Avec la publication du nouveau code de déontologie du Comité professionnel des galeries d’art, son président, GEORGES-PHILIPPE VALLOIS revient sur les enjeux d’une profession en pleine mutation. Artistes, galeristes, quel avenir ?
Difficile de ne pas connaître sa galerie au 36, rue de Seine à Paris, qu’il a créée avec son épouse Nathalie il y a déjà vingt-six ans. Aujourd’hui, ce grand promoteur des nouveaux réalistes nous reçoit en tant que porte-parole du Comité professionnel des galeries d’art, dont il est président.
Pourquoi un code de déontologie ?
Nous voulions montrer que notre métier est régi par des règles, sans opacité. Il s’agissait, politiquement du moins, de détailler nos actions, leur contenu et leur rigueur. Le code est à la fois un registre des bonnes pratiques, mais aussi une énumération de celles-ci. Par ailleurs, il me paraît important sur le long terme, et c’est pour cela que nous avons traduit notre opuscule en anglais, d’essayer d’élaborer un code européen. À la prochaine assemblée de la Fédération européenne des galeries d’art, à Bâle, figure justement cette question. Un code commun permettrait notamment de sécuriser les pratiques entre galeries de différents pays.
Parlez-nous de la genèse du projet.
Le précédent code avait plus de vingt ans, il était nécessaire de l’harmoniser, de l’adapter aux évolutions de la profession. Les rédacteurs David Fleiss, Benoît Sapiro, Philippe Valentin, aidés par Véronique Jaeger, ont fait un excellent travail ; ensemble, ils réunissent les caractéristiques propres aux différents acteurs du Comité. À la nécessité absolue de réformer un code vieillissant, se sont ajoutés d’autres facteurs, comme le renouvellement et l’augmentation du nombre de nos membres, le développement des foires, la volonté d’européaniser les pratiques.
Le code pointe les devoirs du galeriste envers l’artiste et les acquéreurs. Ceux-ci ne sont-ils pas finalement antagoniques ?
Ils témoignent juste de la réalité de notre activité. Nous mettons entre cinq et quinze ans pour établir le travail d’un artiste, alors que la vente est un moment très court. Sans collectionneurs, notre activité serait en faillite. Mais le temps que demandent la promotion et la diffusion de l’œuvre d’un artiste vivant, la durée de travail induite par cette collaboration, est infiniment supérieur à l’acte de vente. La relation aux artistes, dans sa durée et ses obligations, est propre à l’activité des galeries du premier marché et il importe de codifier au mieux ce qu’elle doit être.
Comment entend-il répondre aux difficultés de la profession ?
À mon sens, celles-ci sont principalement liées à nos modes de communication. Le succès d’un artiste est souvent porté par le travail d’un galeriste. Il faut mettre en avant cet aspect de notre métier. Au Comité, l’objectif est donc de revaloriser la profession, d’essayer de faire revenir le public dans les galeries, d’attirer l’attention sur le travail de fond que nous faisons. Sans artistes, pas de galeries, sans collectionneurs, pas de galeries, mais sans galeries aucun lien entre ces différents acteurs. Les difficultés rencontrées par notre profession ressemblent finalement à celles que rencontrent le petit commerce face à une grande surface. Ensemble, nous sommes forts, mais il très difficile de convaincre 240 farouches individualistes. Ce code contribue modestement à démontrer que nos pratiques sont simples, que nos relations entre confrères, avec les artistes et avec les collectionneurs sont codifiées. De surcroît, il peut être utilisé par un juge en cas de conflit s’il n’y a pas de dispositions contractuelles. Le galeriste qui ne le respecte pas, en dehors du fait qu’il peut être exclu du Comité à la suite d’une médiation, peut se voir opposer par un plaignant le non respect des articles du présent code.
L’exclusion est-elle votre seul moyen de pression ?
Ce n’est pas tout à fait le seul, même s’il s’agit d’une sanction assez grave pour quelqu’un qui prétend faire partie de la profession. Le Comité intervient aussi dans le cadre des médiations. Cela fait pleinement partie de ses prérogatives.
On reste entre soi ?
Oui et non. Il faut reconnaître qu’en cas de litiges, les arguments des uns et des autres, artistes ou galeristes, ne sont pas toujours très simples à appréhender pour un juge. Dans le cas d’un vol manifeste, la question ne se pose même pas, une plainte est déposée. Mais dans des situations plus complexes, comme celles relatives aux prix de la production d’une œuvre et aux frais engagés, une médiation n’est pas inutile. Elle peut d’ailleurs être confiée à un membre du Comité comme à quelqu’un d’extérieur. J’ajouterai que si ce code ne concerne que nos adhérents, en revanche, son utilisation va bien au-delà de notre syndicat. Des professionnels qui ne sont pas membres peuvent se voir opposer le code. C’est l’outil syndical de la profession.
La répartition du montant de la vente entre l’artiste et le professionnel peut être source de tensions…
Beaucoup de galeristes me disent aujourd’hui : «avec une répartition à 50/50, on ne gagne rien». C’est particulièrement vrai lorsque les artistes débutent. Mais, souvent ce sont eux qui, une fois reconnus, changent de galerie. Ils ne laissent plus alors 50 %, mais 40, voire moins. Soit dit en passant, leur nouveau galeriste gagne alors davantage avec 30 %, que le précédent ne gagnait avec 50 % ! Je pense néanmoins que le Comité n’a pas vocation à se mêler des accords de chacun.
Qu’en est-il de la commande publique ?
Nous avons le souci de normaliser nos rapports avec les institutions, oublier cet héritage bien lointain où l’État mécène travaillait directement avec l’artiste. Aujourd’hui, nous avons beaucoup de mal à faire respecter aux établissements publics au sens large, la nécessité de travailler avec les galeries dans le cadre d’achats ou de commandes publiques. Nous constatons fréquemment des achats faits en direct auprès des artistes sans inclure la galerie. Le Comité se mobilise contre cette pratique qui est de nature à créer un antagonisme néfaste à tous.
Quels sont vos autres projets ?
Nous tentons d’organiser, à terme, notre propre foire. Aujourd’hui, le commerce se déroule principalement lors de ces grands rendez-vous internationaux et lors des ventes publiques. Il faut que notre modèle soit au plus près de ce que font les galeries. À savoir, des expositions en collaboration avec des commissaires, ou des expositions personnelles, et uniquement cela. Nous cherchons depuis plusieurs années à proposer une alternative qui intégrerait le savoir des commissaires, des critiques, des conservateurs, des spécialistes.
Comment expliquez-vous le phénomène des foires ?
C’est la facilité. Les gens sont très sensibles à ce qui se dit et ce qui se fait. Par ailleurs, le marché a énormément évolué. Beaucoup de fondations privées ont surgi ces vingt dernières années, Salomon, Émerige, Cartier, Pinault, Arnault…. Ces grands collectionneurs dits «prescripteurs» ont peu de temps. Par ailleurs, les gens pensent à tort que la foire est un filtre qui leur permet d’emblée d’appréhender l’excellence. Je m’insurge contre cela. Il est clair que le modèle dominant bâlois a fortement déteint sur les autres. Aujourd’hui, la singularité d’une foire qui vise l’excellence s’est considérablement amoindrie. On assiste à une standardisation globale, dont la foire est l’un des phénomènes. C’est une des raisons pour lesquelles j’estime qu’il ne serait pas inintéressant de proposer un autre modèle, une alternative crédible. L’une des grandes qualités de l’art n’est-elle pas la liberté et donc celle de montrer des choses différentes ?