Cet homme de presse et amateur d’art a réuni pendant plus de cinquante ans un remarquable ensemble de livres d’artistes ; cerise sur le gâteau, nombre sont reliés par des maîtres contemporains. Chapeau !
Proches des artistes de l’après-guerre, notamment Soulages, Zao Wou-ki, Olivier Debré et le grand ami Julius Baltazar, Martine et Gérard Vidalenche ont d’abord recherché leurs œuvres. Au fil des années, les peintures correspondant à leur désir d’excellence sont devenues plus rares et… plus onéreuses. Gérard, dans un cheminement très personnel, s’intéresse alors au livre d’artiste, qui «permet d’acquérir des Braque, des Matisse, etc., grâce aux illustrations réalisées par différents procédés de gravure comme l’aquatinte, l’eau-forte, la pointe-sèche, la lithographie ou, pour certains artistes, par une intervention originale sur chaque exemplaire», explique-t-il dans un entretien recueilli par le magazine Arts & Métiers du livre en 2015, pour le numéro de mai-juin. «On peut donc entrer dans la magie de leurs créations par les ouvrages qu’ils ont illustrés.» Depuis quelques dizaines d’années, suite à la longue maladie éloignant son épouse, il s’est de plus en plus investi dans cette bibliothèque/collection. Cet homme de presse prend en charge l’édition d’ouvrages d’amis artistes, puis, au fil des rencontres, d’écrivains et, démarche plus rare, fait appel à des relieurs. Le livre ou la plaquette (moins de 48 pages) devient alors une œuvre à part entière. Un témoignage d’amitié, aussi, que reflètent les ensembles constitués autour d’auteurs de prédilection comme Michel Butor , illustrés notamment par Bertrand Dorny par qui tout a commencé et habillés par les grands noms de la reliure contemporaine, tels Philippe Fié, Monique Mathieu, Brigitte Benoist, Renaud Vernier…
Les illustrateurs amis
Un beau jour de 1962, Gérard Vidalenche achète un exemplaire de Foules, texte de Jacques Gouttenoire, illustré d’une suite de dix gravures de Bertrand Dorny, première publication de l’artiste qui lui a inoculé le virus de la collectionnite. Cette plaquette in-folio accompagnée de dix aquatintes hors texte, d’un tirage à 32 exemplaires, figure dans cette vente avec un cuivre original et un texte autographe de Bertrand Dorny, assortie d’une estimation de 1 000 € environ. «C’est à lui que je dois ma passion de cette forme de culture», avoue le collectionneur. Un autre ouvrage résume cette quête : Caractères, texte de Michel Butor et illustrations de Bertrand Dorny, fabriqué en 1993 par l’Imprimerie nationale. Le volume in-4o, d’un tirage à 80 exemplaires (300/400 €), est orné de dix grandes compositions verticales en couleurs lithographiées, gaufrées et collées, qui encadrent six textes à la gloire des caractères d’imprimerie et de leurs six créateurs. Ce rare ouvrage poétique sur la typographie, composant essentiel du livre, suit un ordre chronologique, à chaque période historique correspondant une police et son inventeur. Pour l’élégant caractère signé Claude Garamond, utilisé pour la première fois dans le Paraphrasis in Elegantiarum Libros Laurentii Vallæ d’Erasme (1530), nous lisons donc «Nouveaux mondes nouveaux livres…». Pour le dernier, «Gautier», Butor et Dorny font œuvre de foi dans l’avenir du livre : «Et voici la fin du siècle et même d’un millénaire naissez nouveaux caractères pour aider notre avenir». Un autre artiste ami, Hervé Lambion, cousin par alliance de l’épouse du collectionneur, se voit doter par Salvador Dalí d’un pseudonyme : Julius Baltazar. Peintre proche de Mathieu ou de Zao Wou-ki, il est introduit par le maître de Cadaquès dans les milieux littéraires ; il réalise sa première gravure pour Huevo filosófico d’Arrabal et Dalí (1967). Grâce à Jacques Matarasso, libraire-éditeur niçois, il rencontre Michel Butor. Leurs œuvres de collaboration forment ici un noyau important de la sélection de cet écrivain, également devenu un proche de Gérard Vidalenche.
Le prolifique Michel Butor
Pas moins de vingt-six numéros de cette bibliothèque sont consacrés à l’auteur de La Modification, décédé le 24 août 2016, dont douze sont illustrés ou composés avec Baltazar. Ils comptent parmi ceux qui ont bénéficié de reliures, commandées notamment à Renaud Vernier. Gérard Vidalenche a privilégié les essais, livres d’artistes dans le sens plus noble du terme, aux textes calligraphiés par l’auteur et enluminés dans le même temps. Dans l’énorme bibliographie de cet auteur affilié au nouveau roman, se comptant en quelques milliers d’ouvrages, cette vingtaine de textes permet d’explorer ses continents imaginaires. Abandonnant le genre romanesque, son œuvre s’ouvre toujours plus aux autres champs, en particulier à la rencontre entre deux langages, littéraire et artistique. «Ces collaborations, écrit-il, m’ont ainsi donné des régions d’imaginations nouvelles, des régions stylistiques nouvelles, et, je puis dire, des régions oniriques nouvelles.» Ne boudons pas notre plaisir de voyager dans les rêves, comme dans celui de Baudelaire, décrit en urgence à Charles Asselineau dans une lettre du 13 mars 1856, que Michel Butor prend comme point de départ de son Histoire extraordinaire. Essai sur un rêve de Baudelaire, paru en 1961. L’exemplaire de l’édition originale relié par Pierre-Lucien Martin, dédicacé sur le faux-titre par l’auteur à Gérard Vidalenche en 2011, est évalué autour de 800 €. Pour le dernier ouvrage paru en 2013 (400 € environ), Tentations, [Paris, rue de l’Éperon (chez Bertrand Dorny), Lucinges (Haute-Savoie, chez Michel Butor), il s’est inspiré des sept péchés capitaux, personnifiés, paraît-il, par des personnages politiques éminents de cette année-là… Écrivain nomade, Butor souligne les liens entre l’itinérance et l’écriture : «Parce que pour moi voyager, au moins voyager d’une certaine façon, c’est écrire (et d’abord parce que c’est lire), et qu’écrire c’est voyager.» Le jardin secret de Gérard Vidalenche était cette bibliothèque, microcosme artistique, littéraire et amical ; toujours accueillante, elle lui a offert l’évasion des contingences d’un monde de souffrance. Dans la préface du catalogue de sa collection, en 2014, il conclut : «Parcourant souvent ma collection devenue un peu un labyrinthe, j’en suis toujours surpris, étonné, ébloui par les images et les souvenirs qui soudain resurgissent à travers les lettres, les dédicaces, les reliures, les typographies…» Un éblouissement bientôt partagé avec d’heureux enchérisseurs.