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Gemma de Angelis Testa, collectionneuse et généreuse donatrice de la Ca’Pesaro à Venise

Publié le , par Olivier Tosseri

Cette grande collectionneuse, veuve du dessinateur et graphiste Armando Testa, a offert 105 œuvres d’art contemporain d’une valeur totale de 17 M€, la plus généreuse donation depuis plus de soixante ans sur la Lagune.

Photo Fabio Mantegna Gemma de Angelis Testa, collectionneuse et généreuse donatrice de la Ca’Pesaro à Venise
Photo Fabio Mantegna

Comment votre collection a-t-elle vu le jour ?
Elle est née d’une phrase clairvoyante de mon mari, Armando Testa, qui m’a probablement marquée inconsciemment : «Les œuvres d’art s’observent seulement dans les musées et les galeries. Les murs de la maison doivent rester blancs, immaculés comme les pages d’un album.» En effet, nous avions l’habitude de revenir de nos voyages à travers le monde riches d’émotions, mais jamais avec des œuvres d’art. C’est comme si cette phrase m’avait indiqué le chemin à suivre. Et j’ai toujours su que j'allais finir par faire une grande donation de ma collection à un musée. J’ai choisi comme une évidence la Galleria internazionale d’arte moderna Ca’ Pesaro, qui fait partie des Musei civici de Venise, une ville que j’aime. J’y ai rencontré mon époux en allant visiter la 35
e Biennale d’art, et c’est aussi dans cette cité que j’ai découvert l’art contemporain. En pleine pandémie, j’ai eu l’idée de cette donation, dont j’ai parlé à Gianfranco Maraniello, devenu depuis le directeur du pôle muséal de la ville de Milan. L’enthousiasme a été immédiat puisque la dernière donation d’une telle envergure remontait à 1961 !
Que représente pour vous cette donation ?
L’accomplissement d’un objectif de ma vie. Le moment était arrivé pour un tel geste, et la Ca’ Pesaro est le lieu adéquat. L’exposition inaugurale aura lieu le 21 avril prochain. C’est le cadre idéal pour ces 105 œuvres, parmi lesquelles cinq toiles de Marlene Dumas, mais aussi des tableaux de Robert Rauschenberg et Cy Twombly. Ils côtoieront des maîtres de l’arte povera comme Mario Merz, Michelangelo Pistoletto, Pier Paolo Calzolari, Gilberto Zorio. Ce sera un véritable voyage dans l’art de la seconde moitié du XX
e siècle avec des œuvres fondamentales d’Anselm Kiefer et des travaux iconiques de Gino De Dominicis, Francesco Clemente, Enzo Cucchi, Mario Schifano, mais également des sculptures de Tony Cragg et Ettore Spalletti. Tous ces choix ont été effectués sans jamais suivre la mode et sont souvent le fruit d’une impulsion, d’une émotion. Dans la plupart des cas, les artistes n’avaient d’ailleurs pas encore la notoriété dont ils jouissent aujourd’hui. Je fais cette donation avec la fierté de voir de l’art contemporain exposé dans un musée et dans l’espoir que mon geste inspire de futures générations de collectionneurs. Une collaboration plus étroite entre le secteur public et le privé est indispensable.
Vous avez fondé en 2003 l’Association des amis de l’art contemporain italien (Acacia). Que représente ce médium pour vous ?
C’est à la fois une explosion d’émotions et le témoignage de notre époque. Collectionner l’art contemporain me permet d’avoir un regard plus analytique sur le monde et le présent. Mon mari aimait dire que l’on doit observer longtemps un tableau, et sous toutes ses coutures, comme s’il s’agissait d’une parade amoureuse. Pour moi, c’est également ça, l’art contemporain : amour, complicité, passion. C’est l’attitude et l’attention que j’ai à l’égard de mes œuvres. Elles sont comme des êtres chers que j’accompagne vers l’avenir, vers un lieu où elles pourront être admirées par un public qui les aimera et les extraira ainsi des logiques du marché. C’est dans cet esprit que j’ai fondé l’association Acacia il y a vingt ans, pour instaurer un véritable dialogue avec les institutions culturelles italiennes. En 2015, nous avons ainsi donné au musée du Novecento de Milan 37 œuvres de 25 artistes contemporains différents.

