-ce que cela englobe ?
Organiser une foire est quelque chose de complexe : les collectionneurs français ont plutôt envie de découvrir les galeries étrangères tandis que les visiteurs internationaux, eux, s’intéressent aux galeries françaises… D’où cette idée d’avoir un enracinement dans les régions, de France, bien sûr, mais également européennes : Allemagne, Suisse, Belgique, Italie, Angleterre… Cela se révèle être un atout pour Art Paris, qui a totalisé 35 % de visiteurs étrangers l’an dernier et a comptabilisé des collectionneurs de cinquante nationalités différentes. Notre programmation est à 50 % française. C’est une constante car cela fait partie de notre identité. J’aime à penser que les visiteurs qui viennent de l’étranger se disent : c’est une foire française. Cela nous distingue de nombreuses foires où on a l’impression que l’on pourrait être n’importe où dans le monde.
L’identité d’Art Paris, c’est aussi le secteur Promesses, que vous avez créé en 2012 et qui réunit douze galeries de moins de six ans d’existence. L’esprit de découverte reste-t-il une de vos priorités ?
Promesses, c’est d’abord un engagement de notre part vis-à-vis des jeunes galeries, puisque nous les aidons à hauteur de 45 % à financer leur stand. Sans cela, elles ne pourraient pas participer. Ensuite, c’est un véritable choix qui nous permet de mettre en avant une nouvelle génération de galeries que nous avons l’ambition de faire connaître aux collectionneurs. Pour y parvenir, nous les avons regroupées afin qu’elles bénéficient d’une meilleure visibilité. Ce travail prend une nouvelle forme cette année, avec la création d’un prix décerné par L’Art est vivant, un collectif de collectionneurs et d’amateurs passionnés. À travers une sélection entièrement internationale, Promesses reflète la stratégie d’Art Paris en étant à la fois global et local : avec des galeries de Bratislava, Amsterdam, Genève ou encore Londres, mais aussi de Bogota ou d’Abidjan… Six d’entre elles sont reliées aux scènes africaines.
Après la Russie, la Chine, l’Asie du Sud-Est et la Corée, cette année vous mettez en effet l’Afrique à l’honneur. Pourquoi ce choix ?
D’abord parce qu’on observe depuis quelques années une progression rapide du marché de l’art sur ce continent, comme en Afrique du Sud, où un véritable écosystème de l’art a vu le jour avec musées, galeries, etc. Autres exemples : le Sénégal avec la Biennale de Dakar, créée en 1990, l’Ouganda avec celle de Kampala, qui a vu le jour en 2014, le Nigeria, où «Nollywood» a favorisé l’essor d’une culture de l’image, le Maroc, qui se développe également rapidement… Sans oublier la diaspora, très active, qui est essentiellement basée à Londres. En France, nous avons encore tendance à regarder l’art africain à travers la statuaire, via le prisme de l’Afrique francophone, ou avec les éternels clichés des objets recyclés et de la photographie de studio noir et blanc…
Selon vous, le rôle d’une foire, c’est aussi de faire évoluer notre regard…
Oui, il faut aller contre les idées reçues. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité marier toutes les Afriques, du Maghreb à l’Afrique du Sud, et rassembler des galeries incontournables et historiques. Par exemple, Magnin-A (Paris), October Gallery (Londres) ou encore Elmarsa (Tunis), ainsi que des enseignes plus jeunes afin d’offrir une vision large… Après mûre réflexion, et pour éviter l’effet ghetto, nous avons décidé de les disperser dans la foire. Une façon de dire qu’elles font jeu égal avec les enseignes occidentales.
Avec cette programmation placée sous le signe de la découverte, espérez-vous faire venir de nouveaux visiteurs, qui pourraient être attirés par des œuvres à des prix accessibles ?
Oui, cela devrait attirer des collectionneurs qui n’ont pas l’habitude de venir, d’autant plus qu’au même moment Paris accueille de nombreuses expositions autour de l’Afrique : la Villette, le musée Dapper, la Galerie des Galeries, qui a invité Marie-Ann Yemsi, notre commissaire pour le focus africain… Cette effervescence nous a permis de créer un parcours VIP très riche. Nous attendons déjà quarante groupes de collectionneurs de dix-neuf pays.
Sur votre site web, en cliquant sur l’onglet «œuvres», on peut faire une sélection par différentes tranches de prix, de 5 000 à 10 000 €, de 10 000 à 15 000 € et jusqu’à plus de 100 000 €. Quels sont les objectifs d’un tel outil, inédit pour une foire ?
Avec ces filtres, nous nous adressons à ceux qui n’ont pas l’habitude d’aborder les galeries et n’osent pas demander les prix. La consultation se fait tranquillement, de chez soi… et offre instantanément une vision de la foire en fonction de critères : par prix, mais aussi par discipline, galerie, pays, date des œuvres… De manière générale, il y a une grande opacité sur les prix. Le secret est de mise pour les transactions les plus importantes. Ce que l’on peut dire, c’est que Art Paris réunit les extrêmes avec, d’un côté, ceux qui achètent à petits prix pour se faire plaisir, et de l’autre, ceux qui acquièrent des pièces historiques onéreuses.
Vous définissez Art Paris comme une foire «de passion» en opposition aux foires «de spéculation». Quelle distinction faites-vous ?
Nous sommes une foire très conviviale et très ouverte… Les collectionneurs me le font souvent remarquer : il n’y a pas de snobisme. Nous avons d’ailleurs la volonté d’accompagner les non-avertis, notamment à travers des visites «décryptages» organisées par l’Observatoire de l’art contemporain, qui génèrent des achats, souvent tout simplement parce que les visiteurs ont eu accès à l’information et aux prix. Dans une foire «de spéculation», les achats sont provoqués par l’idée de faire un investissement. L’esprit de découverte qui caractérise Art Paris s’oppose à cette idée de spéculation… Ce qui ne nous empêche pas d’accueillir des grands noms, ne serait-ce que, concernant la scène africaine, Chéri Samba, Seydou Keita, ou Mohau Modisakeng, qui représentera l’Afrique du Sud à la prochaine Biennale de Venise.
Quelles répercussions le contexte actuel, lié aux menaces d’attentats et aux élections, a-t-il sur la foire ?
Le fait d’être dans une année d’élections présidentielles en France crée une atmosphère particulière. Il y a un attentisme énorme lié à l’incertitude du résultat. Et, conséquences directes du Brexit et du cours défavorable de la livre, les galeries anglaises sont frileuses et dans l’expectative… Si l’on est positif, on peut y voir des circonstances favorables, aptes à renforcer la place de Paris dans le marché de l’art. Paris a l’avantage d’être une capitale artistique qui attire beaucoup d’étrangers parce que sa scène artistique est riche.
Et quelles sont les tendances fortes qui se dégagent pour 2017 ?
Cette année, il y a une présence accentuée des modernes et de galeries d’art contemporain majeures comme Juana de Aizpuru et Natalie Seroussi. Un doute s’est installé sur l’art contemporain et les collectionneurs ont, en ce moment, tendance à privilégier des artistes reconnus ou des redécouvertes parce que ce sont des valeurs sûres… Ainsi, on constate une mise en avant des artistes modernes latino-américains, de l’art cinétique, un retour des surréalistes et, plus étonnant, du mouvement CoBrA.