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Galerie Talabardon & Gautier : l’exigence au service de l’art

Publié le , par Caroline Legrand
Vente le 21 mars 2023 - 14:00 (CET) - Salle 9 - Hôtel Drouot - 75009

A l’Hôtel Drouot, sur deux jours, la galerie Talabardon & Gautier dispersera une partie de son stock. L’occasion pour les deux marchands de partager une fois de plus leur passion pour les maîtres anciens, mais aussi ceux du XIXe siècle. 

Michael Sweerts (1618-1664), La Leçon de broderie, toile, 50,5 x 39,5 cm. Estimation :... Galerie Talabardon & Gautier : l’exigence au service de l’art
Michael Sweerts (1618-1664), La Leçon de broderie, toile, 50,5 39,5 cm. 
Estimation : 80 000/120 000 €. Adjugé : 
108 000 €

Depuis 1992, la galerie Talabardon & Gautier s’est imposée dans le paysage parisien et international. Elle est devenue une référence, et même un moteur du marché de l’art en mettant en lumière des œuvres et des artistes singuliers. Symboliquement, les 21 et 23 mars, la vente d’une partie de son stock se déroulera durant le Salon du dessin, dont Bertrand Gautier et Bertrand Talabardon furent membres fondateurs en 1999. Pas moins de 280 lots, pour une estimation globale de 5 M€, seront ainsi dispersés par la maison Ader. «Cet événement n’est pas seulement une vente de marchands, c’est un hommage à tous ceux qui font ce métier par passion. Nous partageons avec eux cette même flamme et cette exigence de qualité sur les œuvres», déclare le commissaire-priseur Xavier Dominique. Fidèles à leur manière de travailler, les deux galeristes ont sélectionné des tableaux, des dessins et – dans une moindre mesure – des sculptures, tous parfaitement mis en valeur dans un catalogue aux descriptions fournies. Si le XIXe siècle fut leur terrain de prédilection – on leur doit la remise en lumière des paysagistes œuvrant sur le motif ou encore des peintres troubadours –, les maîtres anciens seront également très présents. Au cours des dernières décennies, ce tandem a d'ailleurs été à l’origine de belles découvertes, comme celle d’un Portrait d’homme de l’artiste du XVe siècle Jean Perréal, vendu au musée du Louvre en 1993, ou encore – lors une vente en 2015 aux États-Unis – celle d’une œuvre de jeunesse de Rembrandt, L’Odorat, aujourd’hui dans la collection Leiden de Thomas Kaplan.

Jacques-Auguste Fauginet (1809-1847), Alexandre Dumas (1802-1870), 1831, buste en plâtre patiné à l’imitation du bronze, signé, h. 64 cm.
Jacques-Auguste Fauginet (1809-1847), Alexandre Dumas (1802-1870), 1831, buste en plâtre patiné à l’imitation du bronze, signé, h. 64 cm.
Estimation : 15 000/20 000 €. Adjugé : 
57 600 € 
Louis-Léopold Boilly (1761-1845), Jeune fille portant son frère sur ses épaules dans un jardin, pierre noire, estompe et rehauts de gouach
Louis-Léopold Boilly (1761-1845), Jeune fille portant son frère sur ses épaules dans un jardin, pierre noire, estompe et rehauts de gouache blanche sur papier chamois, 47,3 33,9 cm (détail). Estimation : 80 000/100 000 €. Adjugé : 243 200 €



Honneur aux anciens
«Énergie, prise de risque et aventure» sont les maîtres mots de Bernard Gautier, auxquels on pourrait ajouter le goût de la narration. Derrière chaque œuvre de ce catalogue se cache une histoire qui donne tout son sens et sa valeur à l’objet. Ainsi, le dessin à la plume Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste, attribué à Georges Lallemant, dont une autre version fait partie de la collection Pierre Rosenberg (bientôt au musée du Grand Siècle), montre le travail de cet artiste lorrain du début du XVII
e. L’œuvre, encore sous l’influence de l’incontournable Jacques Bellange mais s’en détachant déjà par un style plus personnel, marqué notamment par sa profondeur spatiale, est annoncée à 20 000/30 000 €. Avec le néoclassique Philippe-AugusteHennequin, méconnu, on entre dans une Vue imaginaire de Lyon, réalisée après la prise de la ville par les troupes envoyées par Paris et le décret de la Convention du 11 octobre 1793 actant la destruction de la cité «rebelle». Hennequin, membre du comité de démolition, réalise ce dessin depuis la fenêtre de son appartement, quai des Célestins, et offre un panorama fictif – et peut-être prémonitoire – de la ville romanisée et en partie en ruine. Une œuvre intemporelle annoncée à 30 000/ 40 000 €. Daté vers 1797-1799, un exceptionnel dessin de Louis-Léopold Boilly, préparatoire au tableau La Petite Sœur, frappera par sa maîtrise technique, son utilisation judicieuse de l’estompe et l’emploi du papier chamois, qui permet à la gouache blanche de briller. Boilly démontre ici qu’il est le digne successeur de Greuze pour la transcription de la vie quotidienne et familiale (80 000/ 100 000 €). De la quinzaine de peintures anciennes se détachera une émouvante Leçon de broderie, de Michael Sweerts, «un tableau inédit d’un artiste particulièrement apprécié des collectionneurs et surtout des musées», selon l’expert Stéphane Pinta. Redécouvert il y a une trentaine d’années, Sweerts fascine par sa vie romanesque, qui le mena de Bruxelles à Goa en passant par Rome et la France. Sa carrière de peintre, placée entre les écoles nordique et italienne, ne dura qu’une vingtaine d’années, marquées de 1646 à 1654 par son séjour en Italie, où il travailla, sous l’influence des bamboccianti, à des scènes de genre telle que celle-ci, où le quotidien se trouve sublimé.
 

Claude Joseph Vernet (1714-1789), Vue de Tivoli, vers 1745, toile, 35,6 x 46,4 cm (détail). Estimation : 60 000/80 000 €
Claude Joseph Vernet (1714-1789), Vue de Tivoli, vers 1745, toile, 35,6 46,4 cm (détail). Estimation : 60 000/80 000 


 

 
Trois questions
À Bertrand Gautier

En quoi cette vente est-elle représentative de votre activité des trente dernières années ? Généralement, les œuvres que nous achetons ont des liens entre elles. Tout d’abord car nous les avons choisies, mais aussi parce qu’elles entretiennent un dialogue. Nous avons essayé de respecter la même règle que lorsque nous imaginons un stand de foire ou nos catalogues. Par exemple, vous trouverez une section consacrée aux émaux car nous avions un projet sur ce thème. Et à côté de ces pièces figureront des portraits peints d’émailleurs, comme celui par Gabriel Ferrier de Claudius Popelin, ami de la princesse Mathilde et qui œuvra au renouveau de cette discipline (6 000/8 000 €, ndlr). Le XIXe siècle est aussi très présent. Les historiens et surtout le marché, telle la galerie du Luxembourg, qui fut notre modèle, ont beaucoup fait pour la mise en lumière de cette période charnière dans l’histoire de l’art, et notamment pour la peinture sur le motif. Mais nous ne nous fixons pas de limite entre anciens et modernes. Par ailleurs, chaque période ne se résumant pas à un seul artiste, on arrive à apprécier autant Ingres que Delacroix, chacun pour sa démarche singulière. Nous cherchons à comprendre leur légitimité, à les replacer dans leur contexte, sans hiérarchiser.   Bertrand Talabardon et vous-même êtes reconnus chacun pour votre « œil ». Y a-t-il des différences, des singularités ? L’œil de Bertrand, c’est d’abord la curiosité, le fait de chercher une émotion, une notion de qualité, la force de l’image. Le mien est plus réflexif : je ne vais pas toujours naturellement aux choses mais je cherche à comprendre pourquoi une image m’a saisi. C’est une nécessité que j’éprouve et qui me bloque parfois. J’essaie de travailler sur moi et de ne pas trop intellectualiser. Quand on est à l’affût, on trouve des choses intéressantes et belles. Nous n’avons jamais eu peur de chercher une œuvre qui dépasse la vision commune des choses. Il faut déconstruire les stéréotypes. Il est simple de savoir qu’Ingres est un grand artiste, mais c’est plus compliqué de comprendre comment il conçoit une œuvre. Il faut s’en donner les moyens. Après cette dispersion d’une partie de votre fonds, comment envisagez-vous la suite de votre activité ? L’Hôtel Drouot est un bel écrin pour notre vente, ce lieu fut une véritable école pour nous. Notre travail va bien sûr se poursuivre mais d’une manière différente. Nous avons déjà des projets, comme celui sur le thème du dessin d’architecture. Depuis l’épidémie de Covid, un déplacement vers les salles de ventes s’est opéré, les foires se sont arrêtées durant deux ans et les galeries sont de moins en moins fréquentées. Le métier de galeriste nécessite un contact physique. Nous avons encore envie de présenter des stands, mais cela demande des moyens financiers, il faut être vigilant et s’adapter. Cependant, nous vivons une période merveilleuse où tout est accessible pour les personnes qui veulent apprendre. La France offre une richesse de marchandise extraordinaire et Paris est une des rares villes avec autant de galeries que de maisons de ventes. Les deux sont complémentaires. De cette diversité unique naît un précieux terreau pour les collectionneurs. Des découvertes sont encore possibles pour les défricheurs que nous sommes. 

Le plein air et le XIXe siècle
Dans le cadre de leur travail sur la réhabilitation du XIX
e siècle, Bertrand Talabardon et Bertrand Gautier se sont longtemps concentrés sur ces paysagistes qui imposèrent la peinture sur le motif. Une pratique initiée dès le siècle précédent par des pionniers tel Claude Joseph Vernet, dont une toile majeure sera proposée à 60 000/80 000 €. Cette Vue de Tivoli est «l’une des premières œuvres peintes en Italie par l’artiste entièrement en plein air, vers 1743-1745», explique Stéphane Pinta. À cette époque, en effet, Vernet réalise un ensemble d’esquisses, brossées d’après nature, qui serviront à la réalisation de grands tableaux. Son inventaire après décès, en 1789, en recense encore plus de trente en sa possession, pour la plupart disparues. Peut-être cette étude en faisait-elle partie ? Nombre de ses suiveurs au XIXe l’accompagneront dans cette vente, comme Pierre-Henri de Valenciennes avec un Paysage classique, attendu à 15 000/20 000 €, ou Gustave Courbet avec une Vue de Saintes, prise de Lormont (40 000/60 000 €). On admirera encore la spontanéité du Vésuve en éruption de Simon Denis, prisé 20 000/30 000 €, et la lumière de la Vue de Saint-Pierre à Rome depuis les jardins de la villa Borghèse au soleil couchant, de Pierre-Athanase Chauvin (8 000/12 000 €). Parmi les découvertes des galeristes se distingueront plusieurs œuvres du méconnu Prosper Barbot, autre adepte de l’Italie mais qui propose ici une étonnante étude, Effet de vague à Dieppe, à la dramaturgie romantique (3 000/ 5 000 €). Mais le XIXe siècle démontrera aussi toute sa diversité. On découvrira ainsi un Jean Auguste Dominique Ingres troubadour, dans un impressionnant portrait de Condottiere, une étude de 1821 pour son tableau néogothique L’Entrée à Paris du Dauphin, futur Charles V (voir couverture de la Gazette n° 3, 120 000/150 000 €). Le romantisme, avec un ensemble de sculptures de David d’Angers — dont la terre cuite Bichat, esquisse préparatoire pour le groupe monumental à Bourg-en-Bresse, de 1839 (10 000/15 000 €) — ou le premier portrait du jeune Alexandre Dumas, encore simple auteur de théâtre, par Fauginet (15 000/20 000 €), s’opposera au néoclassicisme du Portrait d’Étienne Vincent de Margnolas et son antique en marbre, de Giacomo Spalla, dont on attend 30 000/40 000 €.
 

Giuseppe De Nittis (1846-1884), Le Lac des Quatre-Cantons depuis Rigi-Kulm, panneau, signé et dédicacé «A Madame A. Daudet/De Nittis», 27 
Giuseppe De Nittis (1846-1884), Le Lac des Quatre-Cantons depuis Rigi-Kulm, panneau, signé et dédicacé «A Madame A. Daudet/De Nittis», 27 41 cm. Estimation : 15 000/20 000 

Oser la modernité
Aucune frontière, qu’elle soit stylistique ou temporelle, n’arrête les deux galeristes lorsqu'il s’agit de surprendre. Un but atteint avec la divinité viking, au visage exprimant l’effroi, du tableau Hörgabrud de l’Américain Charles Sprague Pearce, installé en 1885 à Auvers-sur-Oise, où il peint plutôt des scènes naturalistes du monde rural. Comptez 20 000/30 000 € pour cette œuvre flirtant avec le symbolisme. Une tentation à laquelle céda également un court instant Paul Gauguin, comme en témoigne le Portrait de Jean Moréas (150 000/200 000 €), son dessin le plus important dans cette veine, gravé et reproduit à de nombreuses reprises. Gustave Moreau fut pour sa part le professeur des artistes d’avant-garde de la fin du siècle, qu’il marqua par sa liberté d’esprit et sa conception coloriste de la peinture. Il puisa son inspiration dans l’Orient, la mythologie ou encore les rêves, donnant naissance à une peinture éminemment personnelle, à l’image d’un Poète persan dialoguant avec l’ange de l’inspiration, une œuvre acquise à l’époque par Antony Roux, le principal mécène de l’artiste (150 000/200 000 €). L’impressionnisme sera aussi évoqué au travers d’un beau paysage de Giuseppe De Nittis, Le Lac des Quatre-Cantons depuis Rigi-Kulm, réalisé en 1882 depuis le balcon de l’appartement du peintre, alors en voyage avec Alphonse Daudet et son épouse (15 000/20 000 €). Autre précurseur, Victor Hugo proposera un Souvenir de Belgique. 120 000/150 000 € sont à envisager pour ce dessin tracé en 1850 avec trois autres paysages de grandes dimensions, également encadrés ultérieurement par l’artiste, à Jersey. Cette œuvre, dont le titre évoque son voyage en solitaire de 1837, est la seule des quatre encore en mains privées. La brume ensorcelante de ce paysage fait écho aux recherches abstraites reprises, trois à quatre décennies plus tard, par d’autres.

mardi 21 mars 2023 - 14:00 (CET) - Live
Salle 9 - Hôtel Drouot - 75009
Ader
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