 

Omaggio a Mondrian, 1967, et Sedia At, 1990, d’Armando Testa. Colorful Stones, de Pascale Marthine Tayou, 2018. Photo Fabio Mantegna
Omaggio a Mondrian, 1967, et Sedia At, 1990, d’Armando Testa. Colorful Stones, de Pascale Marthine Tayou, 2018. Photo Fabio Mantegna

Comment expliquez-vous l’absence de nouveaux mouvements artistiques ou d’avant-gardes en Italie depuis les années 1960-1980 ?
Cela tient principalement, selon moi, dans le changement historique de l’avènement d’Internet, qui a bouleversé nos sociétés. Cela a en effet permis une plus grande diffusion de l’art et mis en relation les personnes entre elles. Mais Internet a creusé un profond fossé avec la mentalité de 1968, celle de la lutte des masses pour des idéaux communs. Les avant-gardes naissent dans ce type de contexte socio-politique. Les jeunes artistes, aujour-d’hui, répondent avant tout à des logiques personnelles, individuelles. Ils n’éprouvent plus le besoin de partager collectivement une pensée. Les écoles de pensée n’existent plus.
Que faudrait-il faire pour soutenir l’art contemporain en Italie ?
Un véritable soutien de l’État aux artistes italiens fait cruellement défaut. À cela s’ajoute le manque de coopération entre les différentes associations, galeries, fondations… Collaborer davantage et plus efficacement permettrait d’aider les créateurs qui, étant reconnus dans leur propre pays, seraient mieux considérés à l’étranger. L’association Acacia a toujours œuvré pour la diffusion de la culture et de l’art contemporain, à l’aide d’un riche programme d’activités diverses comprenant des visites guidées de collections, de galeries, de biennales et d’événements internationaux. Elle organise des conférences, des séminaires dans différentes universités, décerne chaque année des prix à des artistes de la Péninsule, jeunes et confirmés, soutenant ainsi leurs projets.

Dans ce contexte, quelle importance revêtent les foires et les biennales ? Certains critiquent ce système qui a pris une ampleur inédite ces dernières décennies.
Elles représentent pour moi des moments importants de formation, d’échange, de socialisation. Dans le monde de l’art, ce sont des rendez-vous fondamentaux. Les biennales sont formatrices car elles offrent une photographie d’un moment précis d’une époque. En ce qui concerne les foires, en tant que
collectionneur ou simple visiteur, vous avez la possibilité de découvrir de nouvelles tendances artistiques, de nouvelles galeries, de nouveaux artistes. Pour les galeristes, enfin, c’est un moment important non seulement pour renouveler leurs collectionneurs, mais aussi pour promouvoir leurs artistes hors de leurs frontières.

 

PHOTO Fabio Mantegna
En partant de la droite ; en haut : Tavolo con scarpine (1980), Nocero umbro (1991), Saluti da Capri (1988) ; en bas : Isola di breakfast (1986), La Poltrona (1978) Amanti (1985), par Armando Testa. Photo Fabio Mantegna

Comment percevez-vous la situation du marché de l’art ?
Au cours des quatre dernières années, celui-ci a connu une évolution imprévisible et nous avons assisté à des scénarios inattendus. Londres, qui en était la capitale, a été ravalée au rang de périphérie en raison du Brexit. Le marché asiatique attire déjà de nombreux chefs-d’œuvre depuis plusieurs années, et cette tendance ne peut que se confirmer dans un avenir proche. Il sera intéressant de voir quelles évolutions et contre-mesures seront adoptées par le marché français en réponse à la nouvelle directive européenne sur la hausse de la TVA pour l’achat et la vente d’œuvres. Depuis le Covid-19, nous savons que les prédictions sur des scénarios futurs sont très aléatoires. Naturellement, j’espère fortement que le marché italien pourracroître et s’imposer de plus en plus à l’international, malgré les nombreuses limitations législatives qui le freinent.
L'univers numérique est-il une menace pour celui de l’art traditionnel ?
Je ne pense pas qu’il puisse être proposé comme une alternative. C’est en revanche un support indispensable pour créer un réseau mondial de plus en plus dense. Il est vrai que pendant la période du Covid-19, nous avons assisté à un incroyable boom de la valeur des cryptomonnaies et du crypto art, mais il est également vrai qu’ils affrontent un déclin après l’euphorie et l’enthousiasme qu’ils ont générés pendant le confinement. Les salles des ventes ont parfaitement su saisir les opportunités des nouvelles technologies pour augmenter leur clientèle et leurs activités. Mais la dimension physique et tangible de l’art reste pour moi irremplaçable.

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