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Georges Michel, le « Ruisdael français »

Publié le , par Carole Blumenfeld

La rétrospective Georges Michel, présentée à la fondation Custodia, offre l’occasion de revenir sur plusieurs clés d’interprétation de la réception de son œuvre et de son parcours artistique.

Le Moulin d’Argenteuil, vers 1830, huile sur toile, 100 x 86 cm, Pau, musée des ... Georges Michel, le « Ruisdael français »
Le Moulin d’Argenteuil, vers 1830, huile sur toile, 100 x 86 cm, Pau, musée des beaux-arts.
© Dist. RMN-Grand Palais/Benoît Touchard


Après avoir pris soin de distinguer le faire pictural de Georges Michel (1763-1843), Jacques Foucart s’interroge : «Saura-t-on jamais comment et pourquoi Michel s’est hollandisé tellement à part et isolément, presque seul de cette façon en son temps ? Ce serait un peu facile d’invoquer comme on le fait parfois de prétendues activités de restaurateur de tableaux nordiques qui n’ont laissé d’autres traces que les tardives assertions de sa veuve. Et puis, de la restauration à la création, de la copie à l’invention, il y a des marges, des écarts considérables qui ne suffisent pas à rendre compte de la réussite picturale.»
Épris d’Élisabeth Vigée Le Brun et faussaire pour Le Brun ?
«Michel, écrivait plus tard sa veuve, n’était pas un homme confiant ; tout ce qui lui paraissait sérieux, il le gardait pour lui et n’en disait mot. Il avait surtout grande méfiance des femmes et, cependant, il aima beaucoup une demoiselle artiste peintre, mademoiselle Vigée, qui fut plus tard mariée à un M. Le Brun, marchand de tableaux, qu’il détestait, qu’il fût souvent forcé d’être son compagnon de plaisirs. […] Il était sans cesse près d’elle dans ses petites réceptions intimes et à son atelier, car, déjà sauvage de sa nature, il ne voulait pas figurer dans les soirées de madame Le Brun, où la noblesse et la cour étoient (sic) fort assidus, comme près de l’artiste favorite de la reine Marie-Antoinette, car Michel n’aimait pas la cour, et il nous racontait souvent des histoires sur les nobles à faire dresser les cheveux sur la tête.» Le récit de la seconde épouse de Georges Michel, écrit au début de la Troisième République, mérite une approche critique. Elle explique en effet que lorsqu’Élisabeth Vigée Le Brun quitta la France fin 1789, Le Brun se serait employé «pour commander ou faire vendre des tableaux à Michel en Angleterre, en Allemagne et jusqu’en Russie ; il lui fit exécuter des copies de Ruisdael, d’Hobbema, de Huysmans, de Rembrandt et des autres maîtres des Pays-Bas». Or, ce passage relève sans doute de la méprise de la veuve de Georges Michel, qu’il épousa sur le tard en secondes noces, ou bien de l’auteur de l’ouvrage dans lequel elle publia, qui n’était pas à une approximation près, comme le relèvent Geneviève Lacambre et Jacques Foucart dans le catalogue de l’exposition. Le texte parut dans l’Étude sur Georges Michel, commandée à Alfred Sensier par Durand-Ruel, qui conservait dans son stock quarante-cinq œuvres de l’artiste. Peintre lui-même, formé auprès de Boucher, Deshays, Fragonard et Greuze, Jean-Baptiste Pierre Le Brun était incontestablement le meilleur connaisseur de la peinture nordique de son temps. Celui qui découvrit Vermeer bien avant Thoré-Burger vouait une amitié sincère et sans réserve à deux autres paysagistes de son temps, Simon Denis et Balthasar Ommeganck, qu’il n’eut de cesse d’encourager, d’aider et d’appuyer.

 

L’Orage, huile sur panneau, 98 X 126 cm, Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen.
L’Orage, huile sur panneau, 98 X 126 cm, Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen. © Photo : Studio Tromp


Demander aux peintres de faire des copies qui passeraient pour des originaux en ventes publiques est un grief très réducteur. Le texte de Madame Michel a d’ailleurs introduit une certaine confusion dans la biographie même de Le Brun. Il aurait sans doute été plus avantageux pour lui d’acquérir en Hollande ou auprès des marchands des paysages anciens d’artistes hollandais mineurs. Pour les scènes de genre, il est presque certain qu’il ne fit jamais passer des faux pour des originaux de Ter Borch ou de Mieris qui s’échangeaient à prix d’or, à condition qu’ils soient de grande qualité. Lorsque les attributions étaient erronées, les historiens ont identifié depuis les noms d’artistes moins célèbres comme Jacob Ochtervelt. Les études récentes sur le marché de l’art ont montré que dans l’ensemble, les ventes publiques parisiennes, hier comme aujourd’hui, étaient avant tout des échanges entre marchands. Ces tours de passe-passe ont peut-être tenté Le Brun, mais il semble difficile de l’imaginer berner des collectionneurs russes. Ses clients s’appelaient en effet Stroganov, Cheremetiev et Youssoupov, et il entretenait avec chacun d’eux des relations durables et solides. Il est en revanche beaucoup plus probable que Georges Michel lui-même, marchand à ses heures comme nombre de peintres de sa génération, ait été ten-té à deux ou trois reprises de leurrer des clients. Mais le passage de la veuve Michel était somme toute une figure de rhétorique flatteuse, car elle insinuait que son défunt mari était capable d’égaler les «maîtres des Pays-Bas».
 

