Les marchands disposent de plusieurs outils pour exercer leur activité : la galerie, la foire physique ou digitale, et aussi un espace dont on parle peu mais qui prend de plus en plus d’importance : le showroom, espace privé pour collectionneurs avertis. Explications.
Le grand public s’imagine que notre activité est uniquement consacrée aux expositions ouvertes à tous, un peu à la manière d’une boutique ou d’un musée. En réalité, elle n’est qu’une vitrine, représentant 10 % de notre chiffre d’affaires », affirme Anne-Claudie Coric, directrice générale de la galerie Templon. Même si cette évaluation diffère d’une enseigne à l’autre, d’autant que s’y ajoute le produit réalisé à l’occasion des foires – oscillant, avant Covid, entre 30 à 50, voire 70 % –, elle révèle une tendance. Car il existe en fait un autre lieu, dont les marchands parlent peu, dans lequel pourtant nombre de transactions s’amorcent, se discutent et se concluent : le « showroom ». Jadis simple bureau, c’est aujourd’hui un espace généralement confortable, dans lequel sont organisés rendez-vous personnalisés et mini accrochages à la demande de certains collectionneurs. Bien sûr, les relations privilégiées entre les marchands et leurs clients ne datent pas d’aujourd’hui. On observe toutefois, à la lumière des récentes installations, déménagements ou extensions d’enseignes renommées (de Daniel Templon à David Zwirner, de Nathalie Obadia à la galerie Skarstedt…) que cet espace a pris de l’importance, en s’intégrant à la fois dans le fonctionnement de la galerie et dans la conception de son architecture. Parfois, il se trouve hors de ses murs. Il en va ainsi pour Emmanuel Perrotin, qui a investi dès 2014 un hôtel particulier de la rue de Turenne, ou pour Magda Danysz, qui, en complément de sa galerie du 11e arrondissement, vient d’installer un showroom dans le 7e, cour de Varenne, baptisé «L'atelier Danysz», car il a longtemps abrité une activité de restauration de meubles.
Un lieu stratégique…
Bref, le showroom appartient désormais à la panoplie des « outils » utilisés par un marchand. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cet espace privé n’est pas seulement l’apanage des enseignes les plus puissantes, comme le montre l’exemple de la galerie Marcelle Alix : «Depuis que j’ai ouvert en 2018 ce showroom de 15 m2, mon activité s’est développée, reconnaît Isabelle Alfonsi, sa directrice. C’est le nerf de la guerre. » Pour Franck Prazan, spécialiste de l’école de Paris, l’endroit est vraiment stratégique : « Il permet un accueil privilégié et extrêmement ciblé de nos collectionneurs. » Nathalie Obadia, quant à elle, le juge d’autant plus « indispensable » que « les maisons de ventes aux enchères organisent de leur côté des ventes privées». Plusieurs raisons expliquent en tout cas l’importance de leur rôle. D’une part, le métier de galeriste a évolué. « Il s’apparente aujourd’hui davantage à celui d’agent ou de producteur, explique Anne-Claudie Coric. Nous accompagnons nos artistes dans tous leurs projets et vendons souvent les œuvres qui sortent de leur atelier, au fur et à mesure de leur création, hors de toute exposition classique. » Ce que confirme Marion Papillon, également présidente du Comité professionnel des galeries d’art (CPGA) : « Une galerie moyenne, qui suit une vingtaine d’artistes, ne peut organiser que cinq à six expositions par an, auxquelles s’ajoutent ses participations aux foires, alors que nos artistes produisent constamment. Il nous arrive donc, lorsque nous recevons de nouvelles œuvres, de les montrer dans cet espace, car les artistes en ont besoin. » Du côté des collectionneurs, la situation a de la même façon connu une évolution, liée à l’emballement du marché. « Ils ont besoin de conseils et nous font confiance parce que nous connaissons parfaitement la carrière de nos artistes », commente Anne- Claudie Coric. Et leurs demandes se sont accrues. « Avec la multiplication des possibilités de voir, en physique ou en ligne, ajoute Franck Prazan, les gens ont besoin qu’on leur accorde une attention particulière, et le Covid a eu pour conséquence de remettre les galeries au cœur de notre métier. Étant donné que pour le moment, les voyages restent moins fréquents, les collectionneurs prennent davantage de temps pour les visiter. Le cadre chaleureux et intimiste d’un showroom peut inciter aux achats. »
… aux utilisations diverses
Le lieu en tant que tel peut toutefois avoir des utilisations multiples. « Dans l’hôtel particulier du Marais, nous pouvons organiser des dîners à l’occasion d’un vernissage, ou recevoir en privé, explique Vanessa Clairet, directrice de la communication et du développement de la galerie Perrotin. L’une de nos salles, appelée “salle des racks”, est équipée pour l’accrochage des œuvres. » Grâce à son agencement, le showroom de David Zwirner est modulable. «Composé de pièces qui communiquent, il sert parfois d’extension à une exposition», indique Justine Durrett, sa codirectrice. Mais le plus souvent, il fonctionne en mode privé, et « devient le lieu où l’on peut discuter tranquillement avec un collectionneur, lui proposer un accrochage pour lui permettre de réfléchir, feuilleter des catalogues». En tout cas, leur point commun est de montrer des œuvres qui ne sont pas présentées dans les expositions elles-mêmes. Pour la galerie Skarstedt, cette activité doit néanmoins rester en cohérence avec la programmation de la galerie : « Le showroom offre la possibilité d’étoffer le corpus d’un artiste dont l’œuvre est en cours d’exposition, explique Maria Cifuentes, sa directrice. Un travail récent peut ainsi être complété par un travail plus historique qu’on ne montrera qu’aux connaisseurs. On peut également imaginer prolonger une exposition sur Cindy Sherman ou Barbara Kruger par un focus sur les artistes de la Picture Generation.» Certains marchands y présentent des œuvres parallèlement à des événements extérieurs, tels que les foires. « Lorsqu’en 2020, la FIAC avait été annulée à cause du Covid, nous avons participé à la foire online et montré physiquement certaines œuvres dans notre showroom », se souvient Justine Durrett. « Nous aurons un stand à la foire 1-54 sur l’art africain qui se tiendra en avril chez Christie’s, ajoute Nathalie Obadia. Et nous proposerons à certains de poursuivre leur visite dans notre showroom, où seront réunies des pièces d’artistes africains et afro-américains. » Des collectionneurs, particulièrement avertis, demandent même à voir en avant-première des œuvres d’expositions à venir. « L’un d’eux, un client fidèle, m’a récemment téléphoné à propos de l’exposition Michael Ray Charles qui débutera en mars », témoigne Anne-Claudie Coric. Magda Danysz a pour sa part ouvert un showroom plutôt concentré sur le second marché. « Alors que notre galerie existe depuis 1991, cette activité a récemment pris de l’ampleur, notamment autour du street art que nous défendons depuis le début, précise-t-elle. Face à la recrudescence du nombre des demandes, il est devenu nécessaire d’avoir un lieu dédié. » Cour de Varenne, dans le cadre très agréable de cet ancien atelier entièrement rénové, elle présente donc depuis peu des pièces confiées par des vendeurs, auxquelles elle mêle parfois des œuvres de ses propres plasticiens. Car elle accueille également ici-même des artistes en résidence. En fait, cet Atelier est plus qu’un showroom. C’est un vrai lieu de rencontres.