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Gérard Fromanger, l’électrocardiogramme de la couleur

Publié le , par Harry Kampianne

En 2019, à l'occasion des expositions au musée Marmottan Monet et à Issoudun du peintre Gérard Fromanger, décédé vendredi dernier, La Gazette avait publié une visite de son atelier parisien.

Gérard (Autoportrait), 2019, série «Amis», pastel sur papier, 80 x 60 cm. Gérard Fromanger, l’électrocardiogramme de la couleur
Gérard (Autoportrait), 2019, série «Amis», pastel sur papier, 80 60 cm.
© Christian Baraja SLB

Au cœur du quartier de la Bastille, rue de la Roquette, l’atelier du peintre Gérard Fromanger est une escale urbaine comparée au calme des vallées toscanes où il vit et travaille une grande partie de l’année. «Cet atelier, je m’en sers principalement pour dessiner, pour préparer mes expositions lorsque je suis en France.» Pourtant, une toile de grand format accrochée au mur semble sujette à de supposées finitions. Il précise tout de go qu’elle ne peut pas être prise en photo avant le vernissage, fin mars, au musée Marmottan Monet : un embargo décrété par l’institution elle-même. «C’est un tableau que j’ai réalisé avant tout en Italie, il y a encore quelques retouches à faire. Je l’ai appelé Impression, soleil levant 2019, en référence au fameux tableau de Monet datant de 1872. Ils seront d’ailleurs tous deux accrochés l’un à côté de l’autre.» Une exposition qu’il accompagnera d’une série de dessins : des portraits au pastel de célèbres impressionnistes, épurés et graphiques, dont les traits aux couleurs primaires agrémentées parfois de vert ou de blanc font penser à des séismes, à une lecture d’électrocardiogrammes tentant de sortir du cadre. Sa série «Cardiogrammes» exposée en ce moment au musée de l’hospice Saint-Roch, à Issoudun, traduit à juste titre cette tension à laquelle tout être humain est soumis à chaque battement de son cœur. Une fragilité, une intensité, une densité, une «intranquillité» qu’il fait sienne dans chacune de ses œuvres. Celles-ci sont souvent représentatives de foules emprisonnées dans un décor urbain, thématique qu’il n’a cessé de décortiquer depuis sa série «Boulevard des Italiens» (1970) : «Ce sont surtout des passants, c’est la multitude du mouvement et des anonymes. Je me considère plutôt comme un artisan à l’écoute de la rue.»
 

Portrait en noir et blanc.
Portrait en noir et blanc.© C.Delfino/ParisMatch/Scoop


Au rouge de cadmium
Dans le sillage des artistes de la figuration narrative, sa peinture raconte l’époque, certes lointaine, dynamisée par les utopies, les illusions d’un monde meilleur. Une époque qu’il a chahutée, transgressée au-delà de ses aplats de couleur, de ses personnages fantomatiques qu’il réchauffe au rouge de cadmium, couleur fermement ancrée au cœur de son œuvre. Ces personnages sont des révélateurs du monde moderne. Un monde bouillonnant en perpétuelle effervescence. Certes, les utopies se sont fanées au début des années 1980, désillusions qui n’entament en rien sa créativité et sa totale confiance en la peinture qu’il travaille en solitaire. Dès 1971, l’emploi de la photo devient récurrent. Des photos de passants, de voitures, de vitrines, de la ville qu’il projette et agrandit sur l’écran de sa toile. «Une toile blanche, dit-il, est noire, noire de tout ce qui a été fait, de toute l’histoire de la peinture, de tout ce que j’ai fait. C’est déjà une bataille d’aller au-delà des influences, d’aller au-delà de soi. Il faut continuellement rafraîchir la peinture. Si la photo que j’ai prise a plus de puissance que la peinture, c’est uniquement dû à l’interprétation du spectateur. Foucault disait que la peinture doit faire exploser la photo et lui donner une autre lecture. Il faut que la peinture, au-delà même de la volonté de narration ou d’engagement, fasse sortir son mystère et parle avec son propre langage. En réalité, j’ai deux devises : d’une chose en est une autre et il faut que la peinture gagne.»
Rester dans la course
«C’est très difficile d’inventer son propre langage. Il provient toujours de quelque chose d’autre qui a été fait avant.» Gérard Fromanger croit beaucoup à la théorie du relais. C’est ce qui permet, selon lui, de rester dans la course, d’être à l’écoute des avant-gardes, des écoles, des remous du monde de l’art. Prenant l’exemple de Christian Boltanski, invité à la Biennale de Venise en 2003, il poursuit : «Je me rappelle qu’il avait réalisé une immense fresque avec l’aide d’élèves d’une école des beaux-arts, représentant les 12 000 noms des artistes qui avaient exposé à la biennale. L’idée lui est venue du vieux cimetière juif de Prague, composé de 12 000 pierres tombales. Un lieu très émouvant. Parallèlement, par pure coïncidence, j’avais fait un immense tableau avec les 800 noms les plus célèbres de l’histoire de l’art écrits en blanc sur un fond noir, un peu à l’image du mur à Washington où sont inscrits les noms de tous les soldats morts pendant la guerre du Vietnam. Quand on regardait la fresque de Christian, on se souvenait à peine de deux ou trois cents artistes sur les 12 000 qui avaient été sélectionnés par leurs pays. J’en conclus qu’il faut être très modeste sur la renommée, sur l’héritage d’une œuvre, sur tout ce que l’on fait en général.» Gérard Fromanger n’arrête pas de se nourrir des autres arts : danse, théâtre, cinéma, philosophie, littérature… de ses amitiés avec Gilles Deleuze, Michel Foucault, Félix Guattari, Serge July, mais aussi les frères Alberto et Diego Giacometti, le sculpteur César, qui sera l’un de ses mentors, le cinéaste Jean-Luc Godard, avec lequel il tourne des films-tracts, ou le poète-scénariste Jacques Prévert, dont il loue l’inventivité. «C’est un homme qui a trituré la langue d’une manière géniale avec les mots de tous les jours. Il les a associés avec une telle aisance que, tout à coup, son langage paraissait tout neuf et tout frais.» Autant d’alliés qui sont devenus essentiels à son œuvre. «En réalité, toute forme d’art rentre dans l’imaginaire de l’artiste. J’aspire, je bois, je mange tout ce qui me touche à la fois émotionnellement et intellectuellement.»

 

Impression, soleil levant 2019, 2019, acrylique sur toile, 200 x 300 cm, détail.
Impression, soleil levant 2019, 2019, acrylique sur toile, 200 300 cm, détail.© Christian Baraja SLB


Une autre époque
Rien ne dénote une ambiance de clandestinité ou une frénésie d’activiste lorsque l’on franchit le seuil de son atelier parisien. Il y règne une sérénité où seule la peinture est reine. Il est loin le temps des barricades, le temps où il produisait des milliers d’affiches accompagnant la lutte des étudiants et des ouvriers dans l’Atelier populaire des beaux-arts qu’il a cofondé en mai 1968. On l’a dit peintre d’extrême gauche, peintre militant ou artiste engagé, ce qu’il réfute : «Tout être humain est engagé vers quoi il se destine. Une personne qui désire créer une entreprise ou monter un commerce est engagée. Moi, je me suis engagé dans la peinture.» Au-delà de ses convictions politiques, Gérard Fromanger a toujours su porter un regard ensoleillé sur le monde. On ne peut pas parler de désillusions lorsqu’il fait le bilan de ses jeunes années insurrectionnelles, mais d’une certaine sagesse. «Le monde évolue à une vitesse vertigineuse. Depuis Internet et les réseaux sociaux, nous sommes passés dans une autre dimension. Les nouvelles technologies ont pris le pas sur l’artisanat. À notre époque, il n’y avait que deux événements pour que de jeunes artistes se fassent connaître : le Salon de Mai et le Salon de la jeune peinture, dont les jurys étaient essentiellement composés d’artistes. Aujourd’hui, la finance règne sur le monde de l’art. L’artiste est devenu une marchandise, un simple produit. Les foires, les salons, les biennales se sont multipliés comme des petits pains. Je ne dis pas que c’est mal. C’est une autre époque, c’est tout.»

GÉRARD FROMANGER
en 5 dates
1939
Naissance à Pontchartrain dans les Yvelines
1968
Cofondateur de l’Atelier populaire des beaux-arts
1974
Premier voyage en Chine avec le cinéaste Joris Ivens
1980
Installation en Italie près de Sienne
2016
Rétrospective au Centre Pompidou, à Paris
À VOIR
«Gérard Fromanger, Annoncez la couleur !», musée de l’hospice Saint-Roch,
rue de l’Hospice-Saint-Roch, Issoudun, tél. : 02 54 21 01 76.
Jusqu’au 12 mai 2019.
www.museeissoudun.tv


«Monet/Fromanger. Impression, soleil levant 2019», musée Marmottan Monet,
2, rue Louis-Boilly, Paris XVIe, tél. : 01 44 96 50 33.
Jusqu’au 29 septembre 2019.
www.marmottan.fr
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