Paysage, environs de Chartres, huile sur panneau, 38 x 54 cm, Bayeux, musée Baron-Gérard.
Paysage, environs de Chartres, huile sur panneau, 38 x 54 cm, Bayeux, musée Baron-Gérard.


La manie des pendants
Si le statut de la copie  exercice stylistique du jeune artiste, plaisir de se livrer à un exercice pictural chez le peintre confirmé, ou peut-être manœuvre des marchands souhaitant vendre des faux  est source de nombreux questionnements, Le Brun était sans doute le conseiller du XVIIIe siècle qui prit le plus grand plaisir à multiplier les pendants. Chez lui d’abord, puisqu’il écrit en 1797 à Simon Denis : «Je vous envoy un petit calque d’un des plus fin tableaux du Bourdon qui est du ton le plus arganté de Teniers. Je ne le quitte pas et l’é dans ma chambre à couche. Il est de la même grandeur que le papier vernie. Sie dans vos moments, vous pouvé m’envoier un qui puisse i faire pendent» (sic). Dans sa galerie aussi, comme le montrent les dessins en coupe de la galerie du Gros-Chenet, actuel numéro 8, rue du Sentier, par son architecte Raymond. Cette habitude de créer des pendants était bien ancrée. Dans ses Livres de raison, Joseph Vernet écrit ainsi : «[p]our M. Desfriches, un tableau de 20 pouces et demy de large sur 14 pouces de haut. C’est pour faire pendant à une marine de W. Vandevelde, dont les figures sur le devant ont de proportion environ deux pouces. Le ciel est rembrunis, chargé de nuages, et celuy que je dois faire doit être bien clair.» Un fait confirmé par une lettre adressée à Desfriches : «[l]e petit dessin que vous m’avez envoyé de votre tableau de Vandervelde est charmant, il me servira pour faire le pendant.» Dans ce cas précis, le travail de Vernet fut guidé par le tableau nordique qu’il n’avait pas vu, mais dont il pouvait toutefois aisément imaginer les jeux de lumière et la touche. La mise en relation des images créait sens, que ce soit par le contraste, la réciprocité ou la complémentarité. Cette pratique des amateurs français, particulièrement encouragée par les marchands, participa pour beaucoup au succès des paysagistes français de la période. Elle pourrait  ce n’est qu’une supposition  expliquer «cette robustesse savoureuse qui fait l’irrésistible charme  et l’indépendance salvatrice !» de Georges Michel, selon les termes de Jacques Foucart. La Hollande était une échelle de valeur pour mettre en avant les qualités des artistes contemporains, et il est probable que Georges Michel ait senti, plus que tous ses pairs, que seul un «geste» artistique très personnel  que ce soit le sens de la disproportion ou des empâtements chargés  pouvait permettre d’enrichir le dialogue créé par le pendant. Pour se distinguer d’un Lazare Bruandet ou d’un Jacques-Albert Senave, Michel aurait ainsi forcé le trait, au sens propre comme au sens figuré, et inventé une manière bien à lui de répondre à la Hollande. Un clin d’œil alors parfaitement identifiable pour les amateurs… Le paradoxe de Georges Michel est l’unité apparente de son œuvre et l’immense diversité, en termes de qualité, des compositions qui lui sont données, ce qui fragilise toute tentative d’interprétation de sa carrière. «Il n’est que plus impératif, s’insurge Jacques Foucart, pour lui rendre hommage comme il convient, de bien distinguer ses fortes productions d’une foule de médiocres imitations et d’à-peu-près qui défigurent son image. Que de moulins et de talus sans justesse de tons, sans technique assurée, portant un peu vite le nom devenu sacro-saint de Michel.» Une lourde tâche qui attend un historien de l’art.

À voir
«Georges Michel. Le paysage sublime», fondation Custodia, 121, rue de Lille, Paris VIIe, tél. : 01 47 05 75 19, www.fondationcustodia.fr - Jusqu’au 29 avril.
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