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Fonds Hélène & Édouard Leclerc : l’art d’être curieux

Publié le , par Sarah Hugounenq

Avec un parti pris original, le fonds Hélène & Édouard Leclerc de Landerneau revisite le thème des cabinets de curiosités. Et interroge notre époque.

Domenico Remps (1620-1699), Scarabattolo, 1690, huile sur toile, 99,5 x 137 cm. Avec... Fonds Hélène & Édouard Leclerc : l’art d’être curieux
Domenico Remps (1620-1699), Scarabattolo, 1690, huile sur toile, 99,5 137 cm. Avec l’autorisation du ministère italien des Biens et Activités culturelles - Museo dell’Opificio delle Pietre Dure, Florence.

L’entrée est assez déroutante : vaste, ornée d’une seule et unique peinture, et sans texte introductif. Les salles se succèdent ensuite comme autant d’ambiances hétéroclites, tels des stands de foire. Dans cette déambulation libre, s’enchaînent l’atmosphère précieuse des pièces d’orfèvrerie de la galerie Kugel, l’étrangeté dérangeante des spécimens de la faculté de médecine de Montpellier, les collectes iconoclastes, improbables, mi-réelles mi-inventées de Théo Mercier, la beauté bigarrée de la faune et de la flore du Muséum national d’histoire naturelle, ou encore les amoncellements baroques et excentriques de Patrick Mauriès. Que doit-on regarder dans ce patchwork surchargé et aléatoire ? Nul discours historique, scientifique ou anthropologique sur le cabinet de curiosités comme à Poitiers en 2013, dans «La Licorne et le Bézoard». Chacun des seize invités, qu’il s’agisse de musées, d’artistes ou de collectionneurs, ont accepté – sans savoir qui se prêterait à l’exercice – de répondre à un défi lancé sous forme de carte blanche : qu’est-ce qui vous émerveille, vous stupéfait et vous émeut aujourd’hui ? Le résultat casse les codes. Au gré de seize interprétations modernes de collections insolites, le visiteur est happé dans le jeu de sa propre curiosité où la frontière entre art, bizarrerie et nature se dissout. Dans les collections du Muséum, une tête de poupée en décomposition, habitée par un nid de guêpe sur lequel gisent deux yeux de verre écarquillés, n’est pas étrangère à un objet surréaliste, dont la paternité pourrait être donnée à Hans Bellmer. Il n’en est rien : la nature a simplement repris ses droits sur ce vestige de l’enfance retrouvé dans les bois. Chez Antoine de Galbert, une fois passé le regard moqueur d’une hyène empaillée, somme toute assez sage dans ce brouhaha d’animaux monstrueux, deux dents en or s’offrent au regard comme un défi. Plus loin, la collection de marteaux aux enchères du commissaire-priseur François Curiel détonne. Dans une salle vierge et épurée, loin de la profusion communément admise des cabinets de curiosités, une quarantaine de ses instruments de bois, de cristal ou d’ivoire ravissent par leur strict alignement, tel un hommage aux scénographies inspirées de Georges-Henri Rivière. Plus loin encore, c’est un canif assez fruste, au manche orné d’une figure militaire, qui interpelle par son histoire. Voici, dans les collections du musée des Arts du fer Le Secq des Tournelles de Rouen, l’un des vestiges de la Révolution française qui inspira à ses émeutiers l’idée de fondre les métaux issus de la prison de la Bastille, pour fabriquer ces armes-récompenses à destination de tous ceux qui participèrent à cette prise historique. Dans une société adulant le virtuel, la vitesse et les jugements à l’emporte-pièce, cette exposition est une pause en forme d’interrogation. Qu’aimons-nous ? Si la question rebondit sur les visiteurs, elle bouscule dans le même temps le musée, obligé à penser son rôle de conservatoire, mais aussi l’artiste, invité à interroger sa pratique, et le collectionneur, poussé dans les retranchements de son goût. Chacun est renvoyé à ses choix. Michel-Édouard Leclerc, le maître des lieux, n’est pas épargné. Après sept années de réflexion historique peuplée de grandes rétrospectives modernes, le voici lancé sur une nouvelle voie.

«Cabinets de curiosités»,
fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture,
Les Capucins, Landerneau, tél. : 02 29 62 47 78.
Jusqu’au 3 novembre 2019.
www.fonds-culturel-leclerc.fr